Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le blog de HP
13 mars 2019

L'éducation selon Crescent

Paradoxale époque que la nôtre, tout un chacun se récrie devant l'incivilité ambiante, le "manque d'éducation", l'inattention aux autres, l'égoïsme et la vulgarité, mais les mêmes vous rangent au placard des "ringards" ou des réactionnaires dès lors que vous prônez les règles les plus élémentaires du savoir-vivre.
Je ne m'apprête pas, cher lecteur, à vous infliger un cours de morale du haut de l'estrade que je n'ai pas, pas plus que de vous initier à l'art complexe des "plans de table" ou du baise-main.
L'objet de ces quelques lignes est de vous livrer comment, Crescent, mon père, entreprit mon éducation. 
Papa ne "faisait pas la morale", il laissait ce rôle à l'instituteur (qui n'était pas encore "professeur des écoles") et au prêtre, il n'était pas question de ne pas "aller au cathéchisme", même les collèges laïques d'alors avaient leur aûmônier.
La méthode de Crescent était, les lignes qui suivent vont le démontrer, opportuniste et dictée par les faits et les circonstances.
Je ne raconterai pas ici la biographie de mon père, d'autres billets l'ont déja abordée sous des angles divers, je tiens cependant à rappeler, car ceci est également une règle d'éducation, le soin qu'il prenait à sa présentation toujours très soignée ; l'élégant citadin de ma petite enfance madrilène est certainement à l'origine de l'attention toute particulière que j'apporte à l'image que j'offre aux regards d'autrui, c'est pour moi la première des politesses ; si nous ne sommes pas responsables de notre physique, nous le sommes pleinement de la façon dont nous le mettons en scène.

020

Rentrés en France, nous nous installâmes en Béarn, en cette belle ville d'Oloron-Sainte-Marie, dans une grande maison entourée d'un parc et connue sous le nom de "château" ; c'est dans ce lieu que je vécus ma pré-adolescence et mon adolescence, et c'est de cette époque que datent les premiers enseignements de mon père

. Château

Voici donc la fratrie au complet agrandie depuis peu par Colette, la tardillonne, qui naquit en cette demeure ; même dans l'intimité il n'était pas question de laisser-aller.
Mickey le chien ratier qui n'était pas encore affublé de la prétentieuse identité de jack-russel faisait partie intégrante de la famille jusqu'à ce que la fourche vengeresse d'un métayer gardien de la vertu de ses chiennes ne vint l'arracher à notre affection.

 parc

 

La toile de fond posée, et pour entrer dans le vif du sujet je vous livre en un triptyque significatif, ces exemples parmi tant d'autres de l'éducation selon Crescent :

Jour du résultat du brevet (BEPC) qui mettait fin au premier cycle d'études secondaires, passerelle obligatoire pour passer du collège au lycée, je passais avec succès cette épreuve sésame pour le digne statut de "grand".
Ivre de fierté et de joie, je me précipite dans la petite entreprise de mon père où, en compagnie de ses ouvriers et apprentis, il battait le fer et soudait dans le bruit strident des perceuses, l'odeur de la limaille et les gerbes d'étincelles des meules et des fers à souder. Je traversai en courant l'atelier vers mon Vulcain préféré qui, Ô stupeur freine mon irruption d'un air sévère ; déconfit je reste tout interdit et entends mon père m'intimer l'ordre de sortir du local et de ne m'adresser à lui que lorsque j'aurai souhaité le bonjour à l'ensemble du personnel.
Douche écossaise, piteux je m'exécute.
Les salamalecs accomplis, Crescent s'avance vers moi les bras ouverts et l'oeil brillant et me serre dans ses bras en me disant : "je sais ce que tu as à me dire et je suis très fier de toi", sous les applaudissements de l'assemblée je me mis à pleurer comme une Magdeleine.
Pendant toute ma carrière de DRH, je n'ai jamais donné un ordre, seulement des demandes justifiées et précédées d'un "s'il vous plaît"

J'avais seize ans, la cigarette n'était pas encore diabolisée et papa, bien sûr fumait, vous n'imaginez tout de même pas un acteur Hollywoodien, Cary Grant ou Humphrey Bogart, ne pas accompagner ses mâles émotions ou ses profondes réflexions sans les souligner d'une bouffée nerveuse ou diffuse de fumée.
Comment résister à l'identification de ces fascinantes créatures ? Eh bien, de temps à autre je prélevais une cigarette du paquet paternel pour m'octroyer des viriles nausées.
Un jour d'été, je lisais à l'ombre d'un arbre, lorsque la voix paternelle m'interpela :
- Kikin (les Espagnols ont la furieuse manie du diminutif, celui de Enrique est Kike, mais pourquoi en rester là ? le diminutif du diminutif donne le charmant et ridicule "Kikin")
- Oui papa (souvent mon père me parlait en sa langue natale, mais je lui répondais toujours en français)
- Toma (prends) me dit-il me tendant un billet de banque.
- Mais pourquoi, papa, rétorquai-je ? ravi mais grandement surpris.
- Para tabaco, porque prefiero un fumador a un ladron (pour du tabac, car je préfère un fumeur à un voleur)
Imaginez ma confusion...

Vient le temps de la faculté, me voici en Sciences Politiques en la ville de Bordeaux, berceau de la famille maternelle.
Chambre de bonne sordide et exigüe, un lavabo sur le palier, autant dire que la coupure du cordon ombilical fut une douloureuse épreuve...
Aux premières vacances de Noël je reviens au bercail où l'émotive Henriette, ma si belle maman, m'accueille entre rires et larmes ; l'émotion passée je n'ai qu'une hâte, enfourcher ma bicyclette et aller à l'atelier voir papa.
Stupéfaction : mon vélo n'est pas là où je le remisai habituellement.
- Maman, as-tu changé ma bicyclette de place ? Où est-elle ?
- Henri, ton père l'a donnée à François, son dernier apprenti.
- Mais enfin, maman, c'est ma bicyclette, elle est à moi, papa n'a pas le droit de la donner.
- Mon chéri, attends son retour, il t'expliquera lui-même.
Mon père rentre du travail à l'heure du dîner, je l'embrasse rapidement et passe tout de suite à l'attaque :
- Papa, ce n'est tout de même pas vrai que tu as donné ma bicyclette à ton apprenti ?
- Mais oui, Henri (évidemment ni Kike ni Kikin n'étaient plus compatibles avec, au moins un futur et respectable ministre ou ambassadeur)
- Mais papa, pourquoi ?
- Parce qu'il habite loin.
- Mais enfin c'est MON vélo
- Certes, mais lui en a besoin et toi, non.
Je ravalai mes récriminations et ruminai ma colère me promettant de trouver une vengeance à la hauteur de l'offense, mais je n'eus pas le temps d'assouvir mon sentiment d'injustice par de basses manoeuvres, le surlendemain je recevais un beau deux-roues flambant neuf.

Merci, papa.

Publicité
Commentaires
H
Merci ami pour ce moment délicieux passé à vous lire ...<br /> <br /> Beaucoup d'élégance et d'émotions contenues dans ce beau texte...🌹
Répondre
H
Tu lui ressembles Henri-Pierre, il t’a transmis les valeurs qui étaient aussi celle de mon père .<br /> <br /> Besitos amigo
Répondre
H
Je suis définitivement nostalgique de cette époque, de cette éducation, de cette élégance du corps et de l’âme… 🙏
Répondre
H
c est très emouvant!!!quel bel hommage à ton.papa 💞💞💞
Répondre
H
J'aime beaucoup votre restitution qui me parle... en profondeur, merci.
Répondre
Derniers commentaires
Publicité
Archives
Le blog de HP
Newsletter
Publicité