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Le blog de HP
20 octobre 2021

Jeannine, ma tante

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Jeannine est arrivée dans notre vie lorsque j’étais encore enfant.
Nous habitions alors Oloron-Sainte-Marie, ville si peu connue du Béarn malgré, pourtant, un si long passé historique.
Nous habitions alors à la marge de la cité, une vaste maison entourée d’un parc, mes sœurs et moi étions les « petits du château ».
Mais lesdits « petits du château »  tissaient des jours merveilleux de par la seule fertilité de leur imagination ; en cette demeure, dont je garde pourtant une mélancolie inextinguible, il ne « se passait jamais rien », n’étaient nos jeux, nos cabanes, une maman invisible dont j’étais le porte-voix et tant d’autres inventions pour oublier nos  solitudes ; les jours se succédaient les uns identiques autres.
Le propre des paradis est de ne les  reconnaître comme tels que lorsqu’ils ont fui…

Oloron était une ville bourgeoise cadenassée par les codes sociaux d’une époque qui ne remettait rien en question.

Et puis, Jeannine fit irruption dans notre vie telle une fée des temps modernes, lumineuse, les boucles platine et sophistiquées de sa permanente encadrant son ravissant visage aux lèvres carmin illuminé par la malice de ses yeux bleus ourlés de longs cils en éventail savamment allongés par la grâce du mascara.
Jeannine venait d’épouser Roger, mon oncle, le jeune frère d’Henriette, ma mère, fringant et magnifique officier de l’armée de l’Air, expert dans l’art de la séduction ; il est aisé de comprendre que Jeannine, après tant d’autres ait succombé au prestige de l’uniforme et à celui qui arborait avec superbe ses galons.
Ils se marièrent et eurent trois enfants…

Jeannine affola ce coin de la province béarnaise… Et moi, aux rêves plus grands que ce monde qui me semblait alors tellement étriqué, fus tout de suite son allié, car allié est le mot, la gent collet-monté, dont ma grand-mère qui voyait d’un œil soupçonneux cette « vamp » si Parisienne qui lui avait « volé son fils », était scandalisée par cette liberté d’allure, ces robes légères de couleurs claires, ce sourire engageant distribué à la ronde y compris aux hommes, rendez-vous compte, et qui plus est, oui, fumait. Pour moi, ses mégots au filtre couronné de rouge à lèvres étaient l’ouverture sur un monde magique tellement éloigné des élégances « convenables » des dames comme il faut d’Oloron.

Jeannine, ma nouvelle tante, tissa des liens de fraternité avec maman ; toutes deux, loin de la férule de Marie, leur mère et belle-mère, riaient comme deux pensionnaires et devinrent vite complices ; maman entre fascination et méfiance, porta des clips d’oreille au lieu des sacro-saintes  dormeuses de bon ton, elle hésita à hausser la hauteur de ses talons et, sans atteindre les dix centimètres, alla jusqu’au « 6-7 » pour ses escarpins. Il y eut même quelques affrontements, devait-on nouer un carré Hermès en laissant la griffe visible ou non ? Jeannine renouait ceux d’Henriette de façon à ce que « l’on voie que c’est du Hermès » et maman, dès que sa belle sœur avait le dos tourné s’empressait de masquer le sigle. De même pour le fard à paupières, maman essaya une légère ombre bleue, mais l’expérience ne dura pas plus d’un après-midi ; en revanche, jamais au grand jamais, elle ne voulut donner à ses ongles le long ovale sanglant qu’affectionnait sa nouvelle amie.
Mais elles étaient inséparables et je ne suis pas sûr que leurs langues ne se soient pas laissé aller à quelques assassinats chuchotés au creux de l’oreille.
Et puis Jeannine nous fit connaître toute une gamme de produits exotiques qu’ignorait notre lointaine province d’alors, par exemple le whisky qu’elle consommait en « long drink » et aux charmes duquel je succombais quelques années plus tard, mais sans l’additionner d’eau gazeuse, bien entendu ; et aussi, entre autres, la moutarde et les pilchards.

Passent les années, Jeannine, savait modeler son corps aux exigences des temps, ses robes du soir qui dénudaient ses épaules rondes de femme pulpeuse à la taille étranglée s’assagirent en lignes droites « princesse » caressant une silhouette plus longiligne en même temps que ses ondulations permanentées cédèrent la place à des chignons savamment arrangés.  
Bien plus tard ma tante opta pour un chignon qui n’appartenait qu’à elle posé fièrement comme  une coiffe bigoudène sur le sommet du crâne. Figurez-vous que lors des obsèques d’Henriette, Angel, mon petit neveu, lui demanda, en touchant de l’index le creux du chignon, où étaient les petits oiseaux.
Mais n’anticipons pas, de longues années restaient à vivre, avec des éloignements et des retours, des heurts et des bonheurs, mais toujours les cœurs à l’unisson.
Jeannine perdit prématurément ses deux aînés Françoise et Jean-François « Baby », elle et Roger s’installèrent définitivement dans un petit village près d’Oloron près de leur dernier, Hervé « Picou ». Le sourire de Jeannine perdit son éclat conquérant et, comme son regard, devint extrêmement doux et comme flottant.
Roger et Jeannine devinrent inséparables d’Henriette et de son compagnon Paul, ils vécurent les quatre une ère d’heureuse complicité.

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Jeannine et Roger venaient régulièrement à Charmes et même à Marrakech ;  ma tante toujours égale à elle-même arrivait, impeccable, le matin au petit déjeuner comme pour une visite, et, à Marrakech, elle partait seule courir les souks en tailleur rouge et chemisier au col lavallière savamment noué et chaussée d’élégants trotteurs, tout le monde l’avait adoptée et l’aimait, elle revenait à la maison prodigue d’anecdotes sur l’exquise amabilité du peuple Marocain.

Le 9 de ce mois d’octobre, Hervé par un SMS de la nuit me disait que « la blonde au chignon » s’en était allée ;  plus tard au téléphone nos voix tremblaient, le monde n’était plus le même.
Jusqu’à ce jour où je vous livre ces mauvaises lignes j’étais incapable de dire publiquement « à-Dieu » à Jeannine.

11mariage3 (21)

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Commentaires
H
Ce sont eux qui ne nous quittent pas, ma chère amie. Le lien d'amour est indestructible
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E
Quel talent précieux que celui de garder vivant les êtres aimés qui nous quittent...
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H
Cuánta ternura querido Henri-Pierre en el recuerdo de tu tía Jeannine.<br /> <br /> Me conmovió muchísimo.<br /> <br /> Besitos amigo
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H
Un très bel hommage pour votre chère tante...au regard si doux !<br /> <br /> ❤️
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H
Bravo cher ami c’est magnifique à lire et,on peut tout à fait imaginer cette complicité entre deux femmes aussi raffinées et élégantes.<br /> <br /> Merci d’un tel partage je t’embrasse
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