Le blog de HP

Au fil de mes paysages mentaux

mercredi 15 juin 2022

LES PARFUMS D'HENRIETTE

 

025 - Copie

Henriette

Henriette, ma mère.
Belle elle fut, et séductrice aussi.
Mais séductrice sans ostentation, avec une science très juste de l'expression, de la gestuelle et de l'élégance de bon ton.
Vouée aux bleus marine et blancs, elle ne se permit de couleurs et d'imprimés qu'à l'orée des quatre-vingts ans.
Pour compenser la fraîcheur évanouie ? Peut-être, oui, sûrement. Elle me surprenait encore...

Entre les deux pôles illustrés ici, l'épouse et mère obligatoirement comblée et, comment dire ? (ni vieille, ni âgée, ni même mûre ne lui convenaient) ... disons alors le "rivage ultime", maman usa de trois parfums, du moins ceux qui ont marqué mon souvenir.

Trois parfums qui jalonnent les époques de ses élégances.

Ce sont ces trois senteurs qui, dussé-je vivre cent ans, me resteront en mémoire.
Car il existe, croyez-moi, une mémoire olfactive.
Je vous présente ce triptyque de la parfumerie atemporelle sur le rayon du souvenir.

 

Époque "Jolie madame", souvenirs d'enfance :  Soir de Paris. Bourgeois

soir de Paris

Bel âge que celui de cette petite enfance où même un petit garçon a le droit de pleurer, de minauder en petites moues affectées pour attirer le sourire de sa maman adorée, heureuse époque que celle d'assister au rituel des dernières retouches devant le miroir de la coiffeuse (Henriette appelait d'ailleurs ce meuble une "coquette"), à l'époque point de "compact", mais les merveilleux nuages de poudre fixée sur une base de crème qui donnaient une matité de rose thé au visage, point de fard à paupière jugé "non convenable", pas plus que de rouge à joues "voyant", juste un rouge à lèvres discret.
Suivaient les multiples coups de brosse et passages de peignes pour ordonner les ondulations de la coiffure, et, enfin, enfin, diffusé par le vaporisateur (le "spray" n'avait pas encore envoyé ad patres les diffuseurs, vaporisateurs et autre, brumisateurs) le petit faisceau de fines goutelettes de "Soir de Paris" ; Ah, le cristal bleu nuit et or du flacon, les étoiles c'est moi qui les voyait dans la driapure des goutelles absorbées par le châtain profond de la chevelure...
Qui se rappelle encore cette odeur si "New-Look", poudreuse et profonde aux touches sensuelles de nard ?
Tenez, j'ai à ce propos une anecdote que je crois avoir consigné sur un écrit antérieur : Maman était dejà passée à un autre parfum, "Soir de Paris" démodé par des senteurs plus légères et "dynamiques" avait disparu des parfumeries ; sauf que, un parfumeur du boulevard de Sébastopol, champion dans la redécouverte de jus anciens et dont j'étais un client fidèle, en présenta un jour tout un réassort. Imaginez mon émotion, je payai le flacon un prix stratosphérique et, tremblant d'émotion, le donnais à maman lors d'un séjour familial à Bordeaux.
Henriette, distraite, eut un sourire de politesse diffus et gentil et reposa l'objet sur la table avec un "oh ! c'est amusant mon fils, je croyais que ça n'existait plus". Jugez de ma déconvenue.

Époque de moi adulte : Vivre. Molyneux

molyneux-vivre

Il me fallut un jour, apprendre à vivre sans ma mère, la séparation commença en douceur, mes parents habitaient alors à Oloron-Sainte-Marie et j'étudiais à Bordeaux, puis partis six ans au Maroc pour m'installer enfin à Paris, lorsque je rentrai en France.
J'avais une amie, Laura, mannequin chez Molyneux qui me convertit au militantisme du parfum de la maison, "Vivre", ainsi nommé car censé "réveiller" la vieille institution qui n'avait pas su prendre le virage de la diffusion en série (en vain d'ailleurs). J'en offris donc un flacon à maman lors d'un séjour de vacances en famille et Henriette l'adopta ; je pris donc l'habitude de lui en apporter un à chacune de mes visites ; cependant, des trois parfums qui font l'objet de ce billet c'est sûrement celui qui m'a le moins marqué, nous ne nous vivions plus qu'en pointillé.

Le dernier parfum : First. Van Cleef & Arpels

 

15 juin 2022

Drôle de photographie, n'est-ce pas ?
Je vous explique, définitivement fixé à Paris, je venais deux à trois fois l'an chez mes parents pour les fêtes carillonnées ou familiales.
Un "chez mes parents", devenu avec le temps "chez maman", mon père nous ayant faussé compagnie à l'aube de ses soixante ans.
Ah Henriette, ce fut notre tour, à nous tes enfants, de s'occuper de toi, ton imprévoyance et ton mépris de l'argent exacerbé par une inextinguible soif de paraître, mirent à mal tes faibles moyens au profit d'une garde-robe toujours en excellente santé (et j'interdis à qui que ce soit de me faire la remarque que les chiens ne font pas de chats, compris ?).
Bref, nous étions obligés de t'aider dans le pratique puisque du superflu tu savais si bien t'occuper.
Te faire un cadeau pour les étrennes ou ton anniversaire était un casse-tête, les carrés Hermès ne te plaisaient plus, je risquai bien une robe mais les manches montées et structurées te déplurent, alors j'entrai dans une parfumerie et une vendeuse avisée me recommanda "First" de Van Cleef ; je me laissai convaincre malgré l'américanisme du nom. Tu n'aimas pas, Henriette, tu adoras. Et à chaque anniversaire, à chaque séjour de Noël, je n'eus plus à me préoccuper de la nature de ton cadeau, ce fut ce parfum.
Jusqu'à la fin.

Quand Henriette mourut, je trouvai son dernier flacon de "First" entamé, je le gardai comme une relique, il y a de cela onze ans, peu à peu le contenu s'évapore malgré l'étanchéité de la fermeture.
Les essences sont volatiles comme le temps.

Il y a de cela quelques jours, je trouvai chez un brocanteur de Joinville un présentoir de parfumerie dédié "First" de van Cleef ; j'ai pu enfin donner au dernier flacon l'autel de la mémoire qui lui convenait, c'est désuet et tendrement kitsch, c'est aussi évocateur de la dernière période d'un "luxe discret de la bourgeoisie" avant que les tapages racoleurs ne hurlent dans les vitrines.
Les essences du dernier flacon de parfum d'Henriette peuvent s'évanouir le temps qu'il leur plaira, je peux le mesurer en levant les yeux sur sa fin en gloire. Jusqu'à...

Posté par Henri_Pierre à 18:05 - Commentaires [27] - Permalien [#]

Commentaires

  • Les parfums de ta mère

    Ah Hp

    Jusqu'à...
    Ces trois points de suspension
    Ce tremplin
    Ce départ
    Cette partance
    Cette envolée
    Pourquoi pas
    Tes sentences me manquent
    Elles accompagnaient si bien
    Les traits comme les mots
    Que j'inscrivais
    Au fil de mes articles
    Sans parler de Jeanne
    Où je frémis
    Est-elle aussi ?
    Parti rejoindre
    Ces points de suspension
    Ces photos
    Ces mots si sûrs
    Si souples
    Explosifs
    Tendres
    Et volontaires
    Et maintenant
    Avec cette essence
    Que tu fais voltiger
    Des parfums de ta mère
    Je me laisse accaparer
    A mon tour
    Par chacune de tes phrases
    Je t'ai lu jusqu'à...
    Maintenant
    Je ne pris pas le temps
    De répondre
    Car le temps qui s'enserrait
    En nous
    Ne me prédisposait plus
    A abandonner
    A la suite des tiens
    Mes propres jets d'écriture...
    Volatil en effet
    Mais nous demeurons
    Attaché
    Chacune et chacun d'entre nous
    A ces souvenirs olfactifs
    Oui cette mémoire des odeurs
    Est incroyable
    Elle peut aussi bien
    Vous rappeler les belles minutes
    Dans ces fragrances tendres
    Mais aussi des temps plus durs
    Ou plus sordides
    C'est selon
    Ce que nos sens
    Nous rappellent
    Nous évoquent
    Selon les réminiscences
    Qui nous possèdent
    Dans ces moments fous
    Flous parfois
    Où nous abordons
    Les rivages
    De nos histoires
    Nos enfances
    Que nous souhaitons
    Retrouver
    Que nous avons oubliées
    Dont nous évoquons
    Alors chaque fantôme
    Silhouette
    Ombre
    Ces éclats lumineux
    Ces branches
    Et ces racines
    Profondément ancrées
    En nous
    Tous ces personnages
    De notre passé
    Oubliés ou perdus
    Mais qui
    Comme aujourd'hui
    -grâce à tes mots-
    Que mes yeux ont suivi
    De ligne en ligne
    Se sont brusquement
    Laissé redécouvrir.

    Donc HP
    Merci pour cela
    Merci pour ce verbe
    Toujours aussi vibrionnant
    Nourrissant
    Enrichissant
    Pour mon âme
    Lui offrant
    Toutes ses substances
    Ses essences
    Ses "goutelles"...

    Posté par Eric, mercredi 15 juin 2022 à 19:06
  • à l'oreille

    C'est de Murmure du même Van Cleef dont je me contente depuis ...2004
    pour des bises parfumées.

    Posté par Marie, mercredi 15 juin 2022 à 20:06
  • Huuum ! ça sent bon chez toi...
    C'est tellement important le parfum... ça fait 50 ans que je ne vais plus chez le coiffeur, mais je ne saurais jamais me passer de parfum...

    Posté par eva, jeudi 16 juin 2022 à 09:47
  • @Éric-Andréas

    Oh merci, merci, cher ami, je suis ravi et ému de cette magnifique réponse

    Posté par Henri-Pierre, jeudi 16 juin 2022 à 11:53
  • @ Marie

    Est-ce cette fragrance qui vint un jour, lointain, sous un parapluie, épingler à jamais un souvenir furtif ?
    Baisers tout plein, ma Marie

    Posté par Henri-Pierre, jeudi 16 juin 2022 à 11:55
  • @Eva

    Et tu as bien raison, un parfum est la dernière touche indispensable, d'autant plus que, Ô miracle, chaque peau donne au parfum sa fragrance toute personnelle

    Posté par Henri-Pierre, jeudi 16 juin 2022 à 12:00
  • De Christine Lorent sur fbk

    Ce présentoir est magnifique ! une vraie célébration du parfum, tellement loin de ces « cartonnages » que l’on voit maintenant !

    Posté par Henri-Pierre, jeudi 16 juin 2022 à 15:45
  • De Pierre Perrin sur fbk

    Ton évocation fonctionne presque ainsi qu’une nouvelle, cher Henri-Pierre. « nous ne nous vivions plus qu'en pointillé. » Bonne soirée.

    Posté par Henri-Pierre, jeudi 16 juin 2022 à 15:46
  • d'Anne Wendling sur fbk

    Magnifiquement écrit. Ma mémoire olfactive est celle qui est la plus ancrée en moi

    Posté par Henri-Pierre, jeudi 16 juin 2022 à 15:47
  • De Janine Martin-Sacriste sur fbk

    ... ces évocations tendres et parfumées vont me bercer cette nuit.
    Mon fils, prodigue à mon égard les mêmes attentions.
    Je suis ainsi doublement touchée par ton texte.

    Posté par Henri-Pierre, jeudi 16 juin 2022 à 15:48
  • d'Eliane Olivier-Calvisi sur fbk

    Merci Henri Pierre pour cet hommage à ta chère maman. La mémoire des souvenirs et des odeurs est toujours liée … et lorsqu’il s’agit de parfum … c’est un miracle Douce nuit

    Posté par Henri-Pierre, jeudi 16 juin 2022 à 15:49
  • d'Hennie Claude sur fbk

    Des souvenirs touchants. Ces odeurs qui nous restent à jamais. Bisous

    Posté par Henri-Pierre, jeudi 16 juin 2022 à 15:50
  • d'Olivier Bauermeister sur fbk

    « Mon âme voyage sur le parfum comme l’âme des autres hommes sur la musique. ». Baudelaire a tout dit à propos de la sorcellerie évocatoire des odeurs, des senteurs, des « fragrances »… L’odorat, plus peut-être que les autres sens, a en effet le pouvoir magique de nous ramener instantanément dans le passé, dans un télescopage d’images et d’émotions.
    Belle évocation et bel hommage, mon cher Henri-Pierre, qui parlent probablement à nombre d’entre nous. (Je ne puis sentir « Calèche » ou « Jardins de Bagatelle » sans ressentir immédiatement la présence aimante de ma mère.)

    Posté par Henri-Pierre, jeudi 16 juin 2022 à 15:51
  • De Colette sur fbk

    J'ai un charmant souvenir : dans l'immeuble où elle habitait, les enfants qui prenaient l'ascenseur derrière elle, disaient "ça sent Henriette".

    Posté par Henri-Pierre, jeudi 16 juin 2022 à 15:51
  • De Luisa Vicenzi sur fbk

    Parfums, odeurs, même légères, mais des souvenirs évocateurs indélébiles qui nous réveillent soudainement, nous tournons la tête et changeons de direction, pour un instant nous vivons dans le passéUn parfum qui me rappelle ma mère : "Eau de Rochas"

    Posté par Henri-Pierre, jeudi 16 juin 2022 à 15:52
  • De ghislaine d'Hérouville sur fbk

    Quel joli texte qui fait resurgir les souvenirs de nos chères Mamans… j’adorais ouvrir en cachette la boîte de poudre de riz Bourjois( avec un J comme joie disait la réclame de l’époque ) et secouer la houppette … Merci!

    Posté par Henri-Pierre, jeudi 16 juin 2022 à 15:54
  • D'Elisabeth Lafont sur fbk

    Quelle belle écriture, Henri-Pierre Rodriguez, et que de beaux souvenirs sur votre mère et ses parfums. Comme un parfum, justement, nous poserons délicatement dans le creux de notre cou, vos mots pour les déguster comme une "fragrance". Hommage aussi à celle que fut votre mère 🌹

    Posté par Henri-Pierre, jeudi 16 juin 2022 à 15:55
  • de Claude-Alain Planchon sur fbk

    Quel bel hommage, mon cher Henri-Pierre Rodriguez Gabriel Chanel disait q’une « femme sans parfum n’avait pas d’avenir! » Ta maman a l’avenir de tes souvenirs et elle a bien de la chance.
    Tu remarqueras que je n’ai quasiment jamais rien écrit sur ma mère. Paule était bIen au-delà des mots et je n’y arriverais certainement pas aussi bien que toi. Maman a été fidèle toute sa vie à un seul homme, mon père qui ne le lui a pas rendu, comme à un seul parfum « Jicky » » de chez GUERLAIN 🤗

    Posté par Henri-Pierre, jeudi 16 juin 2022 à 15:58
  • pour un anniversaire

    C'était le 18 juin 2013 et la pluie s'en est mêlé diluant la senteur sous le parapluie rouge - le pull aussi et rien n'est effacé. Bises douces

    Posté par Marie, jeudi 16 juin 2022 à 19:45
  • @ Marie

    Je me souviens, comme si c'était hier... Baisers

    Posté par Henri-Pierre, vendredi 17 juin 2022 à 11:31
  • De Perl Zyl sur fbk

    Votre texte respire par-dessus tout la fragrance de l’amour d’un fils pour sa mère. Quel bel hommage... À travers vous, elle est encore vivante...

    Posté par Henri-Pierre, vendredi 17 juin 2022 à 11:33
  • de Danielle Pean Le ROux sur fbk

    "les essences sont volatiles comme le temps"... Mais ces souvenirs là en revanche sont bien ancrés et évoqués avec tant d'amour.

    Posté par Henri-Pierre, vendredi 17 juin 2022 à 11:35
  • De Beatrice Decleve sur fbk

    Chouette ce blog .... et bien volontiers votre belle écriture pour le Club des Cinq .... !

    Posté par Henri-Pierre, vendredi 17 juin 2022 à 11:36
  • De Juana Francisca sur fbk

    Percioso escrito Henri-Pierre Rodriguez .El olor de las madres no se olvida jamás , ese olor natural que tanta seguridad nos daba y su perfume ,claro, tampoco se olvida .Mi mamá olia a jabón de la Toja y a jabón Heno de Pravia , aqui en esa época no habia para mucho más y olia a mestranto cuando tendia la ropa en la pradera.

    Posté par Henri-Pierre, vendredi 17 juin 2022 à 11:38
  • Quel magnifique hommage à ta maman Henri-Pierre ! Si j’ai oublié le son de la voix de la mienne, ses parfums dont First également sont restés gravés dans ma mémoire. Elle m’a transmis ce goût pour le parfum qui est devenu comme un sceau.

    Posté par Jeanine, mardi 21 juin 2022 à 01:29
  • @ Jeanine

    Oh merci, ma jeanine de ta visite ici. Hasta pronto amiga del alma.
    Y viva "First"

    Posté par Henri-Pierre, mercredi 22 juin 2022 à 16:29
  • de Michèle Ronin sur fbk

    Les souvenirs olfactifs sont effectivement très...prégnants. Et vous, Henri-Pierre,
    vous rendez un bel hommage tendre à une mère aimée ! J'aurais voulu vous suivre peut-être pour m'inventer aussi un amour de mère. Hélas ! si la mienne partagea aussi le même parfum au début, "Soir de Paris " fut associé au dégoût que ma mère m'inspirait. Puis ce fut "Air du temps" de Nina Ricci. Idem ! Et pourtant à son décès, j'emportai, un peu à contre -coeur, la dernière boîte. Pourquoi ? J'aurais dû normalement la jeter. C'était du masochisme car elle est là chaque matin sous mes yeux pour me rappeler l'amour désiré, refusé, l'amour en creux. C'est pourquoi je lis avec nostalgie votre hommage.
    La séduction des parfums est une alchimie secrète étonnante. Et je sais quel rôle positif mes propres parfums ont joué auprès de mon entourage. J'en suis d'ailleurs toujours étonnée, comme si je ne le méritais pas !

    Posté par Henri-Pierre, mercredi 22 juin 2022 à 16:33

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