Une vie de chien
Tu t'appelais Chitan, mon chien, mon ami, mon fidèle.
Chitan, "Satan" en arabe, nom-transfert peut-être, puisque c'est le sobriquet que m'ont valu mes facéties dans mon chez-moi marocain.
Tu es né un 17 mars 2006 dans le petit élevage champenois de Vallant-Saint-Georges et tu avais deux mois et demi en ce mois de juin quand tu entras dans notre vie à Charmes, le printemps t'allait bien.
Tu nous a quittés ce 12 décembre 2018 après 12 ans, 8 mois et 12 jours de complicité et d'amour, l'hiver t'allait mal, mon Solaire.
Nous étions loin, mon Élégant, tu as voulu partir en toute discrétion, merci.
Yannick qui t'aimait t'a enseveli dans un petit cercueil confectionné par ses mains... mais la terre froide n'était pas ton élément, mon Aérien ; de toi je veux garder l'image de tes acrobaties dans les airs, préludes aux allègres plongées dans l'étang.
Mon Dieu, combien étais-tu beau mon petit braque...
Tu as passé ta vie à Charmes, à part quelques vadrouilles non autorisées et les rituels "suivis" chez le vétérinaire ; la grande maison, ses dépendances et son vaste parc ont été le théâtre de toute ta courte et riche vie.
Tu n'as pas été le premier chien de Charmes, Belle, ce magnifique fauve de Bretagne que la route nous avait donnée, t'avait précédée, il fallait bien lui donner un compagnon, et ce fut toi...
Une annonce en ligne nous amena jusqu'au lieu où tu devais naître, tu étais encore dans le ventre de ta maman... Deux mois et demi plus tard, nous te ramenions dans un carton tapissé d'un vieux chandail et posé sur mes genoux, ton sommeil fut de courte durée, mon Curieux, dressé sur tes petites pattes, tu regardais droit devant toi la route qui t'amenait vers ton destin, notre destin commun...
Ton enfance se déroula sous la férule de l'attentive Belle qui prit ton éducation en main, au premier et seul pipi dans la maison, ce fut elle qui te sortit manu militari, et à part les franges d'un fauteuil-crapaud, pas si beau que ça au demeurant, aucun méfait n'est à compter à ton actif.
Tu étais un petit chien comblé, baignant dans l'amour de tes maîtres entièrement conquis et celui de ta mère de substitution, tes jouets étaient abondants et avant de les déchiqueter avec obstination, tu nous organisais des concerts stridents de carottes et poissons en caoutchouc.
Très vite, le couvert du cyprès de Lawson est devenu votre QG, il faut dire qu'à la croisée de tous les itinéraires autour de la maison, il est un excellent poste d'observation.
Pendant les temps heureux de l'adolescence et de ta belle jeunesse s'est affirmé le caractère d'un animal somme toute assez particulier, spécial et terriblement présent.
Je ne sais qui a inventé la maxime selon laquelle il ne manque aux animaux que la parole ; les regards et la gestuelle sont un langage éloquent qui disent toutes les demandes, les attentes, les sentiments et les émotions et puis il y a les aboiements, de colère, d'appel, d'avertissement, de joie, etc. Chitan donnait de la voix puissamment, obstinément, mais, aussi et surtout, il modulait toute une palette de sons variés, maugréant, affirmant, contestant, approuvant, réclamant, à la grande surprise de qui assistait à nos "dialogues". Mon Bavard impénitent...
Il aimait être le centre du monde, si je le revêtais d'une nappe-cape à traîne, il se pavanait avec componction, à pas comptés, ivre des acclamations de l'asistance. Mon Vaniteux.
Racé et vigoureux, sa vétérinaire voulait le faire "homologuer", nous avons décliné, nous n'allions tout de même pas atteindre à sa dignité par des jeux aussi dégradants que les concours de misses...
Mais dieux, qu'il était énergique, il s'adonnait à tous les exercices physiques que le vaste domaine lui rendait possibles, sauts dans l'étang et nages effrénées, tout était prétexte à faire jouer sous sa robe truitée le magnifique jeu de sa puissante musculature. Mon Intrépide, mon Facétieux.
Mais aussi et surtout, Chitan avait un trop plein d'amour qu'il distribuait avec enthousiasme et une entière confiance, jamais je ne l'ai vu faire montre d'agressivité, quémandeur de caresses il séduisait tout un chacun, allant jusqu'à attendrir les plus réfractaires au monde canin, mes plus délicieux souvenirs avec lui sont ces longues siestes où je sentais son petit coeur battre la mesure de son affection sur ma poitrine ; ne dormant plus, je ne bougeai pas pour ne pas le réveiller, il ronflait comme un sonneur et ses vibrations sonores me berçaient à la vie. Mon Tendre.
N'oublions tout de même pas qu'un braque allemand est un chien dit de chasse, et que Belle, fauve de Bretagne, aussi, l'une chien courant et l'autre chien d'arrêt ; à tous deux nous leur devons de sacrés carnages ; en vrac : renards (les pauvres), ragondins (tant mieux), putois et belettes (tant pis), oiseaux (les pauvres encore), un chevreuil (quelle horreur) et les cinq canards des gardiens d'alors (je leur avais bien dit de ne pas les lâcher)... j'avoue, que pour moi, l'opposant à la chasse, ce ne sont pas là les titres de gloire que je lui décerne, mais bon,il paraît que c'est atavique... Mon Cruel.
Les années passant, l'épisode Belle prit fin sur la route fatale sous le choc d'une voiture en ce jour de malheur du 13 février 2011.
Le désarroi fut total, Chitan, pour la première fois de sa vie me lécha frénétiquement les visage en poussant des cris déchirants, il mit deux ans avant de réintégrer son "nid" sous les cyprès de Lawson, sa seule vue l'attristait. Mon Fidèle en amour.
Ne pouvant laisser l'orphelin sans compagnie, nous décidâmes de lui donner un compagnon de jeux adulte, une semaine après la mort de Belle, nous amenâmes Chitan à la SPA de Chaumont et, de concert, ce fut Donuts, un bleu de Gascogne, tricolore et quatre-oeillets, autre chien d'arrêt au regard profond et qui n'aboyait pas frénétiquement, qui fut élu. Cependant, circonspect et pour mettre les choses au point, Chitan, s'installa sur mes genoux, histoire de montrer au nouveau "frère" à qui j'appartenais. Mon Jaloux.
Mais ils devinrent vite inséparables.
Les années filent, vite, Chitan avait onze ans révolus et la vie de nos compagnons à quattre pattes étant courte, il fallut, la mort dans l'âme, prévoir une "transition" douce.
Nemrod, un bébé drahthaar, autre chien d'arrêt, né le 24 avril 2017, vint augmenter la fratrie, en ce 9 août 2017.
Les trois amis ont filé le parfait amour fusionnel, une mini-meute qui entre deux courses folles et leurs jeux rien qu'à eux, adoraient nous tenir compagnie durant les heures de repos ou de travail, la maison leur restant toujours ouverte.
Je n'ai jamais éprouvé autant de quiétude que dans ces moments de recueillement rythmé par le souffle du trio à poils.
Chitan vieillissait, inexorablement, une hernie discale le rendit infirme de l'arrière train et, il y a un an, une opération dans une clinique de Reims lui rendit sa mobilité. Chitan, la rage de vivre chevillée au corps surmonta l'épreuve, je rends ici hommage à Jacques qui le veilla pandant deux mois, sa maison étant de plein-pied. Etonnament vite Chitan se remit à marcher, voire à courir, pathétique comme un petit jouet désarticulé, stimulé par l'impétuosité de Nemrod ses progrès étaient rapides et constants, allant jusqu'à se disputer bâton comme "avant".
Cependant Chitan ne s'aventura plus à nager, Mon pauvre Amphibie.
Nous sommes partis, en ce mois de décembre, à Ceylan en toute tranquillité, Chitan allait si bien...
Le reste je l'ai déjà dit.
Il n'y a plus de paroles, la mort d'un tel compagnon est la mort d'un proche. Une part de moi est partie et reste un grand vide.
Je remercie tous ceux, et ils sont nombreux, qui l'ont aimé.