Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le blog de HP
23 février 2018

Ivresse des mots

 

21 février 2018

Pour les amoureux des mots,  Il est des moments de grâce comme celui de se  réveiller un matin avec un "mot en bouche".
Un mot, de façon impromptue, sans aucun lien avec vos préoccupations du moment, a pris possession de votre entendement, s'est logé en vos esprits et, vous voila prisonnier de ce mot que vous dégustez comme une friandise, tournant et retournant les lettres dans la bouche avec gourmandise et faisant passer les sons, d'un coup de langue, du palais à la gorge ; à force de vous hanter le goût, de vous chanter en tête, le mot se vide de son sens pour ne plus exister qu'en musiques  qui souvent vous accompagneront toute la journée.
C'est là un grand bonheur.
Le mot pour le mot.

Je me rappelle, enfant, à l'époque des grands messes paroissiales auxquelles on se devait d'assister sans barguigner, le moment où, après les ennuis des interminables homélies et les tumultueuses émotions des grands orgues vrombissant de tous leurs tuyaux, venaient les prières à l'attention de la terre entière sous forme d'invocations à tous les saints dont est si féconde notre Mère Église, chacune ponctuée de l'invariable "priez pour nous".
En mai, Mois de Marie,  la Madone était particulièrement à l'honneur et célébrée par l'assistance récitant à l'unisson les fameuses litanies à la Vierge, et là, soudain, sous l'oeil de Dieu et de tous les saints, la magie opérait, magie des mots dont le sens profond échappe aux enfants dont les sensibilités bercées et possédées, s'embarquaient en nefs de lumière vers de sublimes voyages en des pays inconcevables, tanguant et roulant sur les vagues lancinantes de sons merveilleux.
Turris Eburnea, Tour d'Ivoire, que cela est beau et que savions-nous, nous, pauvres ignorants que ladite tour est l'image du cou de la bien-aimée dans les littératures de l'aube des temps ? Tour d'ivoire...
Tour d'ivoire, balancier à droite, Domus aurea, Maison d'Or, balancier à gauche.
Volutes d'encens et Rose Mystique (elle ne doit pas avoir d'épines celles-là, à moins que la tentation du cilice...) se mêle aux fumées pour aller hanter les voûtes, Tour de David, la rassurante pesanteur de la divine forteresse nous redescendait sur terre.
Arche de la Nouvelle Alliance coup d'encensoir à droite, Porte du Ciel, coup d'encensoir à gauche, nous sommes possédés des mots.
Etoile du Matin (Stella Matutina sur la page de gauche du missel) et l'âme extatique, assoiffée de hauteurs ineffables, s'envole de nouveau vers les hauteurs embrumées de fumées d'encens des colonnes, Splendeur du Monde, retour au sol, en l'occurence parterre de rinceaux de mosaïques aux nombreux éclats d'or.
La litanie devient incantation, l'Ève Nouvelle et aussi Fille de Sion, idole maternelle et inaccessible, consolatrice pour qui sait se résigner à prier encore pour être entendu et prometteuse de divines félicités, s'est emparée de nos sens et nous flottons encore, après la dernière invocation, dans la béatitude opiacée des drogues de l'esprit.
Je me demande si je n'en viendrais pas à ressentir, oh très peu rassurez-vous, les extases douloureuses de la transverbération décrite en termes quelque peu équivoques par sainte Thérèse d'Avila.

Bon, oui, j'ai l'air de me moquer, comme ça, je ne suis tout de même pas prétendant à l'imprimatur, mais, tout de même, il m'arrive encore de ressasser mentalement ces litanies, imaginez la mine que j'aurais si j'étais surpris à les psalmodier à voix haute, jusqu'à l'étourderie aux portes de la stupeur.

Lecteur insatiable, les livres, me convièrent dès mon très jeune âge à des festins de mots pour lesquels j'ai toujours gardé le même appétit.
Mes premières lectures d'adolescent rêveur, me plongeaient dans les mondes fantastiques de magiciens des mots depuis quelque peu oubliés. Koenigsmark de Pierre Benoît : Aurore de Lautembourg-Detmold, je lis et relis le même nom en boucle, Aurore de Lautembourg-Detmold, comment poursuivre avant que d'avoir savouré jusqu'à épuisement cette mélodie de langueurs brisées pat le les dentales qui les rythment.
Première apparition de la princesse, elle n'a pas une robe, mais est vêtue d'un "enroulement de velours vert Metternich". Puissance de l'image de l'ensorceleuse ondoyante sous la voluptueuse mollesse d'une étoffe qui n'a du si peu frivole diplomate que le nom.
Et Mélusine de Graffenfried... Un nom pareil, lui aussi dégusté ad libitum, ne pouvait appartenir qu'à une enchanteresse à figure d'ange mais au coeur pétri de manipulatrices duplicités.

Lucien Bodard et cette vallée des roses où revit toute une Chine révolue aux moiteurs étouffantes contée par des avalanches, des cataractes, des flots et des bourrasques de mots s'alliant, s'entrechoquant, s'enlaçant et se bousculant... Richesse inouïe d'un vocabulaire à saturer le plus exigeant des dictionnaires

Je ne rendrai jamais assez grâce aux mannes de Flaubert pour m'avoir ouvert la porte de rêves éveillés aussi coruscants et colorés que les raffinements barbares d'un monde englouti et fantasmé, celui du Carthage d'Hamilcar Barca.
Je parle bien sûr de Salammbô, la princesse punique morte pour avoir touché le voile sacré de Tanit, le merveilleux zaîmph ; "Salammbö", "Tanit", "Zaïmph" quel délicieux festin...
Et puis les mots évocateurs de visions improbables, la princesse vierge entravée d'une chaînette en or et juchée sur de hauts talons en brillantes plumes d'oiseaux, je ne sais toujours pas comment peuvent être des talons faits de ce précieux matériau, mais leur pouvoir de séduction ne tiendrait-il pas à leur impossible ?
Enfin, ramenant l'adolescent aux litanies de l'enfant, vient l'invocation à Tanit de la fervente et mystique Salammbö agenouillée sur le sol "de poudre d'azur semé d'étoiles d'or" :
" Ô Rabbetna !... Baalet !... Tanit... Anaïtis ! Astarte ! Derceto ! Astoreth ! Mylitta ! Athara ! Élissa ! Tiratha ! ... Par les symboles cachés-par les cystes résonnants...dominatrice de la mer ténébreuse, et des plages azurées, ô reine des choses humides, salut"
J'ai su cette invocation par coeur pendant longtemps encore et à les relire, ces mots traits d'union de mes âges, me procurent toujours le même frissonnant émoi.

Rassurez-vous, chers lecteurs, je ne vous infligerai pas la recension de tous mes rayonnages, je finis moi-même par ne plus démêler dans cette jungle des non-classés, le lu de l'attente de "l'en attente", mais je ne saurais finir cette ode aux mots sans, subrepticement, vous entrouvrir les portes du jardin du Paradou dont la vision de luxuriances d'edens interdits illumine La faute de l'abbé Mouret que nous a laissée cet autre  alchimiste des mots que fut Zola.

Les amours interdites de Serge Mouret et d'Albine ont pour cadre un parc retourné à l'état sauvage, où, sans soins ni entraves, les roses ont prospéré, se sont enlacées dans des unions tout aussi transgressives que celles des deux amants, dans un mélange étourdissant d'espèces et de couleurs.
Voici quelques mots-ivresse, extraits de cette déferlante, auxquels, régulièrement je m'abreuve jusqu'au délire :

"la pluie de roses, autour d'elle, sur elle, la noyait de rose"
"C'était une floraison folle, amoureuse, pleine de rires rouges, de rires roses, de rires blancs...
Les fleurs vivantes s'ouvraient comme des nudités... Il y avait là des roses jaunes effeuillant des peaux dorées de filles barbares, des roses paille, des roses citron, des roses couleur de soleil, toutes les nuances des nuques ambrées par des cieux ardents... les roses thé prenaient des moiteurs adorables, étalaient des pudeurs cachées...le rose franc, du sang sous le satin... les roses avaient leur façon d'aimer. Les unes ne consentaient qu'à entrebaîller leur bouton... tandis que d'autres, le corset délacé, pantelantes...d'autres décolletées en bourgeoises correctes, d'aristocratiques... d'une originalité permise, inventant des déshabillés"
Spirales de mots où se perd la raison, scansion du mot "rose", répété à l'infini, mis en abîme, ponctué ou noyé dans le flux de la phrase, allusions d'une précision audacieuse aux vierges et aux putains, à toutes les femmes fêtées, désirées ou possédées, consentantes ou atermoyantes, chahut des sons par-dessus les couleurs, panthéisme de visions où les enfers s'ouvrent sur des cieux, fête de tous les sens en mots, rien que des mots et dans l'infinie étendue du mot.

Puissance du verbe.

 

Publicité
Commentaires
H
@ Nikole : Bienvenue ici et merci de m'avoir fait découvrir votre pays de mots.
Répondre
N
... mais si ! :-) : http://loeildukrop.eklablog.com/quatre-ans-a126696724<br /> <br /> Bonne journée !
Répondre
N
... parfois des mots oui, qui se sont envolés dans mes souvenirs (comme des "oiseaux ivres") et quelquefois des images qu'on pourrait presque toucher !<br /> <br /> ( http://loeildukrop.eklablog.com/meandres-a127029558 )<br /> <br /> <br /> <br /> Comme tout cela me ... parle ! Merci.
Répondre
H
Chère, si chère,<br /> <br /> Babylone, Bab Ilou, Porte du dieu Ilou...<br /> <br /> Tes mots choisis sont des portes de rêves
Répondre
J
je lis de si bonne heure..<br /> <br /> et tes mots m'arrivent<br /> <br /> se bousculent<br /> <br /> m'étourdissent<br /> <br /> mes mots à moi sont des noms de villes lointaines<br /> <br /> genre babylone<br /> <br /> je t'embrasse <br /> <br /> il pleut à verse<br /> <br /> et c'est une autre chanson<br /> <br /> scribouillerie j'aime...
Répondre
Derniers commentaires
Publicité
Archives
Le blog de HP
Newsletter
Publicité