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Le blog de HP
6 août 2016

Varangues

L'écriture est une maîtresse capricieuse ; l'appel de votre table à écrire se fait insistant, pressant, impérieux et, enfin installé à votre bureau, le doute, le "à quoi bon", un vide mental vous paralysent et c'est ainsi que vous abordez les rivages de ce désert que je nomme acédie et plus vulgairement "assez-dit".

Ma plume, en mars dernier, s'est perdue dans les plis des traînes de la Comtesse Greffulhe, la belle égérie me la rendrait-elle ? Voila que je me raccroche à ce même mois de mars pour un retour vers cette magnifique découverte que fut l'île Maurice.
A vrai dire, dans l'amalgame crasse de l'ignorant, j'associais cette récente république indépendante aux paradis surfaits de cocotiers et sables fins où l'on cultive l'ennui en bronzant plus ou moins idiot ; seule l'insistance d'une famille de très chers amis résidents de l'île nous décida au voyage et... grand bien nous en prit.

L'île aux nostalgies ataviques de Le Clézio se présente sous un aspect mosaïque où églises, mosquées, pagodes chinoises, temples Hindous ou Bouddhistes coexistent en bonne intelligence témoignant du concours de toute une population bigarrée, panachée et hétéroclite au développement de leur jeune pays ; notons à ce sujet que le lien culturel continue à être la langue française et son "dérivé" le créole que l'intermède colonial anglais n'a pas supplantés bien que la langue de Shakespeare y soit communément parlée.
La réalité sociale est, bien sûr, plus complexe et les inégalités économiques indéniables, mais ceci bien des ouvrages spécialisés vous le diront mieux que moi si le sujet vous intéresse.
Alors, le but de ce billet du retour vers vous ?
Eh bien je vous propose donc le voyage des varangues, ces galeries à colonnes sur un ou deux étages qui établissent la transition entre l'en-dedans ombreux et le dehors riant aux éclats de tous les bleus intenses de ses cieux et des verts crissants de sa végétation constellée de fleurs aussi extravagantes qu'étincelantes.
Vous pensez à Tara et à son héroïne Scarlett ? Eh bien vous avez raison... de l'île ci-devant de France et désormais Maurice, de l'île de la Réunion autrefois Bourbon en passant par l'éternelle Louisiane, s'épanouit un magnifique patrimoine architectural français qui, selon les circonstances, survit, se dégrade, s'entretien, se restaure ou, hélas trop souvent, s'effondre ; je veux parler de ces "châteaux" exotiques inventés par les glorieux noms à plusieurs courants d'air de notre ancienne noblesse en mal de découvertes et de fortunes basées sur l'exploitation des ressources agricoles et... l'esclavage.

Les filtres indolents qui tamisent les lumières de ce beau domaine de Saint Antoine sont la couverture de l'album que je vous propose d'ouvrir.

09 avril 2016 (44) Saint Antoine

La chambre à coucher principale à l'étage du château de La Bourdonnais se prolonge par cette invitante varangue où notre imaginaire fait que flottent encore les effluves à la fois veloutés et âcres du premier café de la journée.

06 avril 2016 (65)

 Qui dit château évoque évidemment l'accès majestueux et mystérieux via le parcours de l'allée d'arbres qui préserve l'intimité de l'habitation  ; l'allée peut être aussi considérée comme une intronisation à la beauté qui se révélera à qui la mérite, entretenant ainsi la surprise.
La concession des terres, 186 arpents octroyées en 1777 à deux nobles orphelines, Marie-louise et Henriette Tréouart de Longpré, passa au gré des ventes entre plusieurs mains qui installèrent la première sucrerie, le domaine s'agrandissant jusqu'à 1400 arpents.
La demeure fut érigée de 1856 à 1859 par le nouveau propriétaire Christian Wiehe et c'est son successeur qui la fit magnifiquement restaurer en 2006 en même temps qu'il installait la rhumerie qui en fait désormais la réputation.
C'est à un voyage dans le temps que, sitôt les grilles franchies, nous sommes invités.
L'allée ombrée de ces magnifiques arbres aux ramures impressionnantes que sont les intendances dévoile peu à peu la géométrie de la double varangue rythmée par les colonnes aux ordres superposés, dorique pour le rez-de-chaussée, ionique pour l'étage ; les références au patrimoine de la mère patrie sont nombreux, les grilles en fonte sont en tout point semblables à celles, qui fondues dans l'est de la Champagne, allaient orner châteaux et places publiques de par le monde (il faudrait au demeurant que je fasse une petite recherche pour savoir l'origine de celles-ci), un inévitable bassin en eau y va de sa petite prétention à risquer un clin d'oeil à Versailles et, enfin, comme je vous invite à le voir, l'agencement et le mobilier de l'intérieur sont en tous points semblables à ceux de nos châteaux du milieu du XIXe siècle.

06 avril 2016 (5)

06 avril 2016 (12)06 avril 2016 (16)

Au rez-de-chaussée les pièces de réception s'ordonnent selon les normes des "bonnes maisons" de l'époque, le mobilier aux patines foncées des acajous et autres palissandres du style Napoléon III ou victorien selon les latitudes, en impose plus par le lourd confort bourgeois rassurant que par les nobles grâces délicates du siècle précédent, en chantant l'hymne de la réussite financière.
La salle à manger s'orne de magnifiques papiers peints panoramiques de la maison Zuber re-dessinés à l'identique par la même fabrique aux tarifs aussi impressionnants que sa longévité ; de façon quelque peu surprenante et anachronique, dans un décor de forêts septentrionales s'ébattent ou volent les gibiers "bien de chez nous".
Le grand salon s'organise autour de la même grammaire de profonds fauteuils sombres contrastant avec l'éclat des lustres à pendeloques de cristal, il semble conserver, prisonnières des velours et des tapisseries, les senteurs des cigares et les vapeurs des alcools qui en firent les beaux jours.
La chambre, elle, retirée et lumineuse tout à la fois réussit à créer une belle impression d'intimité malgré ses vastes proportions, l'ensemble frais et somnolent évoque, encore une fois, les langueurs coloniales d'Autant en emporte le vent.

06 avril 2016 (25)

06 avril 2016 (51)06 avril 2016 (61)

C'est à un botaniste Irlandais Charles Telfair (1777-1833) que nous devons la création du domaine de Bel Ombre ; sous son égide la région devint un intense foyer culturel, et notons au passage que notre naturaliste fut honoré de la légion d'honneur en reconnaissance de sa campagne en faveur de la maintenance de la Réunion dans le giron français.
La grande maison fut construite entre 1898 et 1910 date à laquelle s'installa une sucrerie suivie d'une diversification dans la culture de plantes endémiques. L'architecture reste fidèle à ce modèle colonial français qui, avec ses varangues superposées, nous est désormais familier, on note cependant l'emploi d'une pierre quasiment noire pour la construction des murs et des lourdes piles du rez-de-chaussée.
L'âme des lieux pâtit quelque peu de l'affectation des lieux a des fins uniquement commerciales.

07 avril 2016 (26)Belombre

Bel Ombre, et est-ce un hommage de la nature au premier occupant des lieux, s'enorgueillit de posséder le plus grand intendance de l'île, et le plus vieux aussi, il serait pluri-séculaire et sa ramure s'étale en un immense parasol d'un diamètre impressionnant.
L'allée centrale rythmée de bassins circulaires s'inscrit harmonieusement, sans aucune rupture, dans le cadre naturel célébrant la noce improbable du domestiqué et du sauvage ; pour les margelles et le gravier, le même matériau sombre que celui des façades a été utilisé participant ainsi d'une belle vibration chromatique avec le vert des pelouses et, plus loin, de la nature.
Dans ce salon, les boiseries de bois blond ainsi que le mobilier créent une atmosphère feutrée de club londonien ; faute de temps nous ne dégusterons pas ce soir un cherry-brandy en commentant les succès de l'équipe de cricket locale...

07 avril 2016 (25)Belombre07 avril 2016 (28)Belombre

07 avril 2016 (33)Belombre

Saint-Aubin, sur la route du thé qui produit le savoureux cru de Bois-Chéri (joli nom, n'est-ce pas ?) présente une architecture proche des chartreuses bordelaises avec son corps central en rez-de-chaussée uniquement flanqué de deux ailes.
La spécificité du corps de logis construit en 1819 consiste en l'utilisation pour son édification des bois de navires démolis ; l'escalier interne s'enroule autour d'un mât et sa charpente, quant à elle, est tout simplement une coque renversée. Je trouve assez plaisant et émouvant l'emploi de ce matériau, comme si les constructeurs avaient voulu ainsi matérialiser leur nostalgie de la mère patrie en la fixant symboliquement sur leurs nouveaux horizons via les traits d'union que sont les bateaux. L'alpha et l'omega d'un long sinon définitif exil.
Pour éviter les nuisances sonores des bâtiments industriels, le petit château fut déplacé en 1970 et les aménagements des jardins pavés de dalles très "earl seventies" s'en ressentent, mais l'ensemble, très simple, reste de bon aloi, même si du mobilier ancien il ne reste pas grand chose, l'excellent déjeuner créole qui nous y fut servi poussant probablement à beaucoup d'indulgence.

07 avril 2016 (42)Saint Aubin

07 avril 2016 (46)Saint Aubin07 avril 2016 (47)Saint Aubin

 Après les splendeurs de La Bourdonnais, la luxuriance de Bel Ombre et la singularité de Saint-Aubin, Les Aubineaux nous attendait discrètement pour nous réserver la surprise d'une grande maison familiale, une demeure élégante où le bien-vivre l'emporte sur le paraître. Une maison où l'on aurait aimé mettre fin à ses errances pour en savourer l'exquise intimité et  la quiétude familiale qui imprègne encore des lieux habités par ses propriétaires jusqu'au seuil du nouveau siècle. 
La belle maison, originale de par son avant-corps en saillie par rapport à l'inévitable varangue, est devenu musée en l'an 2000 dans le respect absolu des lieux qui ont conservé le mobilier d'origine, les tableaux et les photos de famille.
L'excellent et chaleureux accueil de Maxine D. de M. passionnée par l'endroit,  la liberté de parcourir les pièces à notre guise, nous donnèrent pour un temps l'impression d'être "chez nous".
Vous l'aurez compris, mon coup de coeur du parcours des varangues est incontestablement ce lieu de charme qu'est le château au nom délicieusement suranné des Aubineaux.

07 avril 2016 (56)Les Aubineaux

Comme nos hôtes je me ferai discret, la simplicité, cette véritable élégance, se passe très bien de l'inutilité des mots, je vous attends à la sortie et vous laisse vous imprégner de l'atmosphère nette et sans afféterie de ce salon, de l'équilibre fonctionnel de la lumineuse salle à manger et de la discrète invitation au repos de cette chambre si délicieusement provinciale.

07 avril 2016 (66)Les Aubineaux07 avril 2016 (69)Les Aubineaux

07 avril 2016 (67)Les Aubineaux

Reprenons la route, faisons une  halte dans l'aristocratique Curepipe aux fraîcheurs pluvieuses abandonnée par les vieilles familles au profit des plages du nord  et, disons un dernier au-revoir aux varangues en visitant le beau domaine de Saint-Antoine construit en 1830 par Edmond de Chazal au coeur des Goodlands ; la famille qui l'habite toujours propose aussi des tables d'hôtes.

09 avril 2016 (10) Saint Antoine


Paul et Virginie, éternels héros de l'île sont à l'honneur via une série de gravures de la fin du XVIIIe siècle, très pré-romantiques et qui narrent leurs tribulations jusqu'au malheureux dénouement.
Là aussi le charme familial est préservé, dans le salon quelques pièces de mobilier plus moderne viennent ajouter au confort moelleux tant apprécié de nos jours tout en se faisant discrets ; La très vaste salle à manger à l'écart du corps central baigne dans la clarté qui miroite sur le mobilier sombre et le plancher impeccablement fourbis.

09 avril 2016 (22) Saint Antoine09 avril 2016 (47) Saint Antoine

09 avril 2016 (36) Saint Antoine

 Ces maisons à varangues ne constituent pas une recension de toutes celles que recèle encore le pays, mais ce sont elles qu'il nous a été donné de voir et je les crois bien emblématiques de l'évocation d'un temps où l'île perpétua un art de vivre à la française sous des latitudes bien différentes.
Je me suis fait un devoir de consigner mes impressions ici, chers lecteurs, avant que le mercantilisme ne vienne à bout de leur âme où que l'incurie ne les efface à jamais.
Merci de m'avoir accompagné en cette route des varangues, merci à l'affectueuse famille V. sans laquelle le voyage n'aurait jamais eu lieu et à l'aimable Maxine, gardienne des mémoires, à qui je dédie ces lignes.

 

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Commentaires
H
@ Dalva : J'ai bien vu sur ton blog la part belle et sensible que tu as donnée à notre Ctsse, et j'ai beaucoup aimé.<br /> <br /> Acédie n'est hélas pas un mot de moi, il existe avec un sens différent que celui que je lui prête, et de cette paresse d'esprit l'église en a fait un péché...
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D
Merci pour ces jolis voyages.<br /> <br /> J'aime beaucoup l'acédie ! C'est un joli mot que tu as inventé. Quant à la comtesse Greffulhe j'ai moi aussi passé beaucoup de temps avec elle cet hiver : expo puis livre.
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H
@ Édith : Merci ma si chère de ta fidélité, et merci aussi pour ce mot "jachère" qui colore d'espoir les passages à vide.
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E
Ah la la quel plaisir Henri-Pierre, de trouver cette nouvelle fleur odorante sur ton blog ! Je revenais souvent lire d'anciens billets, attendant patiemment que tu nous emmènes à nouveau dans une de tes contrées chéries. Reçois mes baisers, partage-les avec Charles, et ne cesse pas d'écrire, même si des jachères de silences ont leur sens et leur fécondité, aussi.
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H
@ Mitcha : Facile... Facile... Enfin c'est fait, ouf !
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