D'un an l'autre
Les volets clos laissent filtrer un reste de jour.
Un jour de plus ou un jour en moins.
Le dernier jour de l'an deux-mille-quinze.
L'année s'en va, mystérieuse comme tous les cycles qui nous échappent mais dont le sens profond, inscrit dans les mémoires des hommes, et ce quel que soit le calendrier qui rythme leurs temps, ferme la porte sur le futur d'un présent mourant pour s'ouvrir sur le point d'interrogation de l'après qui se présente.
Nous voudrions échapper à la recension des moments qui ont tissé les douze derniers mois, se dégager de ce lieu commun d'un regard en arrière en une date qui n'est, après tout qu'une date comme les autres, s'affranchir aussi de ce poncif des bonnes résolutions qui jamais ne seront tenues de par la force des habitudes, de par l'emprise des velléités peut-être, mais aussi et surtout parce que nul ne peut prévoir ce temps à venir appelé demain.
Le temps se suspend en un moment de solitude.
Thé ou porto ? Les deux ? Lequel avant, lequel après ?
Mon Dieu, que la nuit tombe vite ! Tombe... Au fait pourquoi cette venue de la nuit, prélude au lever de la lune, serait-elle une chute ?
Avant dîner je m'octroie une pause entre les accotoirs d'un vieux fauteuil qui déja, il y a bien longtemps, se prêtait à mes lectures d'adolescent. Le meuble, ainsi que son jumeau, a changé de toilette à chaque fois que les usures faisaient injure à sa solennelle dignité Restauration d'une lourdeur quelque peu notariale, je lui ai connu au moins trois habillages et de ce dernier avatar, je suis le responsable. Toi aussi cher compagnon, d' Oloron-Sainte-Marie à Charmes en passant par Bordeaux et Paris, tu peux regarder derrière toi ; à qui tendras-tu les bras toi qui accueillis les repos de mon père et de ma mère ? Tes cicatrices comme celles de ces peu orthodoxes pattes de fer que mon géniteur fixa sans ménagement sur le dos de ton dossier brisé ne seront plus, après moi, qu'une verrue laide car hors mémoire ; quelqu'un t'affadira t-il d'une virginité nouvelle qui, te rendant une jeunesse factice, t'aura arraché ton histoire ? Une histoire qui, comme toutes choses, finira dans la vraie mort de l'oubli avant que toi-même, après un temps plus ou moins long au rebut, tu ne disparaisses à ton tour...
L'esprit vacant ne retient pas le livre aux pages inertes et qui glisse insensiblement vers le tapis ; le bruit amorti n'interrompra pas le flottement des pensées au-dessus du panorama des quatre saisons écoulées, je n'échapperai pas à ce retour en arrière, le poids de la coutume a raison de cette satanée propension vaniteuse à se vouloir situer hors des voies panurgiennes.
Un escalier que l'on gravit légèrement lorsque le coeur est en pacte avec le monde, lourdement lorsque les fatigues ou les tristesses vous plombent jambes et âme, des marches que l'on dévale ou que l'on descend gravement selon les impatiences, les peurs, les hâtes ou les apréhensions, les risques de chutes dans un sens comme dans l'autre, on peut toujours trébucher sur un écueil ou rater, par distraction, une marche. Avancées et reculs, chutes et élévations cette volée de degrés est à l'image d'un temps de vie, et je m'étonne moi-même de la cohérence subliminale qui nous a amenés à orner un mur de la cage d'escalier de ces quatre saisons allégoriques...
Je méditais, il n'y a guère, cette phrase découverte au cours d'une lecture disant grosso modo, pardonnez l'infidélité à la lettre, que l'essentiel n'était pas d'arriver à quelque chose mais d'arriver en soi. Je décidai que si j'avais une résolution à prendre en entrant dans l'ère nouvelle, ce serait bien celle là : être moi-même et non pas me modeler par paresse, peur du conflit ou simplement sociabilité, à ce que les autres attendent de moi, établir ce fragile équilibre entre la prise en compte des autres sans se renier et la marche en avant selon ses propres valeurs ou critères sans pour autant manquer d'attention aux autres (la fameuse marche ratée par inadvertance).
Mais je sais aussi qu'aller contre sa sensibilité se nomme également s'amputer d'une part de soi-même.
Alors...
Alors, ouvrons la fenêtre sur le premier matin de cette année toute neuve.
Un monde naît, voyez ces brumes, quand se dissiperont-elles ? dans une heure ou demain ? Peu importe, l'horizon bien que caché est là au bout du chemin qui s'ouvre devant nous, engageons-nous sans peur injustifiée et sans espoirs insensés, demain est à portée de main pour le temps qui nous est imparti ; que toutes les incertitudes ne ralentissent pas notre marche, le temps des vaticinations des pythies et des offrandes aux dieux capricieux sont révolus. Remettons-nous en à la providence quel que soit le nom qu'on lui donne, ne présumons ni de nos forces ni de nos chances, nous ne sommes ni maudits ni élus, nous avons une route à faire, alors faisons-là au mieux selon nos moyens, les yeux ouverts pour éviter ou contourner les pièges, peut-être aussi pour affronter les mauvais heurs et l'esprit débarrassé de tout dogme et de toute certitude pour croître et nous enrichir au creux de nos épreuves ainsi qu'à la liesse reconnaissante de ce qui nous est offert.
Mon Dieu, que je fais un piètre philosophe !
Je ferai mieux de rester simple et, sans ambages ni circonlocutions, vous souhaiter, tout bonnement, une bonne année.
Du fond du coeur.