D'aquarelle en torpeur, chronique d'un été
Été d'aquarelle.
Entre les surprenantes chaleurs de mars et l'avènement d'un vrai été début août, un ciel hystérique entre larmes et brefs éclats de rire, un ciel d'ouates diffuses, délayées dans le trop plein de pluies, un ciel où le bleu ne venait vous narguer que pour mieux vous faire la nique a joué la fraîcheur insolite de son rôle à contre-emploi à Charmes comme ailleurs.
Mi juillet, la rituelle promenade vers la source, donnait à voir, entre forêt et rivière, le spectacle d'un blé aux épis mûrissants au faîte de pailles encore vertes rendant la moisson impossible au grand désespoir des gens de la terre ayant déjà perdu leurs blés d'hiver suite à la persistance des grands froids.
Cependant, la délicatesse des jaunes et des verts aux étranges reflets roses sous la nuée de bleu noyé dans l'argent d'étoupe composait le tableau d'un rêve d'aquarelliste.
Mais, peu à peu, début août, l'aquarelle s'affermissait en gouaches, l'astre-roi s'emparait de la terre et, moi, l'homme du soleil, dégustait en ma tête les vers de Leconte de Lisle "Midi, roi des étés étendu sur la plaine..."
Dès l'aurore, les légers nuages de ce début d'août, hésitaient entre rose et rouge avant de se dissoudre en vrai été.
Notre chère église, qui bientôt serait à l'honneur en ce mois de Marie, lézardait, dorant son vieux crépi tandis que l'étang redevenait enfin le terrain de jeu privilégié des enfants.
L'été, enfin, est bel et bien installé.
Le Pavillon des T.
Avec les beaux jours, le pavillon des thés qui n'ouvre que l'été, peut enfin abriter mes siestes ; j'oubliais de dire que le thé y a rarement été dégusté, l'ouverture d'une bonne bouteille étant moins contraignante que la cérémonie des infusions, nous n'avons pas de geisha carpinienne...
Un changement est cependant venu filtrer, au dessus de mon petit lit de camp, la lumière et aussi protéger mon intimité de la proximité effervescente de gardiens qui reçoivent bruyamment autour de barbecues aussi malodorants que fuligineux.
Mais revenons-en à ces rideaux, brodés au point Richelieu pour les connaisseurs, et qui ont, bien sûr leur histoire...
Le linge si fin fut artistement découpé, déchiqueté, effiloché, torturé et assemblé enfin, en un véritable monument du style Troubadour ; Charles l'as des passions généalogiques sait le pedigree de ce miraculé du temps de ses arrières, je ne sais plus combien de fois arrière, mères grand.
Fut-il brodé par Marie-Marguerite Germain (1801-1876) ou, sous sa férule, par sa fille Jeanne-Angélique Maillochon plus tard épouse Fleurant (1840-1911) ?
Le débat reste ouvert, mais, entre veille et asoupissement j'avoue aimer me perdre dans ce monde récessif des livres illustrés de mon enfance où, entre chimères et guivres, preux chevaliers en armure et gentes dames aux invraisemblables atours à bannières, dit la nostalgie d'un temps imaginaire ancré ataviquement dans nos rêves et dont l'origine nous échappe.
Échappées.
Quelques sorties plus ou moins lointaines ont également ponctué ce mois d'août, ce mois de soleil.
Le 4 août, jour privilégié, Cédric, mon ancien étudiant, mon petit frère, mon grand ami, épousait en la chappelle de Pairis en Alsace, la ravissante Mathilde, ils étaient tous deux si beaux et si attentifs que je me sentis soudain immensément fier d'avoir accompagné de près parfois, de plus loin d'autres fois cet itinéraire. De mûrir en bonne et jeune compagnie a ceci de gratifiant que l'on commence à envisager de peu à peu s'effacer en paix, la relève étant assurée, et bien.
Une escapade, là où la Champagne et les Vosges flirtent sans vergogne, nous convainquent, si besoin était, de la beauté de ce pays quasiment ignorée, sous un ciel contrasté qui fait vibrer le moindre détail, force est de reconnaître la formidable séduction quasiment intacte de cette province.
Lifoll, ancienne capitale européenne du meuble, lorsque le meuble était affaire de menuisiers et d'ébénistes et non de "designers" à l'égo moulé dans la résine ou la matière plastique, se meurt peu à peu ; mais en revanche, quelle émotion de parcourir Grand la gallo-romaine au réseau de distribution des eaux si sophistiqué et dont la vaste mosaïque quasiment intacte de sa basilique étonne par ses proportions ainsi que son amphithéâtre (Ie au IVe siècles)
Sur le chemin du retour nous sommes impressionnés par les proportions du château (XIIe siècle) de Lafauche, la formidable construction défensive se justifiait par son voisinage avec la Lorraine.
Mais qui connait Grand et Lafauche ? Ah, bien sûr, si c'était en Italie, ces magnifiques témoins seraient recensés, inventoriés et partout imposés comme sujets d'étude...
L'événement.
En ce jour de forte chaleur que fut le 19 août a eu lieu en notre petite communne l'événement annuel qui draîne ici parents et amis, je veux parler de cette messe enfin ressuscitée après plusieurs années de sommeil.
Aussi avons-nous tenu à ce que ce jour soit le symbole de la résistance de notre village à sa dissolution dans une "communauté de communes" ; en vrais gaulois nous festoyons pour préserver dans la joie cette farouche lutte pour l'indépendance ; croyants et non croyants, pratiquants ou non, de rose ou de réséda, toute la famille carpinienne au sens large est réunie par nos soins pour un lunch mémorable, nous étions cette année une quarantaine dans la vaste orangerie où se tenaient les agapes à l'abri des ardeurs d'un soleil qui pour se faire pardonner son arrivée tardive se mit en tête de redoubler d'intensité.
Mais rien n'arrête la fuite des heures qui s'égrennent inexorablement tuant les jours l'un après l'autre.
On en revient inexorablement aux éternels retours de la fin des vacances de l'immortelle Comtesse de Ségur ; Sloane, la Lumineuse, ferme son pavillon, elle nous quitte pour ses ancrages de Maurice et d'Afrique du Sud où Oscar et Vadim continuent leurs études, elle a tout rangé, enfin, presque tout, elle n'a pas voulu séparer deux amants : la chaise et le liseron de son ponton. La plante a fleuri désormais, je vais chaque jour lui dire bonjour et retrouve en elle le doux éclat du sourire enfui.
Hier matin j'ai cassé cette tasse donnée il y a si longtemps par Fanny-Denise B de C, cette grande dame Bordelaise qui me fut si familère et désormais disparue depuis de nombreuses années.
Petit désastre qui dit si bien l'impermanence.
Après demain je quitte Charmes pour trois semaines environ, chaque départ de ma Thébaïde me point. Bien sûr je reviendrai, il y aura le festival de Clairvaux, mais aussi la rentrée, Paris redeviendra le quotidien et ma campagne la diversion.
J'entrerai en veille, en attente de Charmes.