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Le blog de HP
7 octobre 2012

Carnets d'une fin d'été

Après des mois délavés en aquarelles hors saison, l'été s'est enfin résolu, lorsque août basculait en septembre, à imposer quasi soudainement sa vraie nature.
Un long vagabondage commencé le dernier jour d'août sous les vibrations tremblantes d'un Charmes embué de rosées embrumées se boucla le dernier jour d'été sous une chaleur aussi insolite en cette fin de saison que le furent les désespérantes fraîcheurs de ses débuts.

L'automne est là, les ondulations des hauteurs boisées qui entourent la grande maison se piquent de somptueuses marcescenses qui déguisent l'agonie des feuillages en parures de bal de Cour.
En guise d'adieu à l'été et avant de refermer les fenêtres du matin au nez des aigreurs naissantes, je reviens sur ce parcours de trois semaines.

Je vous propose là un retour sur ces pérégrinations dédiées aux amis et à la famille et ornées des merveilles naturelles ou artistiques que nous proposaient nos itinéraires.
De Charmes à Charmes en passant par le Midi et le Sud-Ouest, ce n'est pas un catalogue touristique que je vous propose, chers lecteurs, mais plutôt le florilège d'un carnet de voyage où la paresse de la main et l'exigence du temps compté aurait remplacé l'esquisse par l'objectif.

Nous voici donc à Visan où, après deux jours d'un mistral à écorner les boeufs, soleil et chaleur s'installèret pour ne plus nous quitter de tout le voyage.

02 Visan (25)

L'enclave papale où nous répondons régulièrement aux invitations de l'amitié semble s'ingénier à nous surprendre à chaque fois par un détail inatendu ; ainsi, la vanité de ce félin s'expose à la vitrine de son galeriste de maître abolissant par la certitude insolente de sa grâce les afféteries incertaines des oeuvres exposées. 
Les ruelles de Rousset-les-Vignes compliquent leur lacis par des jeux de superpositions étonnants et qui, vous pouvez le constater si vous lisez l'inscription quelque peu ironique de la porte menant au clocher, ne vous mènent pas forcément au Paradis.
Sur le chemin du retour, où les rayons obliques exaltent ou contrarient les alignements des vignes en géométries contrastées, une certaine lumière sur les frondaisons des platanes nous rappelle l'inexorable menace du temps qui imprime sa ronde de précarités renaissantes quelle que soit le temps.

02 Visan (5)

02 Visan (27)

01 Rousset les Vignes (25)

Provence, pays de culture, de si vieilles cultures et de cultures si variées, il n'est pas une seule de tes villes ou même un de tes villages qui ne draîne en ses pierres et ses pavés le souvenir encore palpitant de la suprématie latine sur ce qui précédait Rome, la marque toujours palpable des luttes de papes mais aussi des accords des luths des cours d'amour, et les siècles succèdent aux siècles ; les témoignages se télescopent en un kaléidoscope qui vous projette de mascarons énigmatiques du dix-huitième siècle à la superposition compliquée des sculpteurs ornemanistes de la Renaissance en attendant que la poétique et humble structure de ce vieux volet paré des restes de fards desquamés de ce bleu apotropaïque des pays du sud ne vous apaise par sa simple quiétude.

03 Arles (18)

04 Saint-Rémy (37)

04 Saint-Rémy (14)

L'abbaye de Montmajour restera l'une des plus étonnantes et émouvantes découvertes de ce périple.
Cette île émergeant de marais à perte de vue fut acquise par Dame Teucinde, noble Bourguignonne, qui l'offrit en 977 aux moines installés depuis 948.
Du XIe au XVIIIe siècle, l'abbaye, très riche, se dota de considérables bâtiments défensifs et religieux avant que la révolution n'ouvre l'ère des dégradations ; heureusement, les vestiges et les restaurations en cours témoignent envers et contre tout de la splendide cohérence entre les oeuvres de l'homme et l'environnement.
Les bénédictins, en assainissant les lieux pendant plus de deux siècles, mirent à jour une nécropole rupestre ; les tombes creusées comme des baignoires, vides et béantes, sont pour les plus anciennes de forme presque anthropomorphes et trapézoïdales pour les postérieures ; vides de tout vestige humain, souillées d'eaux stagnantes et parfois, hélas, des déchets de visiteurs peu scrupuleux, elles émeuvent cependant par leur mystère, comme si le souvenir de ceux qui les ont habitées était plus fort que les cruautés implacables du temps et que la sauvagerie des hommes qui pour le moins détruisent autant qu'ils n'érigent.
Si les églises (Notre-dame et Saint-Pierre) ainsi que la crypte sont restées en bel état malgré les actes de vandalisme de 1796,  les bâtiments mauristes n'ont conservé que quelques pans de murs aux fenêtres ouvertes à tous les vents du ciel.
Le cloître, patiemment restauré constitue de par ses magnifiques chapiteaux un véritable manifeste de la grammaire stylistique des XIIe et XIIIe, certains détails sont parents de ceux que l'on peut voir à Saint-Trophime d'Arles, notamment dans le traitement des plissés hérité de l'antiquité.
Impassibles, tout en bas des murailles, sur les terres marécageuses et escortés des échassiers blancs, ces beaux chevaux immaculés goûtent la fraîcheur des terres imbibées.

06 Montmajour (37)

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Si le papier n'a jamais refusé l'encre, permettant aux imbus de consigner leur vanité, il en va de même pour la pierre où les outils acérés témoignent de  leur passage alors  même que le souvenir de leur ombre est aboli à jamais ; Il en est ainsi de ces graffiti : si le premier, très ancien, a peut-être une signification, les suivants ne disent que la permanence des egos dans l'impermanence de ce qui est.
Tiens, Totor aurait-il ou non réchappé de la boucherie de la "Der des Der" ? 

06 Montmajour (46)

06 Montmajour (88)

06 Montmajour (48)

 Roulons, continuons la route par le chemin des écoliers et décidons, comme ça, tout à trac, d'aller rendre hommage à Albi la si belle et à laquelles seuls quelques souvenirs anciens me rattachent ; j'ai toujours trouvé surprenant le rappel inattendu que ses pignons de brique établissent avec la Flandre.
Sur quels critères s'établissent les parentés ? Entre Nord et Sud, une pratique séculaire du matériau du feu vient jeter un pont culturel. 
Embrassant la ville du haut des jardins du palais de la Berbie, me vient en tête certaine vue de Florence et de ses ponts multiples reliant la langueur de ses rives aux façades ivres de leur reflet dans le miroir du fleuve. Culture des villes fluviales d'où qu'elles soient.

07 Albi (25)

Si l'extérieur de la cathédrale,  d'aspect résolument défensif,  a toute la fière austérité des citadelles, l'intérieur étonne et étourdit par les précieuses complications des sculpteurs du gothique tardif alliées à la richesse de la polychromie de ses murs peints au XIXe siècle avec je ne sais quelle part de vraisemblance historique, quoi qu'il en soit la dentelle de pierre alliée à l'explosion des couleurs vous plongent avec bonheur dans l'évocation d'un monde merveilleux.
Le palais de la Berbie, ancien Palais Épiscopal, offre le même contraste entre un extérieur d'allure militaire et un intérieur où d'imposantes pièces médiévales aux sols de mosaïques précieuses alternent avec des appartements aménagés au XVIIIe siècle dans un grand souci d'élégance et de confort. Une galerie est sommée d'une extraordinaire voûte de bois en arc en accolade orné de rinceaux peints et offre une superbe illustration de la rencontre hésitante entre deux styles, l'un jetant ses derniers feux, l'autre s'imposant résolument, je veux parler du gothique tardif et des débuts de la Renaissance.
Le Palais, transformé en musée, abrite parmi de nombreuses oeuvres témoignant de bien des courants, celles du peintre Toulouse-Lautrec. La cour intérieure est devenue un beau jardin de broderies encadré de promenades aménagées sur les anciens chemins de ronde.

07 Albi (8)

07 Albi (9)

07 Albi (48)

Jetons un dernier coup d'oeil sur le jubé et les voûtes historiées sur fond d'azur ; après la bonne surprise de la découverte d'un musée du costume au coeur de la vieille ville, il est temps de quitter Albi.
Prochaine étape... 

07 Albi (38)

... Saint Gaudens.
Arrivée tardive, gîte et couvert à l'inévitable "Hôtel du Commerce" véritable conservatoire de l'hôtellerie de la fin des années cinquante, des lustres aux bibelots dans les vitrines, tout nous ramène à l'époque où la Toile n'avait pas étouffé les "représentants de commerce" dont les visites régulières étaient fébrilement attendues par chaque maîtresse demaison et redoutées par les maris économes.
L'incontournable et goûteux cassoulet "maison" ingéré (oui, oui, je sais c'est diététique le soir...), nous déambulons dans une ville déserte comme le sont à présent la plupart des anciens chefs-lieux ou sous-préfectures de nos provinces désociabilisées par un monde déshumanisé.
Mais il n'est pas de désert qui ne réserve de surprise, le cloître est clos mais le diable était dans le bénitier de l'entrée, et un diable sous son avatar le plus séduisant, raccoleur des yeux et de la voix, mais mordillant avec malice la main pourtant sollicitée en émettant des feulements névrotiques. 

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L'église Saint Pierre et Saint Gaudens devint dès le IXe siècle un lieu de pélerinage car elle abritait depuis 475 les reliques du jeune pâtre décapité par les Wisigoths, l'abside flanquée de deux absidioles du chevet rythme puissament l'espace, l'intérieur ample et austère abrite en particulier deux magnifiques tapisseries d'Aubusson du XVIIe siècle dont l'une  représente l'inévitable martyre du saint local dont vous pouvez, ici-bas, voir le détail central.
Le cloître, lui, fut entièrement démantelé au XIXe siècle et il est, depuis 1987, fidèlement reconstruit  en incorporant les chapiteaux authentiques généreusement restitués par leurs propriétaires et des moulages de ceux acquis par divers musées ; certains ornés d'entrelacs souples et vigoureux sont typiquement pyrénéens (influence sarrasine ?), d'autres historiés, comme en témoigne l'exemple proposé, sont d'une belle facture plus univeselle.

08 Saint-Gaudens (37)

08 Saint-Gaudens (23)

 

 

08 Saint-Gaudens (63)

Après un quelques jours dans les Pyrénées Atlantiques où je parcours toujours avec la même émotion les rues de la ville de mon adolescence, Oloron- Sainte-Marie, nous remontons vers le bordelais où les horizons précédents, confinés par la barrière des montagnes, ont laissé la place aux étendues sans fin de l'estuaire de la Gironde, tellement large que, au dela des îles qui rythment le mitant de son cours, l'autre rive apparaît presque irréelle, noyée dans les brumes. Monde amphibie, antichambre des épousailles de la rivière et de la mer.

Bordelais (169)

Quel bonheur de remonter, après Pauillac, la route vers la pointe du Médoc. Les bourgades, discrètes et somnolentes, semblent parfaitement indifférentes à la gloire de leur nom qui s'est imposé au monde, ainsi Saint-Estèphe dort en toute innocence sur ses lauriers toujours prospères.

La route, entre vignes et estuaire, semble ne pas avoir de fin et se faire complice des rêves d'ailleurs qui hantent l'océan si proche, la berge est bordée de cabanes sur pilotis accessibles par de fragiles pontons, on y vient déployer les carrelets d'où remonteront les divers poissons de rivière si appréciés dans la région.

A Bordeaux, la cathédrale Saint-André n'en finit pas de restaurations qui peu à peu redonnent à l'imposant édifice toute sa majesté ;comme à chacun de mes passages je franchis la porte de l'édifice pour admirer encore, entre autres, la magnifique tribune d'orgue Renaissance.



Bordelais (18)

Bordelais (58)

 

Bordelais (16)

 

Je connaissais de longue date le nom de Tobeen, pseudonyme de Felix-Elie Bonnet (1880-1938), pour avoir souvent été associé à André Lhôte, mais je n'eus guère l'occasion de voir de près les témoignages de ce grand peintre injustement ignoré en France et dont la majorité des oeuvres sont aux Pays-Bas, soit dans des musées, soit dans des collections privées.

Cet été, le peintre était à l'honneur à Bordeaux à l'occasion d'une exposition rassemblant pour la première fois une grande partie de son oeuvre.
Pourtant il y aurait tant à dire sur cet artiste qui, oublieux des honneurs et des postures sociales, s'intéressait au peuple ; on lui doit de magnifiques évocations de la vie du Pays Basque et des bouquets de fleurs où la vigueur de la touche se dissout avec un peu de recul pour vous offrir un bouquet structuré et vibrant, je passe sous silence cette nageuse dont la concentration ressemble à une prière et je choisis ici pour témoignage cette scène de fenaison où labeur et sociabilité disent si bien le bonheur de l'effort partagé.
Sa peinture ? "Une saisie poétique du presque rien" dit une phrase relevée au passage. Je la fais mienne.

tobeen-campesinos-en-la-cosecha-pintores-y-pinturas-juan-carlos-boveri

Qui connaît la maison carrée d'Arlac ? Cette magnifique folie Néo-Classique, de plan palladien, fut construite par Jean-Baptiste Dufart en 1785 pour Samuel Charles Peixotto, riche banquier Portugais, d'où son nom local de "Château Peychotte" ; l'édifice témoigne de cette élégance parfaitement décantée si caractéristique du règne de Louis XVI. La justesse des proportions tend la main à l'idéal, et, si la façade sur rue que l'on aperçoit entre deux pavillons d'entrée au bord du délabrement flirte avec l'austérité, la façade sur ce qui fut un parc s'orne d'un rotonde à colonnes qui a su allier grâce, équilibre et vigueur.

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Les détails de la modénature reprennent le vocabulaire cher au dix-huitième siècle bordelais avec ses jeux de balustres et ses corniches aux profils  définis avec grande précision et dénués de tout superflu.
Tout a l'air parfait, n'est-ce pas ?
Eh bien non, j'ai triché avec mon objectif pour vous épargner les affligeants outrages subis par un bâtiment tellement réputé qu'il servit même de modèle à la Maison Blanche et qui est aujourd'hui délaissé, au bord de l'irréparable, je vous ai fait grâce des tags qui maculent les murs de l'édifice abandonné et j'ai fait en sorte de ne pas donner de visibilité aux programmes d'immeubles dont la spéculation des années 1980 a construit les pinces qui enserrent la superbe avilie.
On parle d'un conservatoire de musique où seraient donnés des concerts, que rêver de mieux ? Oui, mais sauf que les riverains qui font vombrir les moteurs de leurs véhicules pour un oui pour un non tiennent à leur "tranquillité".
Si vraiment la musique nuit aux résidents des indigentes "résidences" des Alouettes ou autres Sorbiers, qu'est-ce qui pourra sauver cette maison ?
La maison carrée d'Arlac est l'écharde que m'inflige au coeur le mépris du patrimoine Bordelais.

Une excursion vers le Blayais et les Côtes de Bourg nous ramène vers les vignobles des bords d'eau ; nous découvrons, dans ce pays où les églises néo-gothiques sont légion, la très belle église romane de Bayon-sur-Gironde.
La forteresse de Blaye qui verrouillait l'entrée de l'estuaire offre son bric à brac de l'artisanat pour touristes dans ses ruelles soigneusement entretenues, mais aucun bâtiment ne parle de la Duchese de Berry qui, pour avoir voulu soulever la Vendée en faveur de son fils Henri "V", y fut emprisonnée pour sédition et perdue de réputation par une grossesse hors mariage qui la discrédita.
Je pense à elle, l'impétueuse et belle Marie-Caroline de Naples-Bourbon dont les yeux durent se perdre pendant ses mois d'incarcération  dans ces infinis d'une beauté poignante.

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Et nous voici maintenant sur le chemin du retour, le premier jour d'automne ouvre le festival de Clairvaux. Mais ceci est une autre histoire, vous connaissez mon attachement à ces lieux, et l'idée que le jour anniversaire de la naissance d'Henriette, le 22 septembre, coïncidait avec un moment de musique m'allait très bien.
Une belle découverte allait fermer la manifestation, les paroles des prisonniers mises en musique par Philippe Hersant et chantées par l'ensemble vocal Aedes, allaient enfin sortir de l'ombre. L'intense et naturelle poésie des mots de ces reclus omniprésents en filigranne dans ces lieux, portée et accompagnée avec modestie par la musique, venait en pleine lumière nous submerger d'une intense émotion.
Je rapporte, pour finir, ces paroles de Philippe Hersant :

"J'avais une certaine appréhension. N'est-ce pas surtout pour les occuper qu'on va leur faire croire qu'ils sont poètes ou photographes ? Ils l'étaient ! et pourtant il fait toujours froid à Clairvaux, mais il reste un souffle qui ne s'engourdit jamais."

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Commentaires
H
@ Marie : Mais amie, je ne vois pas d'idée de toi qui ne m'ait pas plu. C'est au passé empiétant que l'on se remémore les douces chaînettes.
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M
Tu as en projet des Chemins de Croix ? J'aime quand mes idées te plaisent.
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H
@ marie : j'aime cette idée de broder de mots ses errances, la prochaine fois je m'esaierai au point de croix :-D
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M
Une chronique de mots brodés à la plume au point de Richelieu ... il reste toujours quelque chose à découvrir, tellement les détails sont nombreux et d'une finesse incomparable.
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H
@ Marie : Bon, comme j'ai la même propension que toi à éviter les foules je m'étais bien gardé de m'attarder aux abords du terrain de camping.<br /> <br /> Donc j'ai vu ce que tu n'as pas vu et je n'ai pas vu ce que tu as vu :-D<br /> <br /> Je pense que la Princesse serait charmée de la proximité des tentes et des "mobilhomes"
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