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Le blog de HP
13 octobre 2011

Double enfermement

Clairvaux...
Clairvaux et Saint Bernard, Clairvaux centrale la plus importante de France.
Cellules de moines, cellules de détenus, quelle est est la vraie vocation de l'ancienne abbaye ?
Palimpseste des destins des pierres habitées le site ne donne aucune réponse, ne propose aucun autre fil d' Ariane que la chronologie historique, mais cette vision monochrone resterait froide comme un abécédaire et seul l'esprit sollicité par les mille contraires qui s'imposent à chaque pas peuvent faire converger vers une compréhension supra-spaciale, supra-temporelle le riche manteau d'Arlequin de cette chatoyante palette polychrone.

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Cela, Jean-François Leroux, qui s'est démené comme diable tombé en bénitier pour donner un nouveau temps à l'ancienne abbaye à la tête de son association "Renaissance de l'Abbaye de Clairvaux", l'a bien compris, qui place chaque visite ou manifestation des lieux sous le thème du "double enferment" ; l'expression lui appartient et je tiens à rendre hommage à son inlassable action ainsi qu'à son immense et humble érudition.
Le troisième acte de Clairvaux se joue donc maintenant que les bâtiments conventuels ont échu, en 2002, au Ministère de la Culture tandis que le nouveau centre de détention se construisait en 1971, un peu à l'écart, mais toujours dans l'enceinte de l'époque de Saint Bernard.
Les constructions conventuelles ne peuvent être photographiées eu égard à la "sensible" proximité des bâtiments dévolus à l'incarcération, cependant les élévations annexes donnent une idée de l'éclectique utilité des agencements autour des cloîtres.

L'ancien monastère érigé de 1115 à 1123 se dressait au-dela de cette magnifique grille dans l'aire du "Petit Clairvaux", il n'en subsiste rien.
La porterie présentée en frontispice et qui donne accès au logis abbatial ainsi qu'au bâtiment des hôtes précède une superbe cour d'honneur qui ne peut plus être franchie, elle conduit à l'espace pénitenciaire.
Le logis et ses dépendances d'une ornementation encore baroque disent la richesse qui fut celle de l'abbaye, colonnes, stucs et lambris s'appuient sur les murs du douzième siècle amplement remaniés.
L'abbatiale du douzième siècle fut entièrement rasée en 1812 après avoir été transformée en usine, il reste quelques vues cavalières de l'ensemble des bâtiments mais rien de détaillé sur l'église dont on ne connaît que le plan.
Une grange tassée sur elle-même s'apprête au sommeil sous les traînées roses d'un ciel de fin de saison et, furtivement, je risque la capture d'un mirador, du reste désaffecté, qui matérialise la transition entre le monde de l'extérieur et celui de l'en deça.
Grandeur et avilissement, admiration de ce qui subsiste et nostalgie de ce qui fut, battent en tête la mesure de l'étrange symphonie discordante des aléas de l'histoire.

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En réaction à l'assouplissement des moeurs conventuelles de Cluny, Robert de Molesme créa  en 1098 l'abbaye "dissidente" de Cîteaux afin de vivre la règle de saint Benoît dans toute sa rigueur ; plusieurs fondations allaint suivre cet élan réformateur mais également réactionnaire et dogmatique car fermé à la "Renaissance du XIIe siècle" et à la naissance des universités, ainsi Saint Bernard pourfendeur de Cathares et zélateur de la guerre sainte (croisades) fonde Clairvaux où il instaure l'ascèse monastique la plus sévère (une seule salle chauffée, le chauffoir justement) et encourage la défense des Bénédictins blancs cisterciens contre les Bénédictins noirs de Cluny.
On ne connaît de tendresse concernant notre saint moine que celle, immense, qu'il portait à la Vierge Marie à laquelle étaient dédiées les églises des filiales.
La première carte présentée ici montre l'implantation stratégique de Clairvaux tandis que la deuxième représente les bâtiments conventuels tels qu'ils étaient à la veille de la Révolution.
Le bâtiment des convers dont les magnifiques salles voûtées telles qu'elles se présentaient au douzième siècle abritent le festival annuel est en cours de restauration, ce pourquoi cette année, les concerts ont eu lieu dans le réfectoire des moines sur l'aile sud du cloître.
L'accès aux lieux longe le ruisseau de Saint Bernard canalisé à des fins utiles et alimentaires dès la fondation de l'abbaye.
Encore une fois la sinistre pesanteur de la vocation actuelle des lieux et les pages glorieuses dont ils sont chargés créent une impression complexe et bizarre partagée entre une sensation d'accablement et un vertige de l'esprit face à la grandeur évocatrice des vestiges.

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L'objet de ce billet n'est pas d'établir la chronologie des lieux, de ses avatars et de ses enrichissements, rappelons simplement qu'en 1792 les moines furent chassés de l'abbaye qui fut vendue l'année suivante comme bien national, il s'y installa dès lors une fabrique de vitres suivie d'une papeterie et, enfin, en 1811, fut créée la maison centrale de détention.
Si l'époque industrieuse vit la démolition de l'église, la nouvelle affectation modifia considérablement les lieux les adaptant à leur nouvelle destination, ainsi les galeries du grand cloître furent entresolées et le lieu de lumière prit la physionomie de longues et basses coursives où l'impression première qui se dégage est celle du poids sur les épaules des destins sans espérance.
Mais au moins les bâtiments ont-ils survécu et l'on songe avec horreur à ce qu'aurait été leur avenir s'ils eûssent été vendus à un démolisseur comme Cluny...

L'ancien réfectoire des moines abrite les deux concerts auxquels nous assistons, la salle transformée en chapelle pour les prisonniers se vit dotée d'une triple tribune, qui aujourd'hui démolie, a laissé ses blessures sur le mur opposé à l'autel, l'ensemble est grandiose et les vicissitudes ont enveloppé les vestiges de splendeur d' un voile cendré de douce nostalgie, nous ressentons une émotion intense même si nous constatons avec soulagement qu'un filet nous garantit de la chute des stucs du plafond.

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Le livret du programme est illustré d'un détail de l'autel d'époque Restauration mettant en exergue la silhouette d'un ange agenouillé laissée par un bas-relief disparu, j'aime cette évocation palpable et fantomatique de l'ange qui fut et dont la trace visible continue à tisser le lien entre les différentes époques.
L'acoustique se révèle excellente mais dans ce volume tout de pierre et de bois ça n'a rien de surprenant.
Le concert du 21 septembre salue le premier jour d'automne avec un programme baroque empreint d'une vague et délicieuse tristesse  tellement en accord avec le lieu, je ne me permettrai pas de faire une critique musicale dont je serai bien incapable; si la voix de Gérard Lesne est légèrement amortie par l'âge, le haute contre rétablit l'équilibre par une assurance et un contrôle parfaits de son organe, restent les réserves des puristes quant à l'opportunité de l'utilisation d'un tel registre de voix inutilisé en France à cette époque... Pour moi, je me laisse aller sans réserve à l'harmonie des sons et du lieu mais le "moment parfait" sera celui où le prélude de Robert de Visée est magistralement interprété par Florence Bolton à la basse de viole et Benjamin Perrot au théorbe.
Le concert du 22 nous invite au tango, je m'attendais à un florilège des airs connus de cette musique que j'affectionne particulièrement, mais non, le programme dédié en grande partie au poète-militant Astor Piazzola, soutenu avec flamme par l'acordéonniste Max Bonnay fait fi de tout folklore et est un manifeste intellectuel de cette musique de la subversion et de la rébellion contre les régimes de la peur qui écrasèrent il n'y a guère l'Amérique centrale.

 Je pense que nous ne faillirons plus à ce festival car en outre il est le garant de la poursuite de la réhabilitation des lieux.

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Je ne voudrais pas laisser mes lecteurs avant que de leur présenter la très émouvante évocation de la liberté qu'un prisonnier à perpétuité peignit en six tableaux.
On dit que l'artiste reclus obtint une permission d'un jour pour aller placer ses oeuvres dans un café de la bourgade où ils ont été, il n'y a guère, "découverts", restaurés par la suite ils sont en ce moment exposés dans l'hostellerie des dames qui accueille les visiteurs.
L'émotion est profonde qui se dégage de cet hymne à l'impossible bonheur, on décèle la colère rentrée et l'amertume devant cette innocence surprise par l'ombrageux et implacable représentant de l'ordre.
Quel souvenir évoque ce déniaisage d'un conscrit de la Grande Guerre dans une maison de tolérance où arrogance brutale du chef, faux entrain tarifé des courtisanes et confusion de l'impétrant forment un ballet sarcastique et méchant ?
Grande devait être la peine du condamné qui traduisait en coups de pinceau précis comme les souvenirs volés les chasses indissociables de la vie sociale de ce pays...

Peintre 24 sept 2011 (1)Peintre 24 sept 2011 (4)Peintre 24 sept 2011 (3)

 

Et au-delà des possibles, l'immensité de la mer peuplée de naïades accortes et replètes dit la désespérance de ce qui ne sera jamais, des horizons interdits à jamais
Je pense à la chanson d'Edith Piaf "Je sais comment", la connaissez-vous ?Peintre 24 sept 2011 (2)

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Commentaires
L
PS: Saint-Bernard!!!
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L
Clairvaux, ou les lacunes abyssales de mes connaissances..<br /> <br /> Clairvaux, associé à abbaye cistercienne: voici ce que je sais; situer cet édifice m'était impossible: je ne connais la France que superficiellement... Et pourquoi s'aventurer au nord de Lyon quand, à une petite heure de chez soi, se trouve un bijou du même Ordre, niché dans les gorges de la Sénancole, cerné de vergers, de potagers, de lavande... la fabuleuse abbaye cistercienne de Sénanque. La découvrir depuis la ville haute de Gordes, au coucher du soleil garantit une émotion indicible.<br /> Je viens de trouver un alibi à mon ignorance à propos de Clairvaux!<br /> <br /> Le double enfermement, je ne le savais pas non plus; j'étais à mille lieues d'imaginer ce glissement d'un statut à l'autre.<br /> Mais 1789 -notre gloire- n'a pas été sans effet néfaste. La dernière partie de ton billet offre une note positive, claire: l'enfermement est vital à la création; ce prisonnier n'aurait sûrement rien laissé de son passage sur terre en consacrant ses journées au travail, à la famille... je crois.<br /> <br /> Comme toujours tes mots choisis m'enchantent (vertige/vestige...), j'aimerais que ton billet soit le palimpseste d'un récit que j'écrirais soigneusement, laborieusement.<br /> Tes photos sont réussies, comme à l'habitude; ma préférée: celle du bâtiment renversé dans l'eau qui lui rend du lustre. Celle de ton ombre pendant le concert est un clin d'oeil, dit tout le bonheur que tu éprouves en ce moment où l'enfer/mement est transformé en ouverture à la musique, avec des pièces de Charpentier et de Couperin que je redécouvre, avec JX... <br /> <br /> Grâce à toi, j'irai jusqu'à Clairvaux pour comparer les deux lieux dédiés à Saint-Benoît.
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H
@ Marie : Oui Marie, et c'est bien pour cette dualité que j'ai tenu à garder au mot "enfermement" son aspect générique. Quant à la chanson de Piaf je ne suis nullement étonné que tu la connaisses, je n'aime pas les classements ni les "plus" ni les "moins" à l'anglo-saxonne, mais c'est certainement une des chansons qui me touchent le plus.
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M
Et je connais la chanson d'Edith, cela ne te surprendra pas ! Il existe d'ailleurs sur le net une version rare où elle l'interprète accompagnée d'un seul piano.
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M
Tes mots sont l'expression même de la différence, ils ne m'avaient pas échappés ; j'ai juste voulu préciser que pour une partie des occupants, c'était une joie, un idéal qu'il n'est pas possible de retrouver dans la population carcérale, et même chez ceux qui sont payés pour y rester ... :-D
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