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Le blog de HP
20 octobre 2011

Beldi

19 oct 2011 (58)

N'est pas beldi ce qui est roumi.
Qu'est-ce qui est roumi ? "roumi" vient de romain, et désigne donc l'allogène, l'importé, ce qui est d'ailleurs et donc, qui n'est pas authentique.
Donc est beldi ce qui puise ses racines dans la culture marocaine, le traditionnel, le pur, quoi. Ainsi un poulet de batterie, désespéremment blanc, est roumi tandis que le "vrai" poulet qui court, s'agite et gagne du muscle à grand renfort de grain est beldi.


Je vous propose, à la veille de quitter Marrakech, un voyage en terrain beldi, beldi des champs et beldi des villes


Aziz notre industrieux ami, après avoir achevé sa maison citadine, lassé par l'agitation et la pollution Marrakchies, s'est fait construire à une trentaine de kilomètres de Marrakech, en pleine campagne, une maison qu'il a voulue absolument traditionnelle, beldia.
Le gros oeuvre étant fini, Aziz passe désormais dans sa demeure des champs ses jours de repos et ses vacances, fébrilement il hâte l'exécution des finitions et s'adonne avec entrain à l'ameublement et à la décoration.
Ici ni touristes ni citadins, la paix se gagne par le rude bercement imprimé à l'automobile par les aléas d'une route de terre entre nuages de poussière rouge cachant jusqu'au dernier moment les nids de poule qui se rient des amortisseurs, mais je vous laisse juger de la récompense d'une après-midi qui s'ouvre sur des horizons lumineux et lointains pour se clore sur un couchant dramatique comme un ciel de Walkyries.

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Le village aux murs de pisé vit au rythme immuable et ancestral des cultures traditionnelles, les immenses champs de pommes de terre sont butés et désherbés à la main, les moissons se font à la faucille les reins courbés, et, chose étrange au rythme des chants et dans la bonne humeur ; beaucoup se louent chez un riche propriétaire terrien pour des journées allant de sept heures du matin à quatre heures de l'après-midi avec une brève halte pour une collation et se hâtent ensuite s'occuper de leur propre lopin.
Les chemins de terre bornés de haies d'épineux et de murs de briques crues serpentent entre oliviers et champs de céréales qui ont déja été moissonnées, les volailles étiques picorent parmi les chaumes.
Splendides comme des chandeliers géants, les figuiers de barbarie vous repoussent en vain de toutes leurs épines, leurs fruits seront consommés après qu'un habile coup de canif les ait dépouillés de leur armure.
Mais, ici comme partout au monde, la jeunesse étouffée par le quotidien terne et répétitif  rêve d'horizons plus larges,  berce son ennui de songes vers des ailleurs improbables laissant tiédir la bouteille de soda.
Il en faut des routes et des distances parcourues pour se rendre à l'évidence inexorable : les ailleurs atteints ne sont plus que des ici

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Mais revenons à la maison d'Aziz ; nous l'avons déjà dit, il l'a voulue authentique, beldia, et les artisans du bled ont sommé ses pièces de décors de peintures sur bois, les zouacs, très différents du répertoire citadin plus élaboré, ici les élégantes et citadines arabesques seraient incongrues et règnent les décors géométriques berbères, ailleurs, comme dans la cage d'escalier ce sont de simples lattes blondes qui reposent sur les solives brutes.
Les marches gravies nous hissent jusqu'à une terrasse où la vue se perd sur une scénographie splendide où, mis à part les pilônes électriques, la vie semble s'être figée sur les temps bibliques.

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Marrakech, contrairement à ce que l'on pourait croire, ne s'abandonne pas totalement aux agitations touristiques, pas plus qu'aux vanités des propriétaires cosmopolites de "ryads" qui vivent leurs mondanités désabusées post-coloniales et leurs vanités de nantis hors de la vie réelle de la ville. La cité rouge fait semblant de se prêter mais ne se donne pas ; en marge des lieux convenus, une activité intense d'artisans et de petits commerçants qui répondent aux besoins de la frange populaire de ce Marrakech qui se découvre et ne se montre pas, constitue le Marrakech beldi.
Voulez-vous me suivre dans les venelles et les placettes de ce Marrakech que j'ai appris à découvrir et à tant aimer ?
Oh, rien de spectaculaire ne nous fera pousser des cris d'ébahissement, mais vous serez émus et bouleversés, amusés et peinés par les rutilances bigarrées et les labeurs pénibles d'un peuple intense et authentique.
Voyez.
Le porche quasiment ruiné de cette propriété jadis fastueuse abrite l'étal d'un modeste agriculteur qui vient offrir les fruits de sa peine ; les diktats de Bruxelles ne sont pas prêts de vous imposer ici la fadeur normée et calibrée de produits de la terre poussés hors de la terre dans des magasins aseptisés.
Sous le parasol qui rit de toutes ses fleurs criardes sous un soleil implacable, la transaction vient apparemment de se conclure ; hors des prix fixés le fameux marchandage rétablit les règles du vrai marché : l'ajustement du besoin de celui qui n'a pas et le gain de celui qui propose.
Plus loin un arbre sert d'auvent à ce marchand d'un niveau nettement supérieur aux précédents.

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Poursuivons... Quoi, vous étouffez un peu sous l'émanation des gazs des pots d'échappement des vieilles guimbardes et des mobylettes ? Allez, il y a un prix à payer pour s'imprégner de la vraie Marrakech, vous baisserez instinctivement vos têtes pour emprunter ce pasage voûté qui a une saveur médiévale, sa construction doit d'ailleurs remonter à des temps très reculés.
L'altière porte d'un palais tombé en déshérance s'entrouvre sur un jardin (un vrai ryad) habité par plusieurs familles très modestes, l'édifice est trop loin des quartiers courus par les européens pour subir une rénovation plus ou moins voleuse d'âme.
Surtout ne donnez l'adresse à personne, il est quand même de riches originaux...
La silhouette élégante de ces jeunes filles nous renseigne sur les variations de la mode marocaine, la djellaba s'est débarrassée de son capuchon traditionnel, à moins qu'elle ne décide de le conserver mais long et inutile comme un simple ornement.
La djellaba (avant de disparaître ?) est devenue une robe à part entière, suit les courbes du corps et flamboie de passementeries, broderies, galons et soutaches.
Ultime coquetterie, les poches sont réduites à deux fentes ouvrant sur le vêtement du dessous, les Marocaines ont réinventé cette mode de l'époque d'Isabeau de Bavière où le surcot s'ouvrait par deux fentes sur la cotte, ce que les moralistes appelaient la "fenêtre du diable".

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Admirez aussi au passage l'extrême variété des heurtoirs traditionnels plus ou moins empâtés de couches de peinture superposées, il en est de riches en cuivre ciselé de motifs compliqués, certains ont repris le motif de la main baguée tenant une pomme et d'autres le mufle d'un lion mordant un anneau, mais gardons ceux-ci en mémoire puisque nous avons décidé de nous en tenir au Marrakech beldi.
Lorsque le heurtoir est actionné, une voix de l'intérieur crie inévitablement "Schkoun ?" (c'est qui ?) et on répond tout aussi invariablement "Ana" (moi). De l'universelle vanité des gens qui se croient uniques...

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Poursuivons puisque vous n'êtes pas encore fatigués et que vous vous êtes habitués aux "balek" des pousseurs de charriots (carrossas) ou des auriges d'ânes ou de mulets ainsi qu'à l'infecte puanteur des sillages de deux roues à moteur.
Impassibles, les conducteurs de carrossas, abrités comme ils le peuvent du soleil, attendent l'occasion de la misérable rétribution que leur rapportera l'immense effort ; le mulet à la charge invraisemblable, maigre et résigné tire une langue d'un empan, les ânes ne sont pas mieux traités qui, dociles et souvent battus par un gourdin censé les stimuler, ne perdent pas dans l'effort démesuré l'immense tendresse de leurs yeux.
J'en ai assez de cette sensibilité à fleur de peau (sensiblerie ?) tantôt refoulée, il faut bien se préserver, mais globalement revendiquée qui dans ces cas m'emplit d'émotion et de compassion au point d'en avoir les yeux humides ; il suffit de si peu d'attention pour se rendre compte que le sucre du délicieux thé à la menthe de ce pays masque en fait l'amertume des "damnés de la terre"
Tiens, un moment de légèreté, mes deux copains-chiens quémandent au passage mon attention.

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Passant devant une fontaine oubliée des flux touristiques et ornée de ces dessins typiquement marrakchis, une silhouette d'aujourd'hui et d'hier, certainement aussi de demain, intemporelle et poétique, s'éloigne.
Demain je quitte Marrakech.

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Commentaires
H
@ Duende : Bienvenida en mi casa virtual Duende.<br /> Et merci beaucoup pour la belle trace de votre passage.<br /> A bientôt.
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E
J'ai eu beaucoup de plaisir à lire votre prose "à fleur de peau". Votre regard est pur. Merci de déciller nos yeux et de nous aider à voir l'authentique Marrakech. J'ai eu souvent l'impression, lors de mon voyage là-bas, de vivre une antique scène sortie tout droit de la Bible. Et quelle "élégance" dans le comportement ... Tout un monde à découvrir. El duende.
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H
@ Victor : merci beaucoup, je suis très touché, pero nosotros tambien os esperamos, muchos besos.<br /> Pronto excribire algo aqui sobre Madrid.
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V
Tu nous manques ! Comment disait la chanson...? Revenez, revenez, Amours revenez:<br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=2mWR9NwA0Zk<br /> <br /> Bisous !
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H
@ Mitcha : comment peux-tu douter de l'hospitalité d'Aziz vis à vis de Lalla Soukaïna ?
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