Paris, le mercredi 3 mars 2010
Il faisait froid, mais bien moins moins qu'aujourd'hui, ce 3 mars à Paris, et le temps était tout aussi ensoleillé.
Le boulevard, riant de lumière, m'invitait au spectacle, aussi, le pas léger et rapide, l'esprit aiguisé, je répondis avec joie à la sollicitation.
Anniversaire oblige, les mânes quelque peu égotiques de l'ombrageux séducteur romantique, craignant que l'événement ne soit encore parvenu jusqu'à moi (notre compositeur ignorait tout de la pression médiatique contemporaine) , me jeta en pleine vue le fronton de la demeure parisienne qui, pendant quelques mois, retentit des accords tour à tour languides et primesautiers que la dextérité de ses doigts de génie imprimaient à son piano-forte.
Tout brillait, étincelait, et la ville lumière, cette fois sans aucun recours à la fée-électricité, disait le faste éclectique du Second Empire.
Les acrotères de bronze et d'or de l'Opéra Garnier se découpaient avec une précision d'orfèvre sur l'azur implacable du ciel ; l'horloge de ce pompeux immeuble voisin de la Bourse disait le temps qui passe, et, plus loin, sur cette architecture industrielle néo-gothique, s'étaient empêtrées dans leur inventaire d'influences Byzantines ou Vénitiennes, les aiguilles de cette autre horloge qui du coup arrêta son temps.
Mais Paris, complaisant avec qui a les moyens de s'offrir son luxe, n'es pas tendre avec les démunis, tout au long du boulevard, la misère s'étale sous l'indifférence affairée ou musardière des passants. La solitude et l'humiliation gisent au ras du sol bien plus bas que les regards absents des privilégiés verticaux.
Qu'il semble loin le Paris, pourtant si récent, où chaque quartier avait son clochard familier avec lequel on échangeait quotidiennement au moins un "bonjour" à moins d'engager,et c'était fréquent, une petite conversation ; les gens de la rue de notre néo-libéralisme béni sont trop nombreux pour bénéficier du luxe d'une identité. Ce sont des "pauvres", point.
Dans quel tons, ma chérie, Vuitton va t-t'il décliner ce printemps le dérisoire de ses inutilités prétentieuses et hors de prix ?
Populaire et insolente, la rue Saint-Denis, également répartie entre commerce de fripes et celui de la chair, grouille de sa population composite, bigarrée, déjantée et industrieuse.
Tous les commerces ne sont pas légaux, mais la miniscule scène de ce professionnel de bonneteau ne semble guère s'émouvoir des rondes des rambos de la police.
Les échanges du textile se font, dans cette artère encombrée, à bras d'hommes, voila encore un autre secteur de "travail au noir" que les pandores ignorent superbement.
Les Belles de jour alpaguent discrètement (attention Sarkozy vous voit) les chalands, certains émoustillés, l'air de rien ou faussement désinvoltes, s'enquièrent des tarifs, mais, comme vous pouvez le constater, les fesses qui s'offrent à la vue ne sont pas forcément les plus vénales.
Y aurait-il un crypto-Paris inverti ? Si la majorité des gens au lieu de regarder les frustrantes vitrines savaient lever les yeux et regarder leur ville, ils se poseraient la question.
Pour témoin, regardez attentivement ce bel exemple haussmannien, boulevard des Capucines.
Quel fantasme du commanditaire ou du sculpteur est venu peupler le dernier étage, juste sous les mansardes, de ces cinq couples d'éphèbes équivoques, d'Antinoös enamourés ?
Choqués ou intrigués ?
Bah, oubliez vos signes de croix , vos anathèmes ou vos penchants, l'apparence de ces charmants délurés est trompeuse, ils sont plus que centenaires.
Il vaut mieux en rire...
La déambulation touche à sa fin, en rentrant je me ferai un thé bien chaud, mais soudain, devant le vénérable édifice des Arts et Métiers, une ondoyante silhouette, juchée sur d'improbables talons, brave le temps et décrète aussi le printemps ; rebelle, l'élégante personne fait la nique à l'uniforme mini-jupe ou chort, bas opaques et bottes de grenadier.
Bonsoir, jolie Madame, j'espère qu'aujourd'hui vous avez prévu une petite laine. Il fait tellement froid...