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Le blog de HP
6 avril 2010

Rites et délices des ennuis provinciaux

Monde bouleversé, monde de bouleversements, le temps va vite, trop vite ?
Le temps va, à son rythme, la santé d'hier est l'inquiétude de ce jour, les lumières se meurent qui n'ont pas le temps de s'étioler en grisailles et les soleils, soudain, éclatent dans nos nuits.
Le rythme du temps, le temps de nos rythmes. Fugaces instants. Impermanences sans cesse accrochées aux roues de la fortune... ou de l'infortune.
Le flux impétueux du temps qui nous échappe, de biefs en cascades, de plongées en résurgences connaît, pour nôtre repos passager, quelques rythmes qui, sans surprise, jalonnent, métronomes de nos jours, la succession des temps qui nous sont échus.

J'aime l'ennui profond et rassurant des rites bienséants de nos attaches provinciales.
Interrompant les agitations parisiennes ou le splendide isolement de nos thébaïdes campagnardes, les grands rassemblements des fêtes familiales exigés par nos calendriers colorent souvent nos vies de ces teintes de pérennité où le creux des conventions cycliques, au son éternel des cloches, nous met en bouche un goût d'éternité.
Illusion rassurante.
Endors-toi, Chronos l'impitoyable ; même si ce n'est qu'une convention les nouveaux brins de buis des crucifix  de nos chambres disent qu'un vert tout neuf abolit les dessèchements des douze mois passés. Tout sera certainement pareil, mais un coup de neuf feuillage projette de l'espoir en ces jours qui viennent.
Croire ou ne pas croire, peu importe, les rites de nos enfances nous lient à ce qui fut et jettent des ponts vers ce qui sera. Sous cette forme. Ou une autre.

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Et puis, après Rameaux, l'éternel agneau pascal, après le froid sépulcral de l'office en cette vieille église, réunit dans les salons éternels de nos éternelles provinces le cercle des familles et de leurs alliés.
Il n'y aura pas d'échanges profonds, et non plus, bienséance oblige, de débat d'idées ; quelques allusions, vite réprimées sous les sourires de circonstance. Personne ne sera égratigné, le cercle est trop large pour que la confiance soit totale.
Tout est neutre, lisse, délicieusement ennuyeux et convenable, le verbe et les sourires endimanchés comme les convives habillés en "fête de famille" pour plaire à tout un chacun et ne choquer personne, glissent de généralités consensuelles en approbations bienveillantes, vers un état de léthargie de l'esprit et finalement de repos de l'âme.
Bercés de ce doux ron-ron, la suavité lénifie nos esprits, met en pause nos inquiétudes et de là, étrangement, naît un bien-être de temps suspendu, de temps retrouvé qui sera aussi vite perdu, mais celà, nous refusons de nous le dire.

L'ordonnancement de la table aux méticuleux raffinements réglés au millimètre par la soucieuse maîtresse de maison est vite bousculé par le déroulement du repas. Curieusement, la corbeille de pain somme dans un déséquilibre alarmant le compotier de cristal bleu, les coquilles des oeufs colorés traditionnels s'ouvrent en pétales marbrées dans les soucoupes et les jonquilles qui ornent le plateau se font griller la politesse par la tendre douceur chocolatée des entremets.

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Les lames des persifflages sont rangées dans l'étui de la bienséance, les médisances noyées dans la vapeur des alcools et le sucre des pâtisseries, la jounée passe impavide et inexorable, alors avant de replonger dans les turbulences de demain, je promène mes yeux dans la vaste maison accrochant ça et là les multiples détails de ce cocon familial qui ferait croire, pour un peu, à la sérénité.
Les orchidées de ce bureau donnent aux ennuyeuses paperasses des promesses de radieux exotisme, la coupe de cristal rose des années quarante donne une touche de luxe incongru à telle étagère de l'office et, déja fourbie, l'argenterie éclate de ses froids étincellements avant de rejoindre à nouveau, dûment enveloppée de tissus laineux, les profondeurs protectrices des placards.

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Avant de quitter la table, symbole de ce qui a été, le verre vide n'offre plus en son fond que le dépôt des bons vins.
Le calice n'a pas été bu jusqu'à la lie...

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Pour quand est l'amer ?
En attendant, le soleil est revenu.

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Commentaires
H
@ Jean-X : Si mes lignes n'avaient pour seul mérite que celui de susciter les tiennes, elles seraient déjà justifiées.<br /> Merci l'Ami.
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J
Faire sentir l'universel au travers du quotidien, voici - ce n'est certes pas la première fois que je te le dis - un don que tu possèdes au plus haut point, à l'instar des anciens Maîtres qui délivraient au spectateur des leçons générales sur la vie en peignant qui une scène de genre, qui une nature morte. Et d'ailleurs, as-tu noté que la moitié des photos qui illustrent ton billet pourraient se rattacher à ce dernier genre ?<br /> Tu ne seras pas étonné si je t'écris que tes lignes sonnent à mes oreilles comme certaines pages de Proust, dont elles possèdent l'alanguissement plein de tenue dont les molles courbes lisses n'en sont pas moins secrètement tendues d'un frémissement inquiet, la douce léthargie des fêtes de famille ne parvenant pas à étouffer complètement le trouble du temps des pendules qui, inexorablement, continue d'avancer. Car il y a ici, comme souvent chez toi, un "discours sous le discours" qui fait de la plupart de tes textes, pour qui, bien entendu, prend le temps de les entendre, des polyphonies à la façon de la Renaissance où, en parallèle de ce que narre la voix principale, se développent, portées par une autre, des paroles différentes. L'apaisement feint de cette journée n'aura tenu à distance qu'un instant les inquiétudes, les jonquilles ne sont déjà plus qu'un souvenir, mais il reste tout de même, dans le printemps qui vient, l'espoir de longues années à l'abri de la peine, où se célèbreront au quotidien les noces d'un passé capricieux, d'un présent mouvant, d'un futur incertain.<br /> Tempo rubato, tempo ritrovato. Temps volé, temps retrouvé.
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H
@ Michel : J'entretiens, il est vrai, une correspondance avec les objets-témoins qui m'ont toujours fasciné.<br /> Mais je ne suis pas né dans un pays "neuf" et je ne suis pas créateur, peut-être deux amorces d'explication à notre différence dans nôtre rapport aux objets.
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M
À l'aube de demain, il y a toujours hier... <br /> personnellement, j'ai du mal avec les objets du passé, tu me connais... je te rends grâce de savoir en parler avec tant d'élégance. Avec toi les ennuis provinciaux sont à l'ordre du jour.<br /> Je t'embrasse Henri-Pierre.<br /> Michel
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M
Tu buvais ça au Moyen-Age ? Monseigneur ...
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