Labeur, tribulations et humeurs du temps
Semaine kaléïdoscope où d'un continent l'autre les jours, se prenant les pieds dans leurs mensonges, trébuchaient sur les imprévus pour se relever vers de nouvelles contradictions.
Casablanca : Intimité familiale, fêtes, travail et encore fêtes
Cueilli par Jamal-Eddine à l'aéroport de Maison Blanche, Dar el Beïda, je retrouvai ma famille de coeur du Maroc et leur chaleureuse hospitalité. je pensais bien me retirer tôt afin d'aborder frais et dispos, le matin suivant, mes étudiants. Mais c'était bien mal connaître la maîtresse de maison, Aziza, que de penser que l'arrivée de Rédouane (mon prénom là-bas) pouvait ne pas se célébrer, d'autant plus que la cousine Soukaïna y fêtait son anniversaire...
Et donc Hop : Que la fête commence !
Comblés par un buffet aux tentations diverses et les alcools aux sollicitations aguicheuses, la bonne humeur allait crescendo, et soudain, la propension à la fête des pays de soleil et de générosité prenant le dessus, les femmes envoient des lazzis aux hommes, se lèvent, ondulent et leurs bras serpentins rythment l'espace de ces gestes si doux et si sensuels que seules les femmes de là-bas possèdent ; dans une malicieuse émulation ces dames se renvoient la balle et seuls les rires en cascade interrompent l'impertinence de leurs propos.
Pendant ce temps, les hommes font le service, les femmes ont tout préparé et il faut bien qu'ils prennent la relève, de toutes façons leurs épouses n'ont vraiment plus la tête à ça. De temps en temps un mâle vient participer à la frénésie, et, après quelques contorsions rythmées, reprend son rôle ancillaire. Comme quoi les idées toutes faites...
Suivent quatre jours d'intense activité à l'école, mais quatre jours de bonheur aussi ; joie de se sentir utile car, ici, l'intérêt est total et l'attention le serait presque aussi, n'étaient quatre ou cinq ravissantes évaporées qui croient se dédouaner du léger rappel à l'ordre par quelques battements de paupières et un sourire mi charmeur mi contrit à faire fondre un rocher.
Je déborde largement les horaires prévus tant, à la veille de quitter l'école pour se lancer dans la vie professionnelle, les demandes de compléments d'information traduisent leur angoisse.
Et, le dernier soir, une fête est organisée par les futurs "anciens de l'ESG" sur le thème de la langue maternelle. Chants, danses faisant tournoyer les somptueux caftans qui ont remplacé les jeans, simulations de mariages selon les groupes ethniques alternent avec les allocutions en langue arabe et idiomes berbères. Bien sûr, je suis instamment prié de me joindre aux danseurs,et force m'est d'obtempérer au grand étonnement de la majorité si loin d'imaginer que le "prof français", en plus de baragouiner le marocain, n'a pas l'air trop emprunté dans ce rôle insoupçonné ; cependant au bout de la cinquième parodie de mariage, où, au dela des différences de costumes les dénominateurs communs sont les derboukkas, trompes et autres tambourins, ma tête prête à exploser m'oblige à quitter les lieux en catimini sans attendre minuit ; n'est pas Cendrillon qui veut.
Fatalité ou loi des séries : Les tribulations d'un voyage
Le vol de treize heures trente minutes devait me ramener à Paris ; vers huit heures nous apprenons que le vol est annulé.
Jamal se démène comme un diable et son frère, influent personnage à l'aéroport, fait des pieds et des mains pour que je puisse embarquer à seize heures. Seulement voilà, l'autoroute menant à l'aéroport connaît des embouteillages jamais vus ; il est dix heures et nous décidons de partir sur le champ ; le trajet (trente minutes normalement) dure deux heures et j'ai le temps de dénombrer douze automobiles en panne immobilisées sur la voie de droite pour cuse de moteur surchauffé ; je me demande s'il n'y aurait pas funeste conjuration entre les aiguilleurs du ciel Parisiens et les responsables de la voierie Marocains afin de me faire manquer cette invitation à dîner à Paris si impatiemment attendue.
Passons sur les attentes supplémentaires, les énervements, les toilettes prises d'assaut et déja débordantes d'immondices qui nous mettent au défi de transgresser les lois de Dame Nature...
Nous finissons par décoller pour enfin aterrir à Orly ; la remise des bagages prend un temps fou, mais, ouf ! nous voila fin prêts à se ruer vers les taxis.
Hélas, soudain, voila la gent voyageuse, dont la patience a été mise à rude épreuve et toute ragaillardie à l'idée de mettre un terme à l'exaspérante journée,se trouve inopinément bloquée dans un couloir étroit, étouffant dans une promiscuité qui avec un peu moins d'agacement aurait pu convenir à certains, l'explication vient après une demie-heure de silence : Alerte à la bombe !
Quand enfin je rejoins mes amis, il est vingt-deux heures passées. Aimables, ils m'ont attendu pour dîner, mais le brillant de leur regard prouve qu'ils n'ont pas poussé la solidarité jusqu'au régime sec.
Nous ne prolongeons pas trop la soirée, le lendemain le train de six heures quarante deux minutes doit nous conduire à Charmes. La nuit sera courte.
Un autre voyage à surprises : Paris/Bar sur Aube
Eh bien oui, à deux minutes près, le train nous file sous le nez.
Nous décidons, plutôt que de retourner piteusement à la maison, de prendre un train jusqu'à Troyes où, après une attente de plus de quatre heures, une correspondance devrait nous amener au bercail.
Nous en profitons pour partir à la conquête de l'ancienne gloire des foires champenoises et finissons par bénir les circonstances qui nous ménagent, sous un soleil radieux, une si riche parenthèse.
Troyes pourtant se meurt de solitude, les abords de la gare, léthargiques, ne sont que succession de boutiques vides désespérement à vendre ou à louer, Après la période de gloire des grandes foires médiévales les opulents bonnetiers du dix-neuvième siècle hérissèrent la ville des clochetons et pignons éclectiques de leurs "maisons de maître", mais la dernière fabrique de chaussettes a fermé étouffée par la concurence chinoise et, telle une veuve désargentée, la ville, recroquevillée sur elle-même, se pare encore des prestigieux bijoux jalousement conservés.
Et dieu sait si les bijoux de la belle somnolente sont nombreux, Une multitude d'églises plus ou moins bien entretenues offrent, outre une profusion ahurissante des célèbres vitraux champenois, une pléthore de statues et de tableaux.
L'émerveillement est au rendez-vous à chaque coin de rue, les maisons à colombages remarquablement préservées s'alignent dans une pittoresque irrégularité, leurs charpentes apparentes s'ouvragent de macarons, rinceaux, cuirs et autres sculptures ; le musée d'art ancien, est animé de dames souriantes et aimables, toutes fières des compliments que nous ne manquons pas de leur dire quant au méticuleux entretien flamand des lieux. Les salles réservent des surprises rares, les collections, point trop nombreuses, mais d'excellente qualité, forment le fonds idéal pour qui voudrait en peu de temps, bénéficier d'une approche globale de notre histoire du néolithique au dix-neuvième siècle.
Hubert Robert et Natoire se télescopent et la main d'un bronze antique émeut par sa délicate élégance.
Il est temps de quitter Troyes, nous rendons la cité à ses habitants, celui-ci de bronze à la morbidesse languide si représentative de l'idéal antiquisant d'une époque belliqueuse qui enfanta des deux guerres les plus meurtrières qui soient ne serait-il pas, Antinoös fatal et équivoque l' Ange de la Mort ? En tout cas, là n'est pas le souci de ces lycéens dont les perfectos très "années quatre-vingt" confirment l'éternel mouvement de balancier de la mode.
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Charmes sous la tempête
Partis de Troyes sous un soleil radieux nous atteignons enfin Charmes où la magnifique grande aigrette blanche qui a élu ici domicile nous accueille par le silence majestueux de son vol ; en revanche, la joie bruyante de Belle et de Chitan nous disent leur trop plein d'amour.
Le printemps annonce sa douce imminence par l'abondante floraison de perce-neiges et les bruyantes noces des canards sauvages au bord de l'île sur l'étang.
Mais ce matin, un ciel d'apocalypse naissait en couleurs maléfiques au-dessus de l'eau frissonnante sous un vent qui tenait les promesses d'une tempête annoncée.
Inquiète, l'âme oppresseé perçoit l'névitable, les chiens aussi qui nerveusement vous collent au plus près l'air anxieux, et puis, le souffle devient mugissement, le murmure hurlement et les airs agités cognent, déchirent, font ployer les frondaisons et les secoue de plus belle ; l'eau de l'étang se ridule, d'abord caressée et ensuite remuée par le vent, elle se donne des airs de petite mer prétentieuse.
Me reviennent en mémoire ces poésies de l'enfance : "Oh wind a blowing all day long..." et "Sur la bruyère longue infiniment, voici le vent cornant..."
Des craquements d'outre monde disent la plainte des arbres qu,i après avoir résisté, finissent par s'abattre sous les ricanements démoniaques des éléments fous.
Au grand cyprès chauve lui a été demandé le tribut de deux de ses belles branches en l'étang échouées, un grand arbre du boqueteau qui suit les courbes de la rive a perdu son imposante ramure et, dans un fracas épouvantable un grand frêne meurt en pont suspendu au dessus du Blaiseron, là, juste avant que la rivière ne s'enfonce sous le Pavillon des Thés.
En milieu d'après-midi le vent est tombé, ou plutôt il s'en est allé conter sa puissance ailleurs ; un beau soleil presque tiède est venu me permettre d'immortaliser les blessures de la nature.
Je crois que demain il pleuvra.
N.B. Ce matin, premier du mois de mars, un froid soleil éclatant baigne la campagne, la lune d'hier soir dont le halo vaporeux laissait présager la pluie a, elle aussi, menti.