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Le blog de HP
1 décembre 2009

Darshan, "vision du divin" selon Bartabas

Avant de lire des critiques, avant de laisser mon émotion se faire au moule de ma raison, tant que le mécanisme vertigineux hante ma pensée en cercles inversés où se noient le statique et le mouvant pour immerger l'esprit au coeur d'un cosmos ré-inventé, je tiens à vous dire l'intense beauté du dernier spectacle de Bartabas : Darshan.

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Bartabas, aperçu dans le restaurant du village Zingaro, évolue dans le même sens que les visions qu'il nous propose : de plus en plus désincarné, à la limite de la maigreur, son beau masque ascétique semble déjà participer d'un autre monde, la pensée a fini par modeler l'enveloppe.
D'aucuns diront qu'il s'est renouvelé, pour moi, je dirai qu'il va, pas à pas, au bout de sa logique et que, conscient de son itinéraire, sa quête s'épure, se spiritualise.

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Premier étonnement, l'arène s'est inversée : au centre, les gradins s'organisent en cercles concentriques décroissants où le spectateur prend place, autour, la piste est un anneau au sol émaillé d'un sable noir parsemé d'éclats d'obsidienne comme l'exhalaison fatale d'un volcan oublié.
Une musique, venue du fin fond d'une lamasserie de partout et de nulle part enveloppe l'atmosphère de ses incantations intemporelles comme si elles sourdaient d'une étrange conjuration entre la terre et l'air ; et puis, soudain, tout se met en mouvement, est-ce l'anneau de la scène qui tourne ou est-ce l'étagement des gradins ? Ou les deux, chacun dans un sens inverse ? On ne sait, et je ne veux pas savoir. Nous avons quitté notre sphère, nous sommes dans un monde à part. L'illusion est incarnée, la matière est devenue fugace, insaisissable.

Après la lente déambulation d'un cheval guidé par un lama impénétrable, abstrait, et supportant deux moinillons en prière  qui finissent par s'assoupir dans leur robe safran,nous voici soudain projetés dans un monde d'ombres de l'autre côté de la toile blanche qui sépare la piste de l'extérieur ; chevaux et humains nus dansent avec lenteur la naissance d'une aube.
La caverne platonicienne et son monde révélé par des ombres n'est plus un mythe, nous la vivons. D'emblée l'émotion est intense.

Très tôt, de part et d'autre du rideau circulaire, le chaos s'organise dans un grand barattement du corporel et du spirituel. Les ombres tournent dans un sens et, tour à tour, deux chevaux seuls, l'un éburnéen et l'autre d'ébène, galopent en sens inverse, sans guide, sans ordres, comme livrés à la logique obscure de ce qui doit être et qu'on ne saura jamais.

Tout s'ordonne et tout se délite dans cette sarabande métaphysique.
Les envolées d'oiseaux blancs sur fond noir se fondent en vols noirs sur espace blanc. Tout est noir et blanc, tout est noir ou blanc. Dans ce monde sans couleurs, font irruption de brutales lueurs de sang qui poignardent l'espace. Apaisants et fugaces, un voile bleu et aussi un vert se mettent à flotter, diffus et impalpables, au milieu du drame.

Nous sommes au paroxysme de l'affrontement des contraires, à moins que ce ne soit au concours de tous les contraires vers une unicité, celle de l'aube des temps ou bien celle d'un fin pressentie par les masques à gaz qui commencent à faire leur apparition.

Des hordes tatares bardées d'arcs et de lances alternent avec le repos des bivouacs, et, une magnifique scène de baignade où le cavalier se dévêt debout sur son cheval pour plonger dans l'onde, tandis qu'en même temps, émergeant dans un tournoiement de grâce une ondine s'enroule dans un voile ténu nous parle de purification.
Les irruptions de burlesque n'apportent aucun réconfort, la dérision est pathétique et les jouets d'enfant se métamorphosent en monstres oniriques qui envahissent l'espace, nous renvoyant aux cauchemars de Goya, aux diableries énigmatiques de Jérôme Bosch ou aux liesses grinçantes de Brueghel. Les possessions de Füssli ne sont pas loin non plus.

Anges ambigus aux sexes incertains, démones et démons aux poursuites blasphématoires entrent à leur tour dans cette ronde frénétique sans fin, les auréoles et les tridents sans cesse se poursuivent sans s'atteindre jamais ; le bien et le mal, le bon et le mauvais, emportés dans cette spirale sans rémission où damnation et rédemption ne peuvent dire le dernier mot, font basculer nos possibles certitudes dans l'océan sans fond des doutes et des ignorances.

La mystique des musiques des lointaines Asies s'unissent aux triomphes baroques des Gloria chrétiens, entre les deux, des plages de sons venus d'improbables ailleurs, entre accords et feulements d'outre-tombe, disent la dérision des religions et la permanence du divin ; l'expression se fait serve de l'essence, la croyance est transitoire devant l'immuable Évidence.
Les  accords pathétiques d'un accordéon triste rythmé par le balancement inexpressif d'un cheval de bois à bascule orphelin de toute joie d'enfant, est le prélude au retour des deux moinillons du départ ; le guide affublé d'un masque de survivant de la folie humaine, conduit, toujours sur leur monture, les deux jeunes bonzes réduits à l'état de momies orantes et ratatinées, immobiles à jamais, dans une bulle transparente, vitrine d'une humanité perdue par sa folie.

Dans un dernier tour sans fin, les ombres des chevaux galopent de gauche à droite, dans l'anneau intérieur, face à nous, se dépouillant de leurs horipaux, trébuchant, tombant ; s'entr'aidant quand ils le peuvent, les hommes et les femmes, en sens inverse, tournent, tournent sans cesse, sans rémission jusqu'à la chute fatale.
La messe est dite.

Lorsqu'ils viendront saluer les spectateurs, les yeux hagards des protagonistes disent leur épuisement et aussi leur engagement ; la politesse de leurs saluts ne masque pas l'évidence de l'itinéraire qu'ils viennent d'accomplir et dans lequel ces  vrais prêtres d'une religion universelle nous ont entraînés .

Avant de repartir, silencieux et ramenés à nos interrogations profondes, saluons ce travail de l'esprit où l'homme s'est effacé devant la monture.
Il n'y a pas là de dressage mais un vrai pacte entre l'homme et le noble animal. Que le vulgum peccus ne vienne pas dire que le cheval n'est pas intelligent, un cheval ne se domestique pas, ne s'avilit pas, il se mérite et se donne avec une générosité sans limite à qui sait l'entendre, à qui sait lui parler, à qui sait lui donner la confiance d'un partenaire à part entière.

En dernier lieu, et au risque d'offusquer sa modestie, je salue mon ami Michaël Gilbert, dit Mi-Gi, qui nous a conviés à cette avant-première. Que ses légendaires ruades sur son palomino Arès que j'aime tant, soient le symbole joyeux de cette fin de traversée mystique, comme une lumière probable au bout de chaque itinéraire.

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Merci Mi-Gi, merci à toi, et aussi à tous les acteurs hommes et animaux, ainsi qu'à ce maître-voyant

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Commentaires
H
@ Cornichon : j'essaierai de savoir
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C
sinon quelqu'un pourait t'il me donner le titre du morceau que Gaelle joue a l'accordéon svp ? :)
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H
@ Michel G : Oui, bartabas est exemplaire, et sans ce "talent têtu" il ne parcourrait pas son itinéraire avec tant de conviction habitée.
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M
En dehors de tout ce que tu décris du spectacle, ce que tu dis de lui en quelques mots parle tant, "nous" parle tant, de cet homme si particulier dont le talent têtu nous fait souvent réfléchir sur l'osmose de l'homme et de l'animal.<br /> je t'embrasse,<br /> <br /> Michel
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H
@ Jean-X : Tu sais mon récit ne fait preuve d'aucun talent, j'ai été happé et, au sens propre du terme, inspiré. J'ai laissé mon esprit vaguer sur le clavier.<br /> La eule volonté que j'ai réellement voulu est le salut aux artistes.
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