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Le blog de HP
16 décembre 2009

De l'âme des maisons

Il n'est jamais évident d'investir les murs d'une demeure, on peut et améliorer le confort, et donner libre cours à son goût de la "déco", mot horrible pour désigner l'adaptation d'un lieu à ses critères personnels, au lieu que de le sentir, l'observer pour, prudemment et avec respect, lui redonner le plus possible de la vie qu'il avait "avant".
On peut aussi "revoir les volumes"...
Le tout pour une atmosphère qui ne ressemble à rien d'autre qu'à une projection de nous-mêmes.

J'ai toujours été plus que frileux quant à l'occupation d'un lieu qui m'a séduit et que je veux habiter et non investir.
Alors, avant qu'une vente ne vienne lui ôter son âme, avant peut-être que l'incurie et l'abandon ne transforment en ruine ces murs abandonnés, je viens vous entretenir de cette maison de Joinville en Vallage, à treize kilomètres de Charmes, désertée il n'y a guère.

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Banale, je m'élève au bas du promontoire sur lequel, autrefois, se dressait le château de Joinville, oui, du sire de Joinville, chroniqueur de Saint Louis et célébrité de la ville où le passage ici bas est perpétué à travers les siècles sous le nom de Jean Sire.
Le château des Guise, passa aux Orléans et son dernier propriétaire, le fameux Philippe, devenu "Égalité" par opportunisme,  vendit son bien ancestral aux démolisseurs avant que d'aller perdre sa tête sous certaine lame révolutionnaire qui, du coup, mit enfin de l'ordre dans le bouillonnement des confusions qui lui tenaient lieu de pensée.
Plusieurs maisons de Joinville furent bâties avec la carrière résultant de la mort d'un château entre temps devenu palais.
Peut-être ma modestie, pardonnez-moi ma mémoire n'est plus très bonne, peut-elle se prévaloir de l'utilisation de ces pierres prestigieuses pour bâtir mon existence ?
Je ne sais plus, mais je suis là, seule et désertée, et le jaune insolite et incongru qui couvre ma façade fut-il le masque radieux et trompeur de toutes les turpitudes inavouables dont si peu de familles sont exemptes ?

Mais je ne vous dirai rien des secrets habitant peut-être encore mes sombres intérieurs compromis par la béance des volets qui entament la longue et inexorable marche vers leur dégradation.
Peut-être les drames, les joies, les âpres disputes et les pactes de clan à clan quittent-ils les lieux sous forme de ces chauve-souris qui, silencieuses et furtives, fascinantes et vaguement infernales, sont si nombreuses dans la région ?

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Je suis peut-être laide, mais je n'en ai cure, je suis unique, unique et rebelle, j'ai effondré la volée d'escaliers qui conduisent à mon seuil pour rendre la tâche ardue à qui voudrait venir me visiter, me refaire une fausse beauté banale de pacotille, m'avilir du dégoûtant "confort" des "commodités" de Bricomarché au luxe stéréotypé et payable à crédit sans frais.
Tout sauf ce ravalage indécent, laissez-moi me lézarder, me déliter aux humidités des quatre vents, m'effondrer sur moi-même et sur les râles des coïts étouffés par l'exigüité des lieux.
Non, je ne livrerai ni le souvenir des éclats de disputes ni la torsion vulgaire du visage de mes occupants lors des maigres héritages, mais que voulez-vous, à qui n'a rien, peu est aubaine.
Laissez se couvrir sous la neige, se pétrifier sous la glace, se diluer sous la pluie et se racornir au soleil les plaintes retenues, les cris poussés en vain.
N'écoutez pas le retour des galoches en ces allées et venues de l'école à la maison et de la maison à l'école.
De toutes façons je resterai muette sur les émotions, les rires et les pleurs qui faisaient vibrer mes murs, je suis la tombe des mariages et des deuils, de la fausse innocence des communions solennelles et des naissances douloureuses sous l'égide d'une sage-femme de circonstance.
Qu'avez-vous à faire de nos dîners (on dit dîner ici pour le midi et souper pour le dîner) du dimanche où la rare porcelaine, soigneusement rangée, venait donner quelque lustre à une table plus habituée à la communne faïence ?
Ah, ce que vous trouveriez, rustique et incongru, le léger bruit de la cafetière en émail, un peu cabossée, pendant le filtrage de ce mauvais café où la chicorée l'emportait sur la précieuse denrée !
Combien ce poulet du dimanche ou ce coûteux gigot pascal pour lequel on se "saignait aux quatre veines" vous feraient sourire d'un air de commisération vaguement attendrie.
De grâce ne vous attardez pas.

Laissez-moi seule rêver au temps où les coteaux, rendus depuis à la forêt, étaient plantés de vignes et nous donnaient ce vin clair et râpeux qui faisait chanter si faux.

Tout a disparu, château, monastère et "église du haut", et ma mémoire aussi s'en va.

Laissez-moi mourir en paix.

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Commentaires
H
@ Nico : Eh oui, j'aime "écouter" les objets, ravis que tu aies aimé et apprécié ma petite maxime de circonstance inventée au fil de la plume
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N
cher Henri-Pierre,<br /> <br /> Quel bonheur de lire cette évocation. Voilà un exercice que j'adore : partir d'une impression, d'une image, d'un objet et laissez l'imagination retisser le fil d'une histoire. <br /> <br /> Bravo <br /> <br /> "A qui n'a rien, peu est aubaine"<br /> joli...
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H
@ Chon-Chon : cette "petite chronique" n'est qu'un regard, une interrogation, un constat du fugace.<br /> Merci d'aimer.
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C
J'aime beaucoup cette petite chronique...<br /> <br /> ^(oo)^
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H
@ Michel G : je ne suis pas étonné, mon cher Michel, que nous ayons en partage cette perception des lieux.
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