Saint-Petersbourg, impressions
Les pays de l'est exercent sur moi une étrange fascination, je ne peux pas parler d'atavisme que je sache ,aucun lien familial ne m'y attache de près ou de loin.
A Prague ou à Bratislava, tout comme à Dresde ou Budapest un étrange sentiment de reconnaissance intime me met d'emblée en pacte avec la ville.
Mais la Russie m'était encore inconnue ; je reviens d'un court mais intense séjour à Saint-Petersbourg, j'y ai découvert une part de mon âme, et de mon âme j'y ai laissé une part.
Il faisait très beau et la nuit n'arrivait pas à vaincre le jour, très tard les canaux scintillaient en clapotis de diamant et l'incendie semi-crépusculaire donnait des reliefs d'une puissance extrême aux alignements de colonnes.
Ah Saint-Petersbourg, voleuse des miroitements de Venise magnifiés en insolentes noblesses ! Tu as aussi dérobé à Amsterdam les fulgurants contrastes de ses cieux, et, unique, le long de la Néva et de ses canaux comme la Moïka, au bord duquel nous logions, tu t'enivres de toi même dans les narcissiques reflets de tes multiples beautés.
Ville d'eau et ville minérale, toujours étonnante mais jamais écrasante, la largeur de tes perspectives permet aux cieux de te pénétrer, de te parcourir et de toute entière te baigner. Fulgurante harmonie de pierre, d'eau et d'air.
Qui dira, Saint-Petersbourg, l'harmonie de tes façades tantôt baroques ou rococo mais aussi néo-classiques ? qui chantera l'hymne des statues qui ponctuent les cieux de leurs élans de pierre dans une surprenante dynamique aérienne ?
Et les verts ponctués de blanc du Palais d'Hiver et le bleu céleste de Tsarskoïe-Sélo, les façades jaunes de Pavlovsk et du palais d'Alexandre en reconstruction !
J'admire aussi, Saint-Petersbourg, la continuité que tu sais garder de toutes tes histoires, le régime soviétique consacra des sommes astronomiques à refaire à l'identique tes intérieurs dévastés aux murs d'ambre et de dorures, les allemands n'avaient laissé après neuf-cents jours de siège que des appareils de brique crue.
Le but de ce billet n'est pas de se substituer à un guide touristique, je laisse avec regret la forteresse Pierre et Paul, les dômes et les colonnades des églises si peu russes de la cathédrale Saint Isaac ou Notre-Dame de Kazan où la ferveur s'exhale en cantiques chantés par ces timbres russes si particuliers où les graves les plus sépulcrales servent d'assise aux envolées séraphiques des voix féminines.
Les intérieurs des temples étourdissent par la polychromie des colonnes de lapis-lazuli et de malachite ainsi que par la virtuosité des mosaïques dont la délicatesse des tons n'a rien à envier au plus délicat des pinceaux. Éblouissements.
La seule église de style national, Saint Sauveur du Sang versé, dresse au ciel ses bulbes invraisemblables où les restaurateurs à l'action se réduisent à la taille d'une mouche.
Pour aussi splendide que soit la cité de Pierre le Grand, rien ne surpasse l'extrême élégance de ses habitants, les ouvriers prennent des airs de rêves vains, de tensions sans quête qui expliquent Dostoïevsky.
Les filles, somptueuses sont de vraies œuvres d'art en mouvement, de toute la longueur de leurs jambes fuselées prolongées par de vertigineux talons et jouant pleinement de toutes les grâces d'une féminité assumée avec délectation.
Les concours d'édifices de sable mêlent d'habiles artisans de l'improbable, âges et sexes confondus, dans une souriante émulation.
La vie de ce court été sans nuit est comme une douce vibration de temps suspendu avant que l'interminable hiver ne vienne mettre un terme à ce gracieux nonchaloir.
Que je crains, Saint-Petersbourg, de t'avoir trahi, de n'avoir pas été le chantre qui te convient, que je me sens amputé de tant et tant que j'aurais encore voulu dire pour toi mais qui serait ici trop ou mal venu, je ferme les yeux sur le kaléidoscope de nos errances sans fin et si je ne voulais garder qu'une impression ce serait celle de la continuité de ton Histoire tissée de tes histoires dont aucune n'est désormais reniée.
Les Victoires de l'Amirauté vibrent pour l'aigle héraldique des Romanof mais aussi pour ce Lénine grandiloquant du quartier soviétique. Tout s'enchaîne désormais dans un flux aux soubresauts cohérents, rien n'est renié, tout est revendiqué.
Retour des derniers Tsars martyrs, désormais sanctifiés et à la tombe toujours fleurie.
Good bye Lenin.
Et maintenant ?