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Le blog de HP
11 février 2008

Deux ou trois choses...

... qui me restent d'elle.

Je me remémorais, il n'y a guère, dans un billet dédié à Mazagan, El Jadida, mes débuts de jeune professeur, j'y évoquais avec émotion le souvenir de plusieurs de mes anciens élèves dont Fouzia T.

Fouzia devait avoir une quinzaine d'années, elle était "immigrée" au Maroc de parents Syriens et, à ce titre, un peu marginalisée ; elle développa, en même temps qu'une vibrante sensibilité, un penchant résolu pour la solitude et la rêverie.
Fouzia buvait mes paroles et j'étais ému par l'intensité attentive de ses yeux si noirs et si brillants ; réceptive, elle avait perçu, sous la désinvolture affichée, les fêlures d'un autre déraciné.
Elle me couvait des yeux et ses yeux me bouleversaient, à cette époque bénie aucune suspicion ne naissait des attachements entre personnes de quelque sexe et de quelque âge que ce soit.
La jeune fille et son mentor encore si jeune s'étaient reconnus, c'est tout.
Lors de mes séjours à El Jadida, en début de semaine, Fouzia avait pris l'habitude de venir, l'après-midi, prendre le thé chez moi, elle arrivait souriante et heureuse, maternelle malgré son jeune âge et préparait le breuvage me disant ses bonheurs et ses solitudes ; La condition d' homme seul responsable d'un intérieur lui semblait, comme à toute la gent féminine du Maroc traditionnel, proprement impensable, aussi, elle considérait comme une mission sacrée de pallier cette carence en apportant à ma solitude un peu de chaleur féminine.
D'où le rite vite instauré du thé, mais, Ô horreur, il n'y avait pas d'argenterie chez moi ; bonne avocate, elle obtint de sa mère le don d'une petite cuillère qui les avait suivies en exil.
Un bouton de ma chemise accusant quelque faiblesse visible à un fil flottant que je m'ingéniais pourtant à enrouler autour de ce qui restait de lien n'échappait pas à l'acuité de son inspection ; elle revenait vite avec quelques aiguilles, une paire de petits ciseaux, et aussi un mètre de couturière en toile cirée soigneusement  plié dans une boîte de réglisse ZAN.

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Une petite cuillère argentée provenant, me dit'elle, de Syrie et un mètre de couturière lové dans la boîte d'une marque de réglisse qui, je le crois, n'existe plus.

Je ne restais que deux ans à Mazagan, à El Jadida, une nouvelle affectation à Casablanca mettant fin à mes séjours dans la petite cité.
Bien sûr je ne manquai pas d'emporter en souvenir ces déjà presque reliques que vous connaissez maintenant.

Je revis Fouzia, le temps que je restai à Casablanca, elle avait entrepris des études d'esthéticienne, et venait de temps à autre me faire une manucure à domicile. Cela m'agaçait dans le fond, mais elle éprouvait un tel plaisir à continuer à prendre soin de moi, comme elle le pouvait, que je m'abandonnais volontiers à son délicieux diktat.

Fouzia était brune, ses cheveux fournis et ondulés formaient une couronne mousseuse autour de son visage si pâle, elle n'était point grande et son attitude était presque modeste, en tout cas retenue, loin des caprices de la mode elle était toujours délicieusement convenable, ses chemisiers blancs impeccables ceinturés sous une jupe de longueur raisonnable ; non pas démodée, non, réservée oui, réservée est le mot.
Mais son sourire avait la profondeur calme des âmes sereines et droites.
Fouzia était une petite sœur, une fée Clochette tournée vers le bien.
J'ai quitté ce pays, je n'ai plus revu Fouzia, je n'ai plus eu de ses nouvelles, mais j'ai toujours conservé ces quelques choses qui me restent d'elle.

Hier, dans l'appartement parisien inondé de soleil, le tapis du salon semblait illusoire à travers le cristal du verre rubis plein de bulles d'ivresse ; De cette magie tremblante est venue l'image de ma lointaine amie.
De mon cœur, une larme monta à mes yeux pour donner encore un peu plus de flou au réel.

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Commentaires
H
@ Eva : Merci de me ramener inopinément ici, chère Eva. <br /> <br /> Je vous embrasse avec tendresse Fouzia et toi.
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E
"plus de flou au réel"... Et cependant, quand on te lit, la douceur est si précise qu'elle écarte le flou, et tu fais nôtre un souvenir extraordinaire...
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M
Ce qui m'avais troublée c'est le mètre-ruban comme celui d'Hélène - enfin il lui ressemble. J'en ai deux bleus mais c'est différent !
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H
@ Jeanne : Parce qu'en termes de douceur tu en sais quelque chose...<br /> <br /> @ Marie : Tu as raison, d'aucun sentiment vrai on ne saurait sortir indemne.<br /> <br /> @ Patrick : Si content de te revoir ici. Si je sais d'elle, je te dirai.<br /> <br /> @ Dream V : je crains, ma belle, que cette différence de positionnement ne soit générationnelle, je t'envie un peu.
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D
Ne pas oublier ces gens qui ont traversé une partie de notre vie...mais ne pas se complaire dans la douce nostalgie non plus...garder le meilleur...toujours...et vivre<br /> Amitiés
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