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Le blog de HP
15 janvier 2008

Benchaya

benchaya__3_


Le Maroc pays de potiers s'il en est, puise ce savoir-faire dans l'héritage immémorial du Moyen-Orient ; cet artisanat-art (difficile d'établir des frontières) atteignit son expression la plus parfaite à l'époque Andalouse et le répertoire varié à l'infini perpétue les mêmes codes jusqu'à aujourd'hui.
Encore qu'il émerge de façon récurrente une expression individuelle et originale pour les pièces les plus émouvantes.

Mais là n'est pas le propos de ce billet, cela viendra certainement un jour, bien que deux ou trois ouvrages de référence aient déjà été publiés.

Le pays ancestral, de terre et de feu, ne connaissait ni la porcelaine ni la faïence ; les échanges avec le monde extérieur firent donc que dans les maisons aristocratiques la vaisselle d'apparat venait de Chine, comme quoi les marchands peuvent avoir un rôle civilisateur sans recourir aux conflits armés, la "Route de la soie" par laquelle transitaient, entre autres, les porcelaines de l'Empire Céleste l'illustre parfaitement.

Mais il n'existait toujours rien entre les poteries traditionnelles et les riches productions du levant.
Le Maroc s'ouvrant, de gré et de force, à la fin du dix-neuvième siècle aux influences occidentales en vint ainsi à connaître la vaisselle de faïence ; cette production "bourgeoise", plus sophistiquée que les productions traditionnelles et moins riches que les objets précieux du bout du monde suscita un véritable engouement.

Dans un premier temps, et pour répondre à cette demande, les céramistes des pays occidentaux, et notamment Français se spécialisèrent dans une production aux décors "orientalistes" destinés à l'exportation ; Les fabriques de Creil, Montereau, Gien, Sarreguemines, pour ne citer que celles-là, inondèrent le marché Marocain de bols, jattes et assiettes aux dessins d'entrelacs et de croissants de lune étoilés en même temps qu'elles importèrent au Royaume Chérifien des motifs plus occidentaux. Cette manière quelque peu oubliée et totalement méprisée pourra faire l'objet de quelques lignes ici... A ma connaissance, rien n'a été écrit là dessus.

Mais l'injustice que je voudrai réparer ici est l'oubli dans lequel est tombée l'œuvre de S. J. Benchaya.
Cet industriel juif de Casablanca vit dans ce contexte une opportunité de s'enrichir tout en dotant le Maroc d'une production nationale ; l'ennui c'est que dans ce pays la faïence, en tant que matière première, n'existe pas...
Qu'à cela ne tienne, M. Benchaya établit au moment où le dix-neuvième siècle allait basculer en vingtième, son site de production au Portugal.
Profitant de la terre adéquate et d'une main d'œuvre patentée, la production de notre homme avisé dota le Maroc d'une  vaisselle moins traditionnelle, donc plus prisée, et néanmoins nationale.

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Les pièces illustrant ce billet résument assez bien la tendance "européenne" des productions Benchaya, les formes sont directement empruntées aux vaisselles occidentales mais la grammaire décorative est, elle, plus éclectique : Orientalisme  géométrique inspiré par les zelliges pour les deux jattes de gauche, louis XVI "Mata Hari" pour le grand plat du centre, et, pour les trois bols de droite, si nous revenons à la géométrie des jattes pour une pièce, les deux autres ornementations, feuilles de marronniers et fleurs empiétant sur une frise de rayures, sont, elles, empruntées au répertoire Art Nouveau.
Détail de très haute importance, le bol de droite est celui qui, plein de café noir, prélude au réveil total de mes matins parisiens.

benchaya

Les deux "jobbanas" à couvercle qui ornent la cheminée de la maison de Marrakech s'inscrivent, quant à la forme, dans la continuité de l'héritage traditionnel ; pour ne pas être en reste le décor couvrant réticulé est de la même veine.
Ces récipients servaient à conserver ce beurre rance qui ajoute sa note si caractéristique à tout bon ksa-ksou (coucous) du sud, le contenu a altéré et imprégné la matière tant et si bien que l'odeur, indélogeable, en est restée ; certes ce n'est pas du n° 5 de Channel, mais j'aime énormément cette fragrance-témoin qui, si elle diminue la valeur marchande de l'objet, en accroît sa véritable valeur, celle d'un objet domestique qui a servi et qui ne "se la joue pas" objet de décoration. Intégré au quotidien, ce qui vaut bien toute autre vocation.

Les "Benchaya" se sont arrachés sur les déballages de misère des puces à des prix de même misère ; les "découvreurs éclairés" étaient, au début des années quarte-vingt une micro-société de Casablancais furieusement mode (des bobos en quelque sorte) qui palliaient ainsi la raréfaction des pièces traditionnelles anciennes trônant à prix d'or dans les vitrines d'antiquaires prestigieux. Mais, même si le marché local a pris conscience que cette denrée valait mieux qu'une poignée de cerises, le renom n'en a pas franchi les frontières, j'ai recherché en vain sur les moteurs de recherche habituels de la Toile. En vain.
(si quelque lecteur avait d'autres lumières je lui serai reconnaissant de me faire partager un peu de sa science).

Aujourd'hui j'écoute en boucle une découverte musicale qui me bouleverse, l'album "Mano suave" de Yasmina Lévy, les paroles en ladino et les musiques moyen-orientales témoignent également de ce monde de concert des cultures qui survivait avant les fondamentalismes haineux de notre époque.

Benchaya, Yasmina lévy, Orient et Occident, temps révolus et temps présent...

Quelle délectation et quel refuge, quel chant d'espoir malgré tout.



 

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Commentaires
J
I have been trying to find more information about S.J. Benchaya by contacting a few of what I hope are descendants with the last name Benchaya originating from Casablanca but none ever responded to my inquiries. Does someone have had any luck with this or know who has more information?
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H
@ Bernaisia : Je ne sais pas si ces assiettes ont vraiment de la valeur marchande, je sais que dans les années 80 elles étaient "à la mode" et donc recherchées, <br /> <br /> les céramiques marocaines sont, effectivement, imprégnées de l'odeur du beurre qu'elles ont contenu pendant de nombreuses années.<br /> <br /> Merci de votre visite
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B
Bonjour , je viens de retrouver une assiette creuse de S J Benchaya , qui m'a été offerte quand j'habitais au Maroc en 1988 . Celle si a encore une odeur de beurre rance . A t-elle une valeur?
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H
Je possède un bol de "s.j.Benchaya casablanca"le debut de 20ème ciecle.
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H
@ jaap : Yes your jobbana has the same pattern as mines in Marrakech, just colors are differents.
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