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Le blog de HP
4 décembre 2007

Requiem pour un lapin

Un magnifique riad, un vrai, jouxtait la maison de Marrakech ; Par dessus les murs de la terrasse ses arbres découpaient leurs silhouettes et, lorsque l'incandescence solaire les nimbait de poudres de feu je savais que les muezzins envelopperaient l'atmosphère de la cité des appels à la prière du soir.

l'un de ces arbres, un cyprès en l'occurrence, présentait le profil surprenant d'un lapin. Et je l'aimais ce lapin dont les oreilles servaient de reposoir aux tourterelles, juchées tout là-haut, et qui bientôt donneraient vie à la ramure par les battements névrotiques et saccadés de leurs parades amoureuses.

La fièvre immobilière qui s'est emparée de Marrakech a détruit le riad ancestral et pulvérisé les vieilles vasques usées de ses fontaines, les carrés de jasmins et d'orangers ont aussi disparu, les grands arbres ont été abattus, c'est en retenant mes pleurs devant les ouvriers qui ont transformé l'aristocratique demeure en bourbier que j'ai immortalisé les racines de mon arbre, de mon lapin disparu.

J'ai crié à "l'architecte décorateur", un vieux beau marocain affectant de ne parler que le français et qui pataugeait dans la gadoue désespéré de crotter ses chaussures pointues et vernies, mon dégout et ma colère, en vain, je le sais.
Le riad sera une "maison d'hôtes" la sept-cent-huit-millionième de la capitale du sud.
Marrakech ne sera plus qu'un vaste hôtel et les habitants de la médina des valets au service des vanités du colonialisme de l'argent.
narjisse19

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La ville est en pleine mutation, il est de mauvais ton de "décorer" en style oriental, tout se doit d'être blanc, ficelle ou encore beige ; et minimaliste, "zen", bien sûr. En revanche il faut de l'eau. Comment Henri-Pierre, de cette chaleur pouvez-vous  vivre sans piscine ? Mais oui, mon cher et à défaut des chaises-longues des bords des bassins qui ne leur sont pas offertes, mes fesses privées des caresses du soleil peuvent bien en préférer d'autres.
Le pays des hammams ne prononce plus ce mot "local" et donc "vulgaire", il suffit de posséder un robinet qui coule pour se targuer d'avoir un "spa".

La ville nouvelle aussi est prise de frénésie immobilière, les silhouettes des maçons sur les échafaudages de fortune sont un défi à l'inspection du travail la plus rudimentaire. D'affriolantes jeunes filles et de roucoulants jeunes hommes proposent des programmes immobiliers en "share time" à des prix salivants.
Parfois l'approche tourne au marivaudage comme l'atteste l'illustration du centre ; mais qui pourrait leur en vouloir ? Que les sens abolissent les affaires est chose délectable.

De retour en médina mon œil s'émerveille, au coin de ma ruelle de ces géométries architecturales qui, heureusement sont nombreuses encore.

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Mais tout n'est pas rose dans la ville rouge. Loin de cette agitation et ignorées par les aveugles du cœur, la misère et la solitude s'étalent. La souffrance résignée de cette vieille dame voûtée à la dignité intacte, le blanc immaculé de la mendiante de Bab Doukkala et la lassitude de ce vieil homme appuyé sur sa canne restent la vraie noblesse du pays. A leur corps défendant.
Noblesse pathétique aussi que celle des ânes ou des mulets, langue pendante et écumante sous les charges incroyablement lourdes et l'implacable bâton des auriges de toutes les misères.
A Marrakech, plus qu'ailleurs, le choc monstrueux du dénuement et du gaspillage de la douleur et de la frivolité semblent inacceptables.

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D'aucuns essaient de s'en sortir comme ils le peuvent, les petits métiers sont légion, revendeurs de cigarettes à l'unité, charriage de charges à traction humaine pour les plus déshérités, à traction animale pour les mieux lotis ; cireurs de chaussures et vendeurs à la sauvette de mauvaises imitations de "marques" vous sollicitent à chaque coin de rue.

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Un vent d'espoir cependant : au luxe de ce mannequin illuminant de sa perruque verte une vitrine de Casablanca, répond à Marrakech, étalée sur une façade, la bannière de la révolte.

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Peut être un jour, les exploités de Chine ou du Maroc partiront'ils à la conquête de leur dignité, c'est, me semble t'il,  la seule antidote à leur esclavage et aussi au scandale des délocalisations des pays riches et leur course à la rentabilité assise sur les salaires de misère des pays pauvres.
Mais bon, je sens que je me laisse aller, là, aux truismes gnan gnan des velléitaires impuissants du bonheur des hommes ; on peut aussi attarder son regard sur les pigeons de Casablanca qui, amoureux, répondent aux oiseaux art-déco de la balustrade de ce balcon, s'extraire de la réalité et transformer la parabole en promesse d'auréole en contemplant ce bougainvillée blanc qui illumine la terrasse.

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Charles, lui, s'enivre de la fragrance de cette fleur de citronnier.

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Voilà encore un billet bien fourni en "images", et dire que lorsque j'ai commencé ce blog je voulais privilégier de mes "paysages mentaux", l'écriture... Et peu à peu, malgré moi, l'illustration s'est imposée.
Pourquoi ? je crois avoir cette nuit, trouvé l'explication : Etranger à tout dogme, à toute doctrine ou conviction, mes pensées et mes émotions naissent de ce qui se présente à moi. Le fortuit me construit puisque l'a priori me fuit.
Ce doit être cela, non ?


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Commentaires
C
De si belles photos de ton Maroc.<br /> Je t'embrasse.<br /> Christian.
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C
Cette belle ville perd toute sa personnalité, vraiment dommage.
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J
ces invasions de barbares<br /> ça me fou le coeur à l'envers<br /> ça ne rend heureux qu'une poignée de vrais nantis<br /> qui se foutent de tout un passé...<br /> je t'embrasse HP
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S
Rest In Peace, rabbit...
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T
Pauvre lapin !
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