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Le blog de HP
5 novembre 2006

Autour d'un portrait

La Señora Bermudez est un des portraits les plus saisissants du musée de Budapest.

goya_bermudez

Cette figure féminine composée en 1786 par le maître Espagnol Goya, intrigue par l'intensité d'un regard interrogatif qui n'attend cependant pas de réponse.
La question médiumnique du modèle provoque une interrogation sur soi, son oeil vous perce à jour et, si vous lui prêtez attention, sa demande envahit votre esprit : "Qui êtes-vous ?" et donc, "Qui suis-je ?".
Ce portrait échappe donc à toute contingence et atteint à l'universel.
Génie d'un langage de l'esprit, en l'occurence la peinture.

Ce préambule peut apparaître comme opposé avec ce qui va suivre car, effectivement, si l'esprit est supra national, la manière, elle, me semble totalement représentative de la culture hispanique. Pas de complaisance dans le détail, les étoffes sont traitées à grands coups de pinceaux avec une économie de moyens que nous ne verrons en apparaître en France de façon aussi évidente qu'avec Manet.

L'Espagne aux paysages arides et spirituels abolit le superflu, ses étendues vides sont peuplées de rêves et de tensions, l'écrasement du soleil géométrise les formes et les feuilles vert-de-gris argenté de ses oliviers, murmurent sous le vent d'un bruissement mystique.
Même un étranger venu de Crète et pour cela surnommé "El Greco" vit son génie happé par son pays d'adoption et nul autre ne sut représenter avec autant de force la grandeur, étrangement encore intacte, du site de Tolède.

Velasquez, avant Goya, peignait des Infantes au regard intensément fébrile et la somptuosité des atours ne nuisait en rien à l'expression des visages, tant les brocards et les moires étaient traités de façon allusive, elliptique.

Au vingtième siècle Picasso, héritier de cette puissance d'abstraction, inventa, avant de s'en détacher, le cubisme. Il n'y a donc pas de hasard dans cette façon de "voir" le sujet, j'y verrai plutôt une filiation, l'inscription dans un "courant" et, disons le mot, un certain déterminisme.
Voyez comme cette étude pour "Les Demoiselles d'Avignon" répond parfaitement à ce portrait de Velasquez de 1625 connu sous le nom de "Dame à l'éventail" :

picasso_avignon

velazquez.
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Pour démontrer, si besoin était, les différences culturelles, je prendrai pour exemple la portraitiste Française la plus emblématique du dix-huitième siècle, et donc contemporaine de Goya, Elisabeth Vigée-Lebrun.

VLBPenthie

VLB3.
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Chez ce peintre favori de la reine, les étoffes chantent de toutes leurs brillances et leur texture est si fidèlement rendue qu'elle en est quasiment palpable.
Il est de "mauvais goût" d'accorder une importance réelle à cette femme-peintre décriée pour son maniérisme et la parfaite inexpressivité de ses visages.
Ce que les modes et les enfermements qui en découlent peuvent conduire à la cécité de l'ignorance et de la prétention !
Elisabeth Vigée-Lebrun, en précieux témoin du siècle de la bienséance, ôte la vulgarité des émotions ou des sentiments du regard de ses modèles. Une personne bien élevée gardait ses mouvements intimes pour elle et se devait de n'offrir au monde qu'un sourire affable et de circonstance. Suprême politesse.

Mais passons au delà et regardons le langage des formes et des couleurs.

Dans ce portrait de Madame de Penthièvre le fond abstrait s'apparente à David, les moeurs sont à la simplicité et les grandes dames ne se font plus portraiturer entourées de riens luxueux dans les dorures de leurs salons. La Raison et la mode des préoccupations politiques ont banni les paniers et les falbalas coûteux. Dans ses mousselines blanches ce portrait abandonne le rococo et glisse vers le néo-clacissisme, la posture est méditative. L' heure est grave la Révolution est en gestation.

L'autauportrait d'Elisabeth avec sa fille est un pas de plus vers ce clacissisme, les tenues sont "à l'Antique", et même si les visages ne sont pas fouillés psychologiquement, l'abandon et le naturel de la pose font de cette toile un véritable hymne à l'amour maternel.

Une lecture attentive de ces tableaux nous révèlerait encore bien des indices qui mettent en relief l'inconséquence qu'il y a à classer Madame Vigée au rayon des "peintres de genre", expression condescendante des historiens de l'Art pour ceux qui ne sont pas hissés au rayon des auteurs de "grande peinture"

Pour conclure voici un croquis rapide et virtuose d'Elisabeth Vigée-Lebrun ; son crayon a surpris Marie-Antoinette lors d'une de ses promenades à Trianon, à ma connaissance aucun tableau n'a suivi ; la Reine est vue de dos et paraît bien seule au milieu de ces arbres qu'elle aimait tant. Son visage se tourne vers vous et on lit déja le sourire qui va vous accueillir et qui n'est pas encore né.
Un témoin superficiel dites-vous ?

VLBmachalk

Un musée, un portrait...

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Commentaires
H
@ Jean-yves : C'est le délicieux mystère de ce que j'appelle les champs d'élection.<br /> Et ça fonctionne dans les deux sens.<br /> Merci.
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J
Je t’écrivais - sur papier - en début de semaine à propos de mes recherches à la bibliothèque de Mauriac sur la Señora Bermudez. Je découvre ce matin un synchronisme tout à fait étonnant dans nos idées (notamment sur la retenue des émotions) avec un parallèle que je te proposais de partager au sujet du portrait de Madame Du Barry peint par Madame Elisabeth Vigée-Lebrun. <br /> Il y a des rapprochements intellectuels qui font plaisir à lire…
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H
@ Mitcha : Hé hé, toujoujours aussi folle de belles robes, hein ?<br /> <br /> @ Jeanne : Au hasard, l'enterrement du Comte d'Orgaz ?<br /> <br /> @ faust : Eh bien il est resté et c'est tant mieux, tout ce qui touche à Corne m'est infiniment précieux.<br /> <br /> @ Jim : Fuyant la Révolution E V-L a portraituré effectivement toute l'aristocratie d'Europe. As-tu lu ses mémoires ? Un monument d'égotisme mais si riche en indications de l'époque.
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J
J'ai eu à travailler sur cette dame là, en préparant un voyage à St-Pétersbourg. Mme Vigée LeBrun a été très appréciée des Tsars de Russie... j'ai pu admirer quelqu'uns de ses tableaux à l'Ermitage. Un grand moment.
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F
J'ai passé du temps a concocter un com sur ton blog, découvert en passant chez Corne, sur ton analyse si pertinante des peintres portraitistes espagnols jusqu'à Picasso. J'avais pris du temps, pour expliquer mon ressenti, mon besoin, mes pulsions irrépressibles qui me poussent depuis l'enfance à poser mes visions du monde sur des toiles et ... aprés quand je clique sur envoyer...pff, mon com disparaît...pourvu que celui-ci reste !
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