Basculement
Cette après-midi je vais fermer Charmes avant de prendre le train pour Paris et m'envoler demain pour Marrakech.
Le temps des longs séjours de la belle saison est révolu ; suivront simplement les fins de semaine plus ou moins longues jusqu'au prochain printemps.
Mettre une maison en attente, la livrer aux pénombres feutrées c'est déja se positionner en étranger d'elle.
Charmes m'échappera, je ne saurai rien des couleurs sans témoin, je n'entendrai pas les bruissements et les craquements qui ne manqueront pas de s'y manifester. Une vie animale s'arrogera le droit de tisser, vibrionner, pondre, naître et mourir en toute impunité.
Je suis jaloux de ce que ma demeure vivra sans moi.
Quitter Charmes c'est basculer en automne, je parcours les pièces avec le regard de celui qui s'en va, tout est magnifié par l'imminence de la séparation.
Une fin de repas désordonnée sous les volutes baroques des chandeliers, un reflet de soleil sur la flamboyance d'un rideau qui, les persiennes fermées, ne se jouera plus des sollicitations diaprées des lumières extérieures et de celles des bougies.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
Charmes s'endormira dans sa conque végétale où les vents de plus en plus frais commencent à animer l'atmosphère des premières valses de feuilles.
L'étang se pare de teintes glauques égratignées par le sillage de la barque.
La chasse commencera et je me réjouis d'avoir donné à Charmes le statut de réserve, au moins ici, renards et chevreuils pourront se réfugier.
J'aurai certainement du vague à l'âme en fermant les volets.
Belle et Chitan, plus perceptifs qu'on ne s'accorde à le dire me verront m'éloigner avec ce regard "SPA" qui rend leur vulnérabilité si touchante.
Puis ce sera Marrakech, je volerai encore un peu d'été au temps.
Le ciel implacablement bleu, les bruits domestiques de la maison, les confidences perlées de la fontaine toujours couronnée de roses, et les envols mystiques des appels à la prière surtout en cette période de Ramadan composeront cette partition si particulière.
Il y aura aussi, et surtout, les accostages aux visages aimés.
Persiennes et volets intérieurs sont fermés, j'ai un peu précipité l'action pour capter quelque chose de ma belle endormie avant mon départ.
Vous aussi, fidèles accompagnateurs de mes itinéraires, je vous quitte à regret, et, pour adoucir la distance, mon cyber des ailleurs sera mis à contribution.
A bientôt.