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Le blog de HP
6 avril 2018

Le jeu en valait-il la chandelle ?

Deux portraits de la fin du dix-huitième sont sujets à controverse et qui concernent tous deux une même personne que je me propose de vous présenter.
Mais, avant toute chose, venons-en aux deux objets de litige.
La première effigie, un pastel suscite la polémique, non quant à l'identification du modèle, mais quant au talentueux artiste à qui nous le devons.
Il s'agit, et ça nul ne le conteste, de la ravissante Madame Chalgrin, cependant, le portrait attribué jusqu'à présent à Élisabeth Vigée-Lebrun et figurant en tant que tel dans le catalogue raisonné de l'exposition de décembre 2015 consacrée à l'artiste sous l'autorité de M. Joseph Baillio, serait, selon l'écrivain dix-huitiémiste, M. Olivier Blanc, l'oeuvre d'une autre portraitiste contemporaine, Rosalie Filleul. Le tableau, au demeurant, est toujours au château de Montbouy, chez les descendants de Rosalie.
La tendre sensibilité qui émane de ce portrait est vraisemblablement dûe au fait que, quelle que soit l'artiste, c'est l'amitié qui a présidé à son l'exécution, les trois femmes, jeunes, jolies et mondaines étaient amies. Nous aurons l'occasion d'y revenir.

Emilie

Mises à  part certaines considérations de style, pas aussi convaincantes, à mon avis,  que ne le voudrait Olivier Blanc, le même écrivain attribue ce pastel à Rosalie Filleul de Besne née Rosalie Anne Boquet de Liancourt au prétexte que la mise du modèle serait plus à la mode de 1793-94 que celle de1789, l'argumentation repose essentiellement sur la coiffure dénuée de poudre et flottant librement sur les épaules ainsi que d'autres détails antiquisants du costume (ou du moins le peu que l'on en voit). L'argument me semble mince car Vigée-Lebrun, férue de "pittoresque" détestait poudre, paniers et falbalas, elle "arrangeait" à son goût, coiffures et toilettes de ses modèles, exhortant même la Reine à ce faire, laquelle déclina la proposition au prétexte que les malveillants attribueraient ce changement de coiffure à la volonté de masquer le front qu'elle avait grand.
D'autre part, de nombreux portraits de Vigée montrent des femmes aux cheveux au naturel et ce depuis les années 1770, beaucoup de robes de ses modèles ne sont pas de fidèles reflets des modes de son temps, puisqu'elle les arrangeait à sa manière, à cet effet, je vous renvoie, cher lecteur, à la description de la "fête athénienne" donnée par madame Vigée-Lebrun, en 1788 et où elle s'empressa de recoiffer et habiller à l'antique ses invitées dont madame Chalgrin.
En tout état de cause il me semble donc plus pertinent de s'en tenir à l'attibution de Joseph Ballio.

Le deuxième portrait, une toile inachevée, est dû au talent incontesté de Jacques-Louis David, peintre à l'immense talent mais aux faibles qualités humaines. Il représente une jeune femme, simplement mise comme il était de bon ton dans les premières années 1790. Seul le visage est achevé, mais il s'en dégage une grâce quelque peu vaporeuse et nostalgique qui rend le portrait très attachant.
Ce portrait tangue quant à lui, entre deux identifications, le musée du Louvre le présente actuellement sous l'identification de Madame Trudaine après l'avoir présenté comme une représentation de Madame Chalgrin.
Il est plaisant de penser que si ce portrait, comme j'en suis quasiment convaincu, est celui de Madame Chalgrin, son image est retournée dans le palais où son père, peintre du roi, occupait le logement où elle vécut du temps de sa jeunesse.
Que faut-il en penser ?

David Chalgrin

Nous savons que David fut éperdument amoureux de la belle Félicité et que cet amour ne fut pas réciproque, il fut donc éconduit, probablement lors d'une séance de pose, ce qui pourrait expliquer que le tableau restât inachevé ; L'amour de l'ami de Marat se transforma donc en ressentiment et il fit très cruellement payer à l'infortunée rétive le dédain dont elle le gratifia, David jouissant de grands pouvoirs de par son adhésion à l'aile dure de la Révolution. Nous en verrons les circonstances plus loin.
Le portrait insupportable aux yeux de la fille de Félicité alla alimenter les pleurs de la famille Vernet demeurée inconsolable, et il me semble tout à fait vraisemblable que pour ne pas entacher d'opprobre la réputation de l'opportuniste révolutionnaire rallié à Napoléon, on préféra ne pas transmettre à la postérité cet épisode si peu glorieux.

Mais pourquoi, me direz-vous, ce long préambule autour de deux portraits ?
Eh bien, il n'y a guère, Bayonne consacrait une exposition au peintre Joseph Vernet qui résida un temps à Bayonne,  pour satisfaire la plus importante commande de Louis XV, la vue des 24 ports de France, dont quinze seulement furent exécutés et parmi lesquels celui de Bayonne, ville où naquit de son union avec sa femme Virginie Parker rencontrée à Rome, le 20 juillet 1760, Emilie-Félicité, notre héroïne.
Ma soeur habitant le pays Basque et connaissant ma dilection pour le dix-huitième siècle, me fit parvenir cette coupure d'une publication locale qui profitait de l'occasion pour évoquer la figure de celle qu'ils considèrent comme une "payse" et dont je me propose de vous narrer le destin.

IMG_7461

Avant d'aller plus avant, attardons-nous sur l'aspect physique de celles qui devinrent d'inséparables amies unies jusque dans la mort.
Le portrait de la jeune fille à l'âge de neuf ans est dû au talent de Lépicié et figure dans les collections du Petit Palais, la beauté qui vaudra tant de succès au modèle point déjà sous l'afféterie quelque peu conventionnelle de la pose et ira s'épanouissant avec éclat comme l'atteste la belle représentation d'Élisabeth Vigée-Lebrun faisant partie des collections d'un hôtel particulier du centre de la France ; l'oeuvre, selon la mode et la date d'émigration de la portraitiste de Marie-Antoinette est de 1788-89.
Madame Vigée aurait pu au demeurant figurer dans cette galerie puisqu'elle fut grande amie de Rosalie et d'Émilie. De Rosalie Filleul,  voici un médaillon qui vaut ce qu'il vaut et dont j'ignore la localisation mais qui a l'avantage d'être dû au pinceau d'Elisabeth Vigée-Lebrun ; de la dame il existe bien des figurations car elle était belle, célèbre et protégée du couple royal ; si votre curiosité est aigüisée, la Toile vous satisfera pleinement.
Emilie C 1769 petit palais

Emilie ChalgrinFilleul_Marguerite-Emilie-Chalgrin

Passons vite sur les années heureuses, le bonheur comme chacun sait n'est jamais de longue durée...

Mademoiselle Boquet fut la grande amie de jeunesse d'Élisabeth Vigée, elles étudiaient l'art de la peinture ensemble et la beauté des deux amies devait être grande, laissons la parole à Madame Vigée qui évoque ces temps heureux dans ses mémoires où il apparaît que la modestie n'était pas sa qualité cardinale : " nous ne pouvions passer dans cette grande allée du Palais royal, mademoiselle Boquet et moi, sans fixer vivement l'attention. Toutes deux alors étions âgées de seize à dix-sept ans, et mademoiselle Boquet était fort belle" plus loin "Mademoiselle Boquet avait un talent remarquable pour la peinture, mais elle l'abandonna presque entièrement après avoir épousé monsieur Filleul, époque à laquelle la reine la nomma concierge au château de la Muette". Petite précision, en fait le concierge en titre était l'heureux époux qui eût cependant le mauvais goût de mourir jeune et Louis XVI conserva la charge à la jeune veuve qu'appréciait Marie-Antoinette. Cette faveur aurait plus tard des conséquences désastreuses...

Revenons-en à Émilie-Félicité, choyée par ses parents, elle fut mariée à seize ans à Jean-François Chalgrin, célèbrissime architecte neo-classique de la phase dite "grecque" ou "dorique" à qui nous devons entre autres, l'église Saint-Philippe du Roule, l'hôtel Saint-Florentin et les plans de l'arc de triomphe de l'Etoile que seule la mort l'empêcha de mener à bien.
Le marié avait juste le double de l'âge de sa belle épouse, et le mariage ne fut pas heureux  si bien que peu après la naissance de leur fille, Louise, le couple se sépara laissant tout loisir à la jeune madame Chalgrin de mener une vie des plus libres et mondaines elle eût, entre autres, comme amant le chevalier de Conti, la belle était de toutes les fêtes brillantes du crépuscule de l'Ancien Régime mais n'émigra pas les jours sombres venus.
De cette période insouciante gardons le joli mot d'un Voltaire ébloui  : Quand "l"part, il reste "chagrin"
Résidant au Louvre après le décès de son père en 1789, Émilie-Félicité dut quitter précipitament le palais saccagé en 1792 sous la pression des événements et fut  hébergée contre un modique loyer par son amie Madame Filleul en son hôtel de Travers à Passy.
Le décor du drame est planté...
Madame Filleul avait mis en vente chez un brocanteur de menus objets disparates en provenance du château de la Muette comme sa charge, datant du temps de la royauté l'y autorisait, mais elle fut dénoncée par le haineux et intraitable policier Blache informant le Comité de Sûreté Générale du vol des biens de la Nation par  "la nommée Filleul, intime amie de Messaline Antoinette", si bien que la malheureuse portraitiste fut arrêtée avec ses "complices" dont sa mère de plus de soixante-dix ans.
Le jour d'après, l'appartement d' Émilie fut perquisitionné et l'on découvrit quelques paquets de bougies, pour vingt livres, qui provenaient du château de la Muette, don de son amie pour agrémenter le mariage de la jeune Louise Chalgrin.
Madame Chalgrin à 34 ans rejoignit son amie à la Conciergerie. Carle Vernet, frère de la malheureuse promis à un brillant avenir de peintre comme son père, fit des pieds et des mains pour soustraire sa soeur aux rouages de l'affreuse mécanique mise en marche, il supplia David d'intervenir auprès de Robespierre, mais l'amoureux éconduit tenait sa vengeance : il fut inflexible.
Le 6 thermidor de cette année ci-devant 1794, après un semblant de procès inique, les huit accusés finirent leurs jours sous le couperet du "rasoir national".
Quatre jours plus tard ils eussent été sauvés, Robespierre suivait le même chemin...

Je me suis toujours tenu éloigné de toute idéologie, doxa ou doctrine, et, en ces temps convulsifs que nous vivons, cela me semble de plus en plus salutaire, le destin de cette aimable femme que fut Émilie-Félicité nous le rappelle, elle qui fut victime de deux passions exacerbées : celle des idées et celle de l'amour.

 

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Commentaires
H
Le monde codée-normé de l'informatique réserve parfois d'incompréhensibles surprises. Une faille qui "humanise" la technique, ce qui t'a obligé à revenir ma Douce-Amie, et c'est bien ainsi. T'embrasse
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J
mais où est mon commentaire d'hier ??<br /> <br /> ma boîte mail fonctionne mal en ce moment !<br /> <br /> et j'avoue mon incompétence...<br /> <br /> les choses ne changent guère alors quand elles s'emballent : l'amour toujours<br /> <br /> et les idées..<br /> <br /> mais mais ....l'embrasement ....<br /> <br /> je t'embrasse
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H
Merci, cher Olivier pour ton commentaire, dans un premier temps, voici le lien qui t'amènera à la page d'Olivier Blanc à laquelle je me réfère dans mon billet :<br /> <br /> https://gw.geneanet.org/darbroz?lang=fr&n=vernet&oc=0&p=marguerite+emilie+felicite<br /> <br /> Je connais ce dix-huitiémiste depuis longtemps et nous nous sommes beaucoup vus à un moment donné, je l'ai à présent perdu de vue, nous n'avons pas la même façon d'aborder l'histoire, ce qui a donné lieu à bien des discussions sans que ni l'un ni l'autre ne variât d'un iota sur ses positions.<br /> <br /> Cet auteur a pour pratique l'interprétation d'indices de manière quelque peu légère à mon avis, son ouvrage sur madame de Bonneuil est une suite ininterrompue de "étant donné que, on est en droit de penser" ou "à la suite de quoi, il apparaît que", etc. etc.<br /> <br /> Dans ce document il parle d'une brouille entre Elisabeth V-L et Mme Filleul mais n'en donne pas les sources, en revanche, dans ses mémoires, en lein dix-neuvième siècle, E V-L parle de sa "collègue" avec beaucoup d'affection ; il dit également que si la portraitiste de la Reine était ultra conservatrice, Mme Filleul était "constitutionnelle", s'il est certain que les sympathies de Vigée allaient vers ceux qui constituaient le biotope social de sa vie, je n'ai trouvé nulle part trace des prises de position politiques de son amie de jeunesse.<br /> <br /> L'autre argument est l'absence de poudre sur le portrait ainsi que le tombé naturel de la chevelure, quant à cet argument j'y ai répondu dans mon billet.<br /> <br /> Tu sais bien ce que j'en pense...<br /> <br /> A chacun de se faire sa propre opinion.<br /> <br /> Je te remercie de l'attention que tu apportes à mes modestes écrits, mon ami.
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H
Merci de ce bel article, richement documenté, cher Henri-Pierre. Il m’a beaucoup intéressé, comme tu peux bien l’imaginer. 😊<br /> <br /> Quant à l’attribution du pastel, que dire ? Si ce n’est que nous savons bien, toi et moi, que pour se faire un nom dans le vaste monde des historiens de l’art, il faut à tout prix désattribuer pour réattribuer. Et ce en s’« attaquant » aux grands noms de préférence.<br /> <br /> Je serais curieux de savoir sur quelles bases M. Blanc attribue ce portrait à Rosalie Filleul, attendu que le corpus d’oeuvres de cette artiste est tout de même assez réduit. Et même si elle était une bonne portraitiste et qu’elle avait étudié le dessin en même temps qu’Elisabeth Vigée Lebrun (si je me rappelle bien), ses œuvres étaient loin d’atteindre au niveau de qualité de celles de son amie.<br /> <br /> Je serais curieux, en particulier, qu’on me montre un autre portrait de femme au pastel par Rosalie Filleul approchant la grâce et la souplesse d’exécution de ce portrait de Mme Chalgrin. (Cela dit, le portrait de Benjamin Franklin est très bon, certes. Peut-être même l’une de ses meilleures œuvres.)<br /> <br /> Mais peut-être le corpus d’oeuvres de Rosalie Filleul est-il plus important que je ne le soupçonne ? Qu’en dis-tu ?
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H
Très intéressant article. Je ne suis pas connaisseur mais lorsque j'ai vu ce portrait , il y a bien une légère différence dans la posture du modèle, plus moderne, tout comme une ressemblance avec le cachet de de Mme Vigée-Lebrun
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