Chronique d'avril : Irruption d'un printemps tardif en deux volets
L'idée même de renouveau était devenue improbable tellement l'hiver semblait peu enclin à lâcher prise malgré les injonctions du calendrier.
Mais soudain, en ce matin du samedi 13 avril, le printemps paresseux a fait, contre toute attente, irruption en la maison stupéfaite qui subissait avec allégresse en ses divers coeurs la transverbération fougueuse des dards irrésistibles des rayons.
Frappés de plein fouet par la lumière, les objets irradiés rutilaient sur fonds de luttes indécises d'ombres et de lumières.
Je vous propose quelques arrêts sur image dans le scintillement du kaléidoscope de deux jours de ce premier week-end de beau temps, un samedi à Charmes et le dimanche suivant aux Ormes sur Voulzie où nous nous sommes rendus pour un déjeuner familial.
Premier volet : Charmes
L'étang ivre de ses eaux gorgées de soleil donnait le ton de la scénographie dès l'ouverture des persiennes.
Cheveux en bataille, pyjama malmené par le passage de la nuit, mais muni de mon appareil photographique, je me suis attaché avec enthousiasme à traquer les mille et un détails de ces fugaces mises en scène ; c'est qu'il ne s'agit pas de traîner, le tableau du moment a une durée de vie si courte...
Dans la chambre des Iris, la lumière rasante ciselait les motifs du velours des doubles rideaux tandis que les stores d'organza disparaissaient, avalés par la clarté ; en bas les couleurs des murs et des boiseries de l'enfilade de pièces s'accordaient en ententes contrastées, heureuses et éclatantes, comme un rire d'action de grâces ; dans la salle à manger les étains ne pouvant lutter avec l'éclat des rayons de l'astre n'avaient d'autre alternative que de se dissoudre tandis que le bleu des murs, infranchissable et obstiné, absorbait l'incendie sans rien céder aux insistantes sollicitations des rais du dehors qui filtraient des fenêtres.
Après de longs mois de vie repliée sur elle-même, la bâtisse s'ouvre enfin au beau temps et se fait complice des jeux de clartés coruscants d'un renouveau ivre d'éclats vagabonds renvoyés aussitôt que reçus.
Les miroirs, eux, s'en donnent à coeur joie ; tel tain ancien donne du fil à retordre aux tissages qu'il réfléchit les forçant à la danse, les battants des portes composés de carreaux de glace, une des caractéristique de la maison, multiplient les irradiances de la fête étourdissante de lumières et de couleurs.
Et puis, je m'attarde sur les tableaux inopinés ou les facéties lumineuses de ces débuts de saison primesautiers ; cette table de verre noir exalte et multiplie les flamboiements des cristaux rubis et met en abîme le lourd rideau qui en perd sa pesanteur ne sachant plus où est sa tête et où sont ses pieds ; Eugène Besnard d'habitude si grave voit son costume sombre illuminé d'un parement impromptu de griffes de clarté qui le déguisent en docteur genevois de l'époque de Calvin ; juxtaposé aux irradiances des tissus et du mur, le grand deux-corps de la salle à manger nous dit que noir n'est pas forcément noir.
Décidément, tout est culbuté, tourneboulé, détourné ; la maison rit aux éclats, et moi avec, seul, vaguement ridicule, mais joyeux. Qu'il est bon de cueillir un instant de bonheur qui vient ainsi sans s'annoncer, de s'y livrer sans retenue, sûrs que nous sommes de la fugacité des instants de grâce.
Deuxième volet : Les Ormes sur Voulzie
Une petite région, non loin de Provins : la Bassée.
Un déjeuner familial dans ce charmant village des Ormes (on ne peut toujours être dans les charmes, biotope oblige) traversé par l'indolente rivière la Voulzie qui serpente sous des frondaisons de livres de lecture des écoles primaires de nos enfances.
Mais, de ce village je n'en dirai pas davantage, pas plus que je ne vous ferai saliver, cher lecteur, par le compte-rendu du menu (succulent, soit dit en passant) ; non, toujours en embuscade à la recherche des fulgurances de ce printemps tant attendu, je me bonerai à m'attarder sur une modeste construction abandonnée, une cabane de fortune qui fut la maison de jeux de trois petites filles, Marie, Jeanne (notre hôtesse) et Mireille, trois soeurs toujours unies et complices mais qui ont, en dignes mères de famille, abandonné le nid de leurs rêves d'enfants.
Vite, vite, avant que les bois ne se désagrègent, les fers ne se délitent dans leurs oxydes et les pierres ne retournent à la poussière, jouons les Robinson des terres vierges de toute utilité mais gravides de tant de souvenirs des émerveillements enchantés de l'enfance.
Une petite fenêtre-observatoire en carré qui joue au losange et aux lèvres fardées de rose-mauve écaillé, ainsi que les intervalles des planches disjointes, baignent de douces lueurs vibrantes l'antre d'émotions évanouies.
Un petit rateau de matière plastique rouge penche sa détresse d'orphelin vers la gauche, cherche t-il le petit seau assorti dont lui seul garde le souvenir ?
Le lustre si "fin soixante / début soixante-dix" se fend d'un dernier effort pour tendre sa toile qui, épuisée de tant d'efforts prolongés, finit par céder aux coutures.
Un tabouret exigu, autrefois affecté à la traite des vaches, et depuis bien longtemps inutile dans les fermes devenues des usines, se dota d'une deuxième vie dans la petite maison ; mais deux vies c'est déjà beaucoup pour un tabouret tripode... Les pieds disparus, trois petites blessures béantes offertes aux rares yeux qui s'y attardent encore, montrent la vaillante mais irréversible agonie de l'humble objet déchu.
Tous les matériaux se dissolvent dans le temps, le rideau à la couleur enfuie depuis si longtemps que nul ne se la rappelle, se pare comme une vieille coquette du brillant d'un rai de lumière, la pierre de l'auge où les enfants cultivaient jadis leurs fleurs s'étoile des éclats d'or de somptueux lichens tandis que la mousse traîtresse en désintègre le coeur.
Reptilien cet objet non identifié en fer ( suspension de chaudron ?) meurt lui aussi en beauté transformant sa misère en robe d'apparat.
Mais c'est le bois qui surtout fascine l'objectif de mon appareil photographique, le battant de la porte de la cabane, plus jamais refermée, nourrit à force de ruissellements de pluies les mille et un parasites végétaux de sa décomposition, d'autres étagères aux complications biscornues et inexpliquées se voilent avec une triste élégance des gazes tissées il y a bien logtemps par les araignées et aujourd'hui cendrées de poussières.
Le noeud d'une planche qui a oublié jusqu'au souvenir de la sève vous fixe encore malgré l'avancée de la cataracte d'un lichen. Pour combien de temps encore ?
Il est temps de repartir, je suis inexplicablement content de ma moisson d'images d'un humble petit témoin de jours révolus, comme si j'avais capturé les derniers battements de son coeur abandonné avant que le temps, implacable, ne mène à son terme la destruction définitive, à moins qu'une soudaine exigence de mise en ordre n'en précipite la fin.
Ce samedi 20 avril, de retour à Charmes, le vent aigre et le ciel couvert nous disent le mensonge de ce que nous avons pris pour une promesse de printemps.