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Le blog de HP
26 mars 2008

Le Bardo

Bonheur d'un séjour pascal imprévu à Carthage, grâce à d'attentionnés et chers amis.

Tunis des fleurs ; fleurs sauvages des sables ou de la terre, mais aussi fleurs flottantes et mourantes exhalant leurs fins de vie en langueurs soupirantes.

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Tunis des portes aussi, mystérieuses portes du fameux bleu apothropaïque qui en Méditerranée préserve des maux du monde. Mais aussi portes dissidentes refusant l'azur pour une autre couleur qui encore en accroît le mystère.
Mystère des portes fermées, mais aussi de celles qui s'ouvrent sur la fin de non-recevoir d'une chicane.

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Mais l'émotion m'attendait surtout au si particulier musée du Bardo cet ancien palais de l'époque Beydale affecté à l'usage actuel dès la fin du dix-neuvième siècle.
Encore un des rares musées à avoir échappé à la "muséographie rationnelle" qui partout arrache aux œuvres exposées la douceur de leur respiration immémoriale par la crudité de la "mise en valeur" au moyen d'un "éclairage directionnel".
Un objet de musée se méritait, il s'expose dorénavant ; le dialogue qui s'instaurait avec lui devient difficile...
Il était temps de visiter ce musée des abords de Tunis, un prêt consenti par la Banque Internationale, et pour un montant colossal, viendra anéantir le charme de cette esthétique de cabinet de curiosités pour en faire un "musée moderne". Allez, éclairez, épurez autant qu'il vous plaira, vos modes dérisoires ne dureront pas tant que ces témoins des temps passés si riches de leurs mémoires lointaines.

Mais le mal est encore plus grave, la Tunisie sait bien qu'elle n'aura pas les moyens de rembourser un prêt qui marque le fin de son autonomie dans la gestion de ses trésors.

Alors laissons-nous aller aux rêveries encore permises dans les semi-pénombres de l'envoûtant édifice.

L'édifice en lui-même est emblématique des riches demeures de l'époque des Beys, la grammaire géométrique andalouse si omniprésente au Maroc se mêle ici aux décors Ottomans de rinceaux et de délirantes appropriations des poncifs Renaissance.

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Les structures du bâtiment sont tellement simples que l'exubérance et la juxtaposition fantasque des thèmes ornementaux ne nuit aucunement à l'élégance de l'ensemble qui reste d'une rare harmonie.

Les collections recouvrent une longue page de l'histoire de l'humanité, allant du premier édifice cultuel connu, le "hanout" datant de quarante mille ans au moins jusqu'à l'émergence des figurations issues de l'enseignement de Christ.
Et là, on est bouleversé devant la pérennité des rapports de l'homme avec l'esprit, l'essence de son être ; Préhistorique ou chrétienne, punique ou romaine la même exigence eschatologique s'impose à l'homme.
Partout et en tous temps l'œuf, germe de toute vie, réceptacle de toutes les possibilités existantes, est le véhicule de ce symbole universel.
Et, d'évidence, votre âme embrasse vos prédécesseurs soudain si proches, si solidaires, et se projette avec ferveur dans les futurs d'où elle ne sera pas exclue.

Les dieux puniques dans un joyeux syncrétisme absorbent les influences romaines ou égyptiennes, aimables ou hiératiques, les idoles parlent le même langage, la même peur de l'homme si fragile en sa finitude et si confiant dans la part d'immortel qui lui échappe pourtant.

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Revenant à des préoccupations plus terre à terre il faut bien nourrir le petit de l'homme, perpétuer l'espèce ; que de tendresse dans ces biberons puniques d'argile délicatement décorés.

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Les mosaïques romaines embrassent tous les styles des pavements, des xenia (reliefs de repas épars au sols des salle à manger) aux gloires de la pensée et aux héros de la mythologie.
Le seul portrait connu de Virgile (de deux siècles postérieurs à sa mort cependant) entouré de ses muses Clio et Melpomène, le majestueux triomphe de Neptune et la luisante musculature des Cyclopes forgeant les foudres de Jupiter sont les choix difficiles et arbitraires que je fais pour témoigner du sommet qu'atteignit cet art dans les pavements des riches villas.

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La seule occupation que n'ait pas connu le sol Tunisien est celle des Grecs, mais qu'à cela ne tienne, les dieux amis du Bardo ont fait qu'une nef romaine qui revenait, au premier siècle, fournir le marché de l'art de son pays des trésors grecs pillés sur leur sol d'origine (déjà) s'échoua sur les côtes tunisiennes ; ainsi notre musée bien-aimé peut nous présenter les témoignages, plus ou moins corrodés par la mer, d'une civilisation allogène.
Lits de repos, bronzes ou marbres témoignent du goût de celui qui ne les posséda jamais pour notre plus grand enchantement.

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M'apprêtant à quitter les lieux, je reviens vers la salle des costumes anciens.
Rendues immatériellement floues par les vitres épaisses et la lumière tamisée, ces silhouettes, fantômes des odalisques qui hantèrent jadis les salles de ce palais me disent la paix enfin trouvée ici et la crainte de ce qu'il adviendra de leur univers-écrin d'un monde d'avant où la langueur oisive de leurs doigts délicats écartait les soieries des tentures pour deviner furtivement un peu de l'extérieur.
En partant il me semble que le doux bruissement de leurs mousselines alourdies d'orfrois enveloppe le regret de ma sortie, comme un sortilège.

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Déjeuner à Hammamet, il est difficile d'affronter la vulgarité tapageuse des lieux, mais j'ai rompu mon carême, et dans la somnolence d'un vin d'or pâle mon œil se réjouit de la  tendre sensualité subreptice d'une hanche adolescente au repos et de la pantomime innocente des jeux d'enfant.
La vie continue...

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Commentaires
H
@ Buz-buz : ah te revoilà ! quel bonheur. Tu vas bien, mon cinéaste préféré ?<br /> @ JanLuc : Manset et Bosch fils du Bardo, beau prolongement à l'universalité des sensibilités que j'évoquais.<br /> @ chaque homme : Didon a joué à cahe-cache lors de mon séjour Carthaginois, heureusement tu l'as emprisonné dans ton blog pour m'apporter la récompense de ton passage en mon blog.Merci.<br /> @ Ouam : J'ai hélas, ou par bonheur beaucoup de mémoires. Je suis heureux qu'un peu d'elles participe à ton contentement.<br /> @ Phil le Baladin :j'aime le pendule qui timidement affermit son balancement de l'un à l'autre depuis quelques temps. Continuons.<br /> @ michel G : Venant de vous, Michel... Vous le fils du pays... jugez de ma fierté.<br /> @ Cristina : La grande place était moins vide que tu le penses, nos pensées convergentes y étaient. La prochaine fois nous y serons.<br /> @ Jardin B : N'ajoute rien, reste-moi, c'est tout. Et c'est immense.<br /> @ victor F : Enhorabuena y gracias por tu vuelta.
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V
Bonjour, H-P : mon blog a ressuscité. J'espère écrire souvent. <br /> <br /> Et j'espère te voir bientôt. Je t'embrasse !
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J
Je ne vois qu'ajouter à ce concert de louanges amplement mérité. Tu parles du Bardo comme si tu y avais toujours vagabondé, preuve, s'il en était besoin, de la capacité qui est la tienne à saisir en un instant l'esprit des lieux et de ce qu'ils recèlent. C'est un don infiniment rare.<br /> Ce que tu dis de la prochaine disparition de ce lieu au profit d'un musée si bellement moderne est profondément attristant. Comme le soulignait Jerem, la muséographie moderne conduit parfois a des choix discutables, où, ainsi que tu le notais, le rapport intime à l'oeuvre est remplacé par le spectaculaire d'une mise en scène de plus ou moins bon goût, et ce n'est pas, soit dit en passant, pour autant que l'on fait venir au musée ceux qui n'y viennent pas. En t'écoutant parler du Bardo, je songeais d'ailleurs à cette sorte de "musée frère" qu'est le Musée de l'Oeuvre Notre Dame de Strasbourg, et je frémissais à la pensée qu'un jour un idiot quelconque songeât à le déplacer ailleurs qu'entre ses vénérables murs. J'espère que personne n'aura une aussi sotte idée. Le progrès, ou ce qui en tient lieu, est décidément parfois une plaie.<br /> Merci à toi pour ce voyage dans le temps et l'espace, merci pour l'attention que tu portes aux lieux comme aux gens et que tu sais magnifiquement rendre.
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C
Bon retour parmi nous, le voyageur!<br /> "La grand pace était vide..."!!!
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M
Je ne sais quoi vous dire, tant je suis heureux et ému d'un tel article sur le musée du Bardo que je connais depuis l'enfance. Personne, je pense, n'en avait aussi bien parlé. Merci Henri-Pierre, vos mots précieux et rares enrichissent vraiment ceux qui veulent savoir... et savoir c'est aimer.<br /> @ bientôt<br /> <br /> Michel
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