Sijilmassa
Arrivée quelque peu cahotique à Marrakech où la réfection totale des égoûts (et oui, la poésie n'est pas toujours la livrée du voyage...) rend les ruelles du derb plus improbables qu'un chemin de contrebandier. L'odeur méphitique semblerait insupportable si elle n'était abolie par le sourire des travailleurs de l'ombre dont la tête radieuse émerge des tranchées.
Le miracle du Maroc c'est de transmuter l'orde en brillances et l'effort en lumière.
Un long périple dans le grand sud rythmé de déserts de pierre, de dunes et de cités fortifiées noyées dans la luxuriance des cultures et des hauts palmiers dès lors qu'une rivière capricieuse ou un point d'eau inattendu exaltent la vie au milieu du vide.
Aujourd'hui, au calme, chez mes amis d'une Casablanca aux rythmes étranges de ce début de Ramadan, je laisse, dans ma tête, se dérouler le film de ce voyage récent, et telle un joyau évanoui, Sijilmassa s'impose à mon esprit.
Sijilmassa fut une cité phare où la splendeur guerrière de l'Afrique se fondit dans les délicatesses extrêmes de la civilisation Andalouse.
Sijilmassa déclina au quatorzième siècle, supplantée par Rissani sa voisine, à présent une vulgaire étape marchande entre Sahara et confins de l'Atlas. La splendide rivale fut définitivement rasée au dix-neuvième siècle...
Le site ne présente plus que quelques reliefs érodés, vestiges de ces murs puissants qui protégeaient les points d'eau de l'orgueilleuse cité, quelques bouquets de palmiers retiennent encore un peu de la terre que le vent voudrait emporter ailleurs. Vent compatissant qui efface peu à peu le misérable souvenir de la gloire, et qui dans ses bourrasques ou ses caresses alternées, colporte au loin le souvenir du destin d'une ville.
Dans le souffle du vent flotte le souvenir de ces roses rouges de Sijilmassa à jamais perdues mais toujours évoquées dans les chansons des poétesses du Nord.
Le crissement des feuilles de palmiers éventent le fantôme de quelque belle favorite à la démarche rythmée par de lourds bijoux d'or.
Sijilmassa était la capitale de l'or.
Sijilmassa était le carrefour des caravanes sillonnant les pistes de nord en sud et qui enlaçaient l'est à l'ouest.
Ivoire, sucre et sel, soiries et laines mousseuses, ébènes et fers guerriers se déversaient sur ses marchés qui aimantaient marchands et trafiquants venus des confins des mondes connus.
Les esclaves affectés aux travaux dédaignés par l'oisiveté d'une société trop riche étaint vendus sur ses places ; les belles captives gorgeaint de voluptés la mollesse soyeuse des couches de leurs acquéreurs.
Sijilmassa était un phare, de lucre et de poésie.
Sijilmassa rieuse, aimable mais aussi affairiste et dominatrice, vit en cette fin d'époque Mérinide dont les délicatesses lui allaient si bien, son destin basculer et sa splendeur se dissoudre.
Venait le temps des Saâdiens "régénérateurs" d'une dynastie noyée dans son opulente brillance.