Préludes de printemps et vestiges de jours
Février est passé, vite, tellement vite, que, délaissé par les occupations et une certaine inappétence, ce pauvre blog restera à tout jamais bancal d'un mois.
Afin de mettre un terme au vide je me devais de me ruer sur mars en son premier jour, ce qui m'amène à prendre un peu de hauteur par rapport aux incidences du quotidien pour jeter un regard en arrière sur le deuxième mois de l'année et marquer une pause sur des promesses de printemps.
En parlant d'élévation, du corps rassurez-vous, Sainte Thérèse d'Avila ne s'extasiant sur aucune branche de mon arbre généalogique, je n'ai pas résisté à l'invitation de Yannick R. qui s'occupe des travaux de la maison, en l'occurence le toit et les chenaux de la vieille bâtisse malmenés par un hiver de gels et de pluies, pour découvrir le gros quasi-cube, pourtant familier, sous un angle inédit du haut de la nacelle utilisée.
Avec ses caprices de soleil et de giboulées, la fin de février, nous a gratifiés d'une succession de cieux étourdissants aussi variés qu'invraisemblables renvoyant au rayon des scénographies de foire les effets spéciaux d'Hollywood.
Je me souviens particulièrement de ce jour de départ de Charmes où l'insolence d'une bourrasque imprévisible nous cueillit soudainement au sortir du garage et nous accompagna jusqu'à l'abri de la gare où, n'ayant plus rien à faire de nous, elle s'en alla aussi brusquement qu'elle était venue.
Mais, du quai, Ô surprise, le ciel sombre nous régala d'un arc parfaitement semi-circulaire d'une ample et précise perfection rarement vue et qui ciselant la voûte plombée contrastait violemment avec les bâtiments crûment éclairés.
L'approche du train m'empêcha d'aller vérifier si, comme l'affirme l'immémoriale croyance, chaque extrémité de l'arc repose sur un trésor qui attend l'heureux explorateur.
Lors du retour, les caprices du temps composaient des scénographies fugaces au-dessus de la maison, mais février s'apprêtait déjà à basculer en mars et le vacarme des canards sur l'étang, les trilles et roulades de la gent ailée sur les arbres, le retour des aigrettes, le frénétique tambourinement des piverts et les vols des deux couples de milans royaux revenus, nous disaient que le printemps frappait déjà à la porte.
Et ce ne sont pas les premières primevères, écloses une quinzaine de jours après les perce-neige, qui s'inscriront en faux contre l'annonce du renouveau. Bientôt les persiennes protectrices se rouvriront sur l'extérieur et la lumière fera irruption dans chaque pièce inaugurant ainsi un nouveau cycle..
Qui n'a pas en mémoire, et sans faire pour autant appel aux références cinématographiques, le souvenir d'un dimanche à la campagne ?
Paris a bien oublié ces rythmes de nos provinces où le repos dominical, entre agapes et engourdissements est comme un temps arrêté, une parenthèse où il serait mal venu de s'agiter autrement que pour recevoir dignement parents et amis.
Et bien sûr, si l'on veut échapper à l'étiquette de "Parisien" dédaigneux, on se doit de participer aux célébrations du pays qui, dans l'inertie des campagnes mourantes, font figure d'événements.
Ainsi, à deux kilomètres de Charmes en l'Angle, en l'église de Charmes la Grande, la messe était dédiée aux Anciens Combattants du canton de Doulevant. Ceci se passait hier, en ce dimanche du premier mars.
La maison de Dieu, fleurie et fourbie se préparait à accueillir avec faste les six vétérans qui, dans une dignité de soldats de plomb attendaient que l'assistance soit au complet pour remonter triomphalement l'allée centrale jusqu'à la place d'honneur qui leur était dévolue au premier rang devant l'autel.
En attendant, dans le temple, on se congratulait, se reconnaissait, se haussait du col pour ne pas être oublié, et chacun muré dans ses atours de circonstance (il y avait même un manteau de vison, si, si, démodé en diable mais vison tout de même) attendait le début de la cérémonie.
Ad majorem gloria Dei, mais sans pour autant oublier les vanités du monde, à la chorale habituelle s'était jointe l'Harmonie de Sommevoire, qui ponctua dans un florilège de couacs émouvants les diverses phases du rituel.
Soudain, après que le Père Audace (si, si, c'est son prénom pour de vrai) drapé dans sa chape violette de ces temps de carême eut atteint l'Autel, dans l'atmosphère vibrante de cymbales, flûtes et autres cors, nos valeureux honorés s'avançaient en procession hissant haut les drapeaux de leur gloire au-dessus des têtes chenues (les leurs et celle de la majorité des participants).
J'eus soudain l'impression d'être projeté dans les années cinquante, celles où l'on "y croyait" encore et où la fierté patriotique scellait l'ensemble de ceux qui se voulaient avant tout citoyens dans une communion cocardière au-delà de tous les clivages. Eh bien, me croirez-vous ? C'est là où, Vlan, sans crier gare l'émotion m'étreint.
Voyage dans le temps, celui de nos histoires qui ont fait l'Histoire (Bonjour M. Leroy-Ladurie) et aussi témoin d'un monde déjà révolu, quasiment idéalisé avant que d'avoir vécu. Un présent au passé empiétant comme on dit en broderie, un aujourd'hui aux parfums d'hier qui pour les nombreux non-voyants et non-entendants de notre époque autiste sera au mieux taxé de ringard au pire évoqué comme une "France moisie" tandis qu'à l'inverse les stratégies perverses de certains partis les récupéreront pour servir leurs catéchismes douteux.
Pourquoi ne peut-on garder, sauvegarder, une certaine ingénuité du regard, une candeur intacte de jugement dans l'observation du monde qui nous est proposé ?
Voyez, en écrivant ces lignes émues devant ce presque-évanoui, je sais qu'il serait aussi facile, avec une seule once de mauvaise foi, de faire verser ma légère ironie hors de l'attendrissement distancié qui la nourrit, dans le dédain d'un groupe social et mon émotion dans la caution d'idées extrêmes.
Je prends le risque, et, "A vot' bon coeur M'sieux-Dames"
Mais la cérémonie touche à sa fin, une dernière blagotte auprès de l'imposant poêle de ce pays de fer et de bois quasiment privatisé par les bigotes de la paroisse et, sous un crachin revenu fort à propos, hommage aux morts et remises de décorations finissent sous les accords d'une Marseillaise vibrante de cuivres éclatants accompagnés de voix pour la plupart chevrotantes.
Tout finit dans la salle polyvalente de la commune où un buffet de pâtisseries et de charcuteries arrosé de champagne ad libitum (ma pauvre tête) viennent faire la nique à ce jour de carême avec l'indulgente caution de l'Église, mais il est vrai que c'est dimanche, alors, foin du jeûne...
Ah oui, j'oubliais, la télévision était là qui immortalisa la scène et qui au sortir de l'office procéda à l'interview de l'un d'entre nous ; et sur quoi, croyez-vous, porta sa question ? Je vous le donne en cent, je vous le donne en mille ; sur la teneur de la cérémonie ? Sa symbolique ? Mais non, vous n'y êtes pas du tout, la question cruciale fut : "Quel effet cela fait-il dans l'esprit des gens d'avoir un prêtre noir ?".
Je ne résiste pas au plaisir de vous rapporter la réponse fort pertinente qui suivit la question "Pourquoi ? Dieu aurait-il une couleur ?".