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Le blog de HP
30 septembre 2020

Adresse à Diane-Adélaïde de Simiane

 De moi à vous

De vous, Madame, je ne savais rien, enfin ou si peu… une réputation élogieuse vous décernant à la Cour de Louis XVI le titre de la “plus jolie femme de France”, titre d’autant plus flatteur que la splendeur du palais était rehaussée par l’éclat de nombreuses beautés à commencer par la reine elle-même et sa favorite Yolande de Polignac.

Ah oui, autre chose aussi, un certain parfum de scandale illuminait de jolies petites étincelles sulfureuses l’évocation de votre image, vous auriez mené droit au suicide un mari incapable de surmonter le désespoir causé par votre liaison avec le marquis de La Fayette ; le jeune héros de la guerre d’Indépendance de l’Amérique aussi  empanaché, vibrionnant  et caracolant que séducteur, celui-là même que Marie-Antoinette surnommait avec ironie “Monsieur Blondinet”, n’eut pas, en revanche, à composer avec les reproches de sa complaisante épouse, Adrienne, qui soit indifférence, soit irénisme, soit résignation  s’accommodait fort bien des nombreuses incartades de son volage époux.

Grâce à vous, Madame, nous ouvrons déjà une fenêtre sur les mœurs aristocratiques du XVIIIe siècle, bien éloignées de la pruderie bourgeoise enfantée par ladite “vertu” révolutionnaire et qui, officiellement du moins, couvrirait d’un voile de bienséance puritaine les rites sociaux du dix-neuvième siècle.

Car femme de ce coruscant XVIIIe siècle vous le fûtes, comtesse, incontestablement, mais le temps passant et, ayant eu la chance d’échapper à la machine à ratiboiser, si friande de têtes gracieuses et nobles comme la vôtre, vous entrâtes d’un pied toujours aussi aérien dans le siècle bourgeois où vous cheminâtes pendant 35 ans.
Vous dormez, Madame, depuis le jeudi 9 avril 1835, d’un sommeil éternel sous une stèle voisine du fier mausolée de vos ancêtres Damas au cimetière de Cirey, ce bourg des confins de la Champagne dont votre tante Emilie du Châtelet et son ami Voltaire furent les gloires et vous la bonne fée.
La municipalité reconnaissante, sous l’égide de votre portrait qui orne à une place de choix un mur de la mairie, a même donné votre nom à la rue principale.

Alors, puisque je me propose, Madame, de lever le voile sur les mystères de votre insaisissable personne, veuillez me pardonner les indiscrétions qui vont suivre en les agréant comme un énième hommage.

Deux ou trois choses que je sais d’elle

Optant pour une rémission prévisionnelle de tous ses faux pas, Diane-Adélaïde de Damas d’Antigny choisit de naître un dimanche, jour de repos d’un Dieu forcément moins vigilant, et cela en ce 25 janvier de l’an de grâce 1761.
Deux précautions valant mieux qu’une, Adélaïde, de par sa noble extraction, hérita de droit du saint statut de chanoinesse de Remiremont dès l’âge de sept   ans sans que cela impliquât, rassurez-vous, que la demoiselle se morfondit en mortifications.

Voici donc un départ dans la vie qui ne pouvait que garantir la mansuétude du Très-Haut.

A 16 ans, âge tout à fait raisonnable pour sceller une noble alliance selon les critères du temps, la délicieuse vierge épousa Charles-François de Simiane de 11 ans son aîné ; la cérémonie, forcément  brillante, n’oublions pas que le roi et Marie-Antoinette signèrent le contrat de mariage, déploya ses fastes en ce jour mémorable du 12 août 1777 ; j’imagine en ce mitan de l’été la force d’âme qu’il fallut à la jeune mariée pour sourire et danser gracieusement sous l’encombrant panier qui soutenait sa robe…

En 1783 la ravissante comtesse, après 6 ans de fidélité conjugale s’abandonnait dans les bras du fringant héros des deux mondes cité plus haut ; nous y reviendrons plus bas…

Pour en finir avec les jalons parvenus jusqu’à nous du parcours d’Adélaïde nous savons qu’elle fréquenta dès l’enfance le château de Cirey où elle rendait visite à sa tante Diane-Adélaïde de Rochechouart, duchesse du Châtelet de par son mariage. Les liens étaient étroits entre les ducs et la future comtesse, sa tante.

Diane-Adélaïde (de Damas) faisait les délices des salons de Diane-Adélaïde (du Châtelet), lorsque en 1776, patatras ! la mère de la jolie nièce quitta les misères dorées de ce bas monde laissant l’intéressante enfant orpheline ; l’adolescente éplorée fut adoptée par les ducs qui lui firent don du fief de Cirey en 1789, avant que la vague égalitaire qui secouait la France d’alors ne les prive brutalement de leurs têtes hautaines.

N’allez surtout pas croire que la jeune comtesse de Simiane put jouir facilement et comme de juste des charmes bucoliques de son héritage. Les convulsions qui anéantirent un monde (et beaucoup de son beau monde) pour donner naissance à une nouvelle époque la spolièrent d’un bien qu’elle dut acheter, rescapée Laus Deo de la tourmente, en 1810.
Le château de Cirey sur Blaise, dévasté et promis à la démolition fut restauré, remeublé, agrandi et embelli par la jeune femme grâce à qui nous pouvons encore le visiter ; l’Histoire étant ingrate c’est pour la mémoire de la grand’ tante Emilie et de son trublion d’amant Voltaire que les visiteurs parcourent les salons aujourd’hui, le souvenir de la belle et bienfaisante  Adélaïde s’étant évaporé dans l’inconstance des mémoires.

 

Trois portraits

L’esprit n’étant pas tout, penchons-nous maintenant (en tout bien, tout honneur) sur les grâces physiques de la noble dame, réputée, nous l’avons dit, pour être la plus jolie femme de France.
Nous sont parvenus trois portraits, qui s’ils nous confirment les appâts de la délicieuse créature, n’en décourageraient pas moins l’historien de l’art qui voudrait établir une monographie digne de ce nom : là, encore, la belle s’avère insaisissable, la documentation précise manque cruellement et les recherches sur la Toile sont la preuve flagrante des faiblesses de notre indispensable Gougueule.

1- l’icône :

 

simiane saint-dizier


L’ovale de Saint-Dizier, un pastel sur papier dont la copie trône à Cirey date du XIXe siècle ; ce pastel est-il une vue idéalisée ou déjà la copie d’un original non-localisé ? Pas de réponse.
Alors que nous dit-il ? Il nous révèle une beauté aux cheveux blonds non poudrés arrangés selon la mode en usage autour de 1785 ; l’ovale parfait est peu expressif mais la vérité psychologique ne semble pas être la priorité de l’artiste qui s’est complu surtout à rendre la lumineuse carnation, l’azur des yeux et la grâce d’épaules sur lesquelles glisse un fichu de mousseline blanche très… Napoléon III ; petits arrangements de mise au goût du jour d’une époque postérieure ? Une douce nostalgie émane de cette figuration iconique, emblématique d’un passé idéalisé.

 

2- La grâce Ancien Régime :

 

 

simiane V-L 83


Elisabeth Vigée-Lebrun (qui d’autre que le peintre de la reine pouvait immortaliser vos traits ?) fixa pour la postérité votre beauté en 1783 en un format ovale. Sur cette toile, le peintre des délices d’un monde qui s’écroulait dans les vapeurs inconscientes d’un art de vivre à son apogée, vous nous apparaissez quelque peu languissante, la tête légèrement penchée à droite, le cou gracile et les cheveux poudrés relevés par un nœud de ruban en un savant négligé.
La soubreveste de votre circassienne tant à la mode s’ouvre en un large décolleté révélant une gorge parfaite ; élégance sans affectation, aristocratique nonchaloir, vapeurs languides enveloppantes… L’âge de la sensualité.

Ce portrait de la belle dame que nous essayons de traquer s’avère encore, malgré la sincérité qu’on veut bien lui supposer, un leurre, le tableau dans une collection privée (laquelle ?) ne vient à nous que par une gravure muette sur les couleurs des vêtements et la carnation. Insaisissable Adélaïde…

 

3- La bonne dame de Cirey :

 

Simiane 1800


Circa 1800, peintre inconnu, localisation inconnue après un passage en vente à Christies en 2012, Adélaïde, toujours en un format ovale, organise ses lignes de fuite de façon à nous échapper sitôt que nous la croyons à portée.
Couleurs contrastées, le temps n’est plus aux murmures indécis des couleurs indéfinissables, de la robe à taille Empire de mousseline blanche et schall rouge franc, coiffure à la Grecque, toujours à la mode, Madame de Simiane s’apprête en toute beauté à aborder les rives de la quarantaine.
Un peu d’embonpoint, la poitrine plus lourde, le teint plus fouetté (l’âge ou le temps ; ou les deux ?) vous nous apparaissez attentive dans le  demi sourire de ceux qui ont beaucoup vu et beaucoup oublié. La sanglante Révolution n’a pas fauché la jeune vie pourtant exposée de par sa naissance ; comme si la dame avait voulu ressouder deux époques, elle a racheté Cirey après une lutte administrative d’une âpre opiniâtreté et s’est assigné la mission de faire revivre, à grands frais, le château et le domaine.
Adélaïde de Simiane forge sa légende de « providence des pauvres » de Cirey, comme on écrit son épitaphe, au long cours, scellant désormais son histoire à celle du bourg. La bienfaitrice de son fief tient un livre à la main, le temps n’est plus ni à la frivolité ni aux émois sentimentaux, c’est par les choses de l’esprit qu’elle entre dans la deuxième phase de sa vie.

 

Diptyque d’une mutation

1-     L’âge de la sensualité

Revenons au temps resté dans notre mémoire collective comme celui de la douceur de vivre, l’époque de Vigée-Lebrun de l’Amour et des amours. Adélaïde vécut pleinement ce temps et sa carte du Tendre en est emblématique.
Quel fut donc le panorama sentimental de ce siècle dont les lumières seraient éteintes si brutalement en un court-circuit de sang et de terreurs ?
Disons pour simplifier que de la galanterie héritée du XVIIe siècle, on glisse insensiblement vers le libertinage, cette liberté d’esprit qui sombrera en polissonnerie avant, à la fin du siècle, de s’engager dans les chemins de larmes et d’extases, de fatalité et de rédemption des amours sincères et moralisées du préromantisme.
Notre héroïne semble dans la première partie de sa vie, illustrer l’itinéraire amoureux du siècle mais, si elle vécut pleinement les bonheurs de l’amour, elle n’en vécut les affres que par procuration, laissant vivre à en mourir le volet fatal et désespéré à son mari. La fine mouche.
Venons-en aux faits : le charmant Charles de Simiane aimait d’un amour sincère son idéale Adélaïde, mais… mais comment dire ? Si en cette France, au langage si policé, on évoque au sujet de cette union un « amoureux sans succès et mari sans jouissance » qui sous-entend une situation particulière où la rose, pour admirée qu’elle soit n’aurait point été cueillie, un pudique périzonium couvre la réalité, penchons-nous sur l’expression anglaise beaucoup plus crue et qui affirme clairement l’homosexualité du soupirant comblé… platoniquement. Fidèle à son adorateur délicat jusqu’à l’abstinence, la jeune comtesse lui resta fidèle bien que courtisée par une pléthore de soupirants, jusqu’à ce que, couvert de gloire et gonflé de suffisance, La Fayette ne revienne des Amériques, aux côtés duquel Charles avait d’ailleurs combattu, et que la passion dévorante ne jette l’innocente épouse dans les bras du sémillant combattant de la liberté ; une longue liaison débutait sur le coup de tonnerre du suicide du cocu amoureux en vain.


 2-Le temps de l’esprit

Tempus fugit… Les révolutions bouleversent les décors toiles de fond des immuables passions humaines, mais la passion s’assagit et s’apaise en doux attachements.
Adélaïde, qui a redonné au château tout son lustre, le remeublant et le dotant d’un romantique jardin à l’anglaise, peaufine sa réputation, attentive et bienveillante, de Notre-Dame du Bon Secours ; avisée, elle n’en continue pas moins à reconquérir en cette Restauration bénie des aristocrates ses privilèges ; ainsi une ordonnance du 17 juillet 1821 l’autorise à « conserver et tenir en activité les mines de son domaine », n’oublions pas que ces confins de la Champagne sont encore pour quelques temps le temple de la sidérurgie.
La comtesse de Simiane, femme d’affaires…
Cependant, dans sa thébaïde, comment l’active et bienfaisante comtesse s’évade-t-elle de son quotidien ? Vous vous rappelez l’avoir vue, en son dernier portrait connu un livre à la main, eh bien figurez-vous que, dans sa retraite provinciale, la noble dame avait constitué une vaste bibliothèque resurgie il n’y a guère du néant poussiéreux d’archives inexplorées ; le fonds a été mis en vente et, fort à propos, deux érudits Britanniques, Justin Croft et Benjamin Spademan, ont publié la recension des livres dans un ouvrage intitulé Books of library of Diane-Adélaïde de Simiane. Et là on apprend la forte aspiration au rêve d’Adélaïde qui négligeait les ouvrages classiques pour les œuvres de son temps, les romans d’auteurs oubliés comme Le renégat et Le solitaire de Charles-Victor d’Arlincourt, le « Prince des Romantiques » et, de Claire de Duras si injustement oubliée, Ourika,  premier roman dont l’héroïne est une Noire.
D’autre part, la comtesse ne pratiquant pas l’anglais il est mentionné aussi l’œuvre de Shakespeare traduit ainsi que Walter Scott dans les traductions de Dufauconpret de 1820.
Adélaïde vécut tout au long de sa vie en prise avec son époque, signe incontestable des âmes fortes qui, malgré les vicissitudes et les turbulences, ne s’abîment pas dans les regrets et la nostalgie. Belle leçon de vie.

 

Au revoir Madame

Puis-je vous confesser, Madame, que vous ne m’intéressiez guère ? Le peu que je savais de vous, une scandaleuse du temps de sa jeunesse reconvertie en dame patronnesse sur le tard, me semblait d’une trivialité confondante.
Jusqu’à ce que j’accepte au nom de l’amitié la commande de ce petit écrit.
Oh, vous m’avez lassé par votre fuite dans les déserts de la documentation, vous étiez agaçante parce qu’insaisissable et j’attribuais ce flou à l’inconsistance de votre parcours sur terre.
Et puis, peu à peu, vous m’êtes apparue au fil de quelques découvertes et de beaucoup de réflexion, comme un être non pas de son temps mais de ses temps, faisant converger fortunes et infortunes vers un but suprême : donner un sens à votre vie avec réalisme et courage.
Je vous ai approchée et vous m’avez conquis, comtesse, mon aurevoir ne saurait être un adieu.
A bientôt.

P.S. Ce texte a fait, en son temps l'objet d'une publication et je croyais l'affaire close, mais c'était sans compter sur les détours de notre belle imprévisible : au hasard des recherches sur la Toile, sur un site de généalogie m'apparaît out of the blues un portrait "à l'antique" de notre héroine costumée en Diane , un pastel sans localisation aucune et attribué à Elisabeth Vigée-Lebrun.
N'aurait-elle pas fini de nous surprendre ?

Diane adelaide1783

 

 

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Commentaires
H
Je suis toujours épatée par ta merveilleuse éloquence, ton talent, et surtout ton plaisir à nous parler des dames du temps jadis !...
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H
Quel beau portrait que celui de 1800... quels beaux drapés 💞 merci pour cet "exposé ".
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H
Je ne sais pas si l'on peut toujours visiter la maison natale du marquis de La Fayette , le château de Chavaniac, qui est située en Haute-Loire et qui se trouve être, d'après mes lointains souvenirs, une très belle demeure.
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H
Un broderie expérimenté d'histoires de personnages que vous embellissez avec de petites perles...
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H
Superbe texte comme dab. Je viens de me réveiller...il fait toujours nuit...pas prudent de commencer mes besognes aux aurores me dis je ..le temps de sauter sur fb et découvrir ton nouvel article. Tellement toi, cette jolie ecriture élégante, sensible, raffinée... Merci mon cher Henri-Pierre ... ❗
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