Faibles savoirs et ignorance
Paris est mon lieu de "résidence officielle", mais, entre une vie de plus en plus ancrée à Charmes la quiète et de nombreux voyages, je ne fais souvent que passer et jamais plus pour une longue durée.
Cependant à chaque séjour, le Parisien invétéré se réveille et le hasard de mes déambulations amoureuses dans "mon" Paname, me fait la grâce des multiples secrets que la ville distille à qui sait faire preuve de curiosité attentive.
Paris est une mosaïque que nul ne peut prétendre avoir jamais épuisée, plusieurs Paris "à la marge" vous réservent toute une gamme d'émotions et des occasions d'enrichir vos connaissances de tout ordre.
Tenez, chers lecteurs, vous êtes-vous jamais intéressés à une forme d'art particulièrement décriée jusqu'à il n'y a guère ? Je pense aux églises du XIXe siècle dont la construction accompagna la "reconquête spirituelle" du catholicisme triomphant après la tourmente révolutionnaire soutenue par l'opulence et l'accroissement de la ville sous Napoléon III ?
Eh bien, commençons par saint-Germain-des-Prés.
Comment, me direz-vous, voudriez-vous faire de la vénérable nécropole des rois Mérovingiens un temple du pastiche historicisant ? Que nenni, rassurez-vous, je n'évoquerai ce rare exemple d'église romane parisienne que pour les fresques qui parachevèrent la restauration entreprise par Baltard et effectuées par Hypolitte Flandrin assisté notamment de son frère et d' Alexandre Denuelle jusqu'en 1864, année de la mort de Flandrin où Sébastien Cornu prit le relais pour les fresques du transept nord.
Partons maintenant à la découverte de bâtiments remarquables par l'unité de style inhérente aux créations architecturales et décoratives de cette époque où se remodelait le Paris moderne tel qu'il nous est parvenu.
Je vous propose donc trois interprétations de la grammaire architecturale et ornementale médiévales intégrant les techniques industrielles de l'ère industrielle.
Saint-Eugène est certainement l'oeuvre le plus abouti car, patronné par l'Impératrice Eugénie, il bénéficia d'une manne financière qui permit toutes les audaces liées aux techniques modernes.
En un temps très court (1854-1855) l'architecte Louis-Auguste Boileau nous livre une église du gothique classique le plus abouti mais dont les élégants supports, colonnes et arcs de la voûte en fonte ; l'édifice marquera ainsi l'architecture religieuse Napoléon III.
L'annexion de Belleville imposa l'édification d'un lieu de culte à la hauteur de son rattachement à la capitale, c'est l'architecte Louis-Antoine Héret qui édifie entre 1863 et 1880 un édifice de style Napoléon III, style parfaitement hybride romano-gothique.
La technique de l'armature métallique inaugurée à saint-Eugène est visible ici dans les arcs-doubleaux en fonte de la nef et du coeur.
Pour finir marchons jusqu'au quartier Popincourt dans l'est de Paris ; il y subsistait une chapelle du XVIIe siècle rattachée au couvent des Annonciades et devenue, mutatis mutandis édifice paroissial dédié à saint Ambroise, pour être remplacée car jugée trop exigüe pour faire face à l'explosion démographique,par un édifice cultuel plus vaste dont l'édification sera confiée à l'architecte Théodore Ballu qui s'acquitera de sa mission de 1865 à 1869.
Cependant le quartier étant pauvre et le gothique requerant une profusion ornementale trop coûteuse, on opta pour le style roman beaucoup plus sobre. Notons que l'armature de fonte disparaît entièrement sous les moellons.
Bénéficiant d'un maigre succès de bouche à oreille seulement, une exposition aussi déroutante qu'essentielle pour la connaissance de l'Histoire de l'humanité se tient à l'Institut du Monde Arabe, elle est dédiée à une civilisation dont, pardonnez mon ignorance, l'historien de l'Art que je suis n'avait même pas idée.
Il est inouï de se dire toujours et sans cesse combien, sans aller jusqu'à évoquer le cosmos, ni même mars ou la lune, en ne dépassant pas la sphère de notre petite planète, il reste encore tant à découvrir.
La connaissance nourrit ce paradoxe de créer une dynamique euphorisante de l'esprit mais, en s'ouvrant aussi sur des horizons nouveaux, nous dire l'évidence abyssale de nos ignorances.
Al-'Ulâ, nom hautement poétique, un des berceaux de notre culture et qui m'était m'était jusqu'ici parfaitement inconnu...
Découvert en 2018, le site occupé depuis le paléolithique inférieur est une oasis dans un contexte géographique aride et sans pluies, le miracle de l'oasis luxuriante dans des paysages d'un sublime bouleversant est dû à la captation des eaux souterraines depuis l'époque des premiers royaumes d'Arabie du 1e millénaire avant J.-C.
Bien antérieures mais difficilement datables, des gravures rupestres ainsi que des outils de coupe s'échelonnent entre 3,3 millions d'années et 300 000 avant J.-C.
Du VIIIe siécle avant J.-C. au VIIe siècle de notre ère marqué par l'Islam (ville de Qurh actuelle Al-Mabiyat), trois grandes civilisations pré-islamiques s'y sont succédées, l'objet n'est pas, ici, de parcourir les richesses de ce formidable carrefour de civilisations sur l'itinéraire de la route des caravanes et où la voie ferrée du Hijâz construite au début du XXe siècle n'a pas survécu à l'effondrement de l'Empire Ottoman.
Concentrons-nous donc sur les trois royaumes pré-islamiques :
Le royaume de Dadan, l'actuelle Al-Khuraybah, du VIIIe au Ve siècle avant J.-C.
Le royaume de Lihyan qui lui succède sur le même site du Ve au 1e siècle avant J.-C.
Le royaume nabatéen de Hégra ou Al-Hijr, l'actuelle Madaïn Salih, où abondent des tombes rupestres semblables à celles de Petra et annexée par l'Empire Romain.
Les ensembles architecturaux creusés à flanc de falaise ou construits avec les blocs extraits de carrières, tombeaux, temples, remparts, etc. sont nombreux, voici quelques témoignages révélés par les sanctuaires redécouverts à Dadan et dédiés à Dhû Ghayban dieu, comme il se doit dans ce contexte géographique, de l'eau et de l'agriculture :
Les impressionnantes statues colossales témoignent du haut degré de civilisation ainsi que des courants culturels dont la ville était le carrefour, si la plupart des archéologues y décèlent, fort justement, des influences égyptiennes, il me semble voir dans l'attitude des bras et des poings des échos du Gilgamesh Mésopotamien.
Une belle colonne ornée de registres d'animaux passants fait preuve d'une sensible observation de la faune, tandis que cette lionne allaitant son petit, provenant toujours du temple de Dadan, est emblématique de la figuration du lion en tant que symbole défensif pour la protection des temples et des tombeaux, en Arabie et tout le Proche-Orient.
Le brassage des différentes cultures dont le centre était Al-'Ulâ donna également lieu à une prolifération extraordinaire d'alphabets, chaque oasis entretenait une branche de l'alphabet sud-sémitique, ainsi se développa à Dadan dès le premier millénaire avant J.-C. un alphabet géométrique dépourvu de voyelles (notons-le bien), le dadanite.
L'araméen venait de Babylone avec ses variantes locales comme ici le nabatéen qui est l'ancêtre direct de l'arabe apparu au IVe siècle après J.-C. Dans l'arabe, les voyelles sont souvent sous-entendues, la filiation de cette langue arabe des origines, au delà du nabatéen présente une parenté saisissante avec le dadanite...
Voici donc quelques illustrations qui me semblent "parlantes" :
Un linteau avec une inscription en alphabet dadanite provenant toujours du sanctuaire et datable du Ve au 1e siècle avant J.-C., en deuxième lieu une inscription bilingue dadanite et araméenne et enfin une inscription nabatéo-arabe qui date de 280.
On ne peut s'empêcher de quitter l'IMA sans ce sentiment partagé, et déjà évoqué, d'enthousiasme de l'enrichissement et de la désolante conscience de notre profonde ignorance.
Me viennent en tête les mots de la lancinante chanson de Michel Fugain "Aurais-je le temps..."
Voici donc, cher lecteur, une fenêtre ouverte sur une partie de mes occupations parisiennes, mais, Paris est, vous le savez, la capitale d'une spécificité bien française, le fameux "dîner en ville" ; ces découvertes animeront avec fougue et passion les discussions autour d'une table où tant de thèmes seront abordés, des derniers films à polémique aux mille et une activités culturelles dont, depuis quelques temps, à l'initiative d'une amie-chère, les réunions littéraires Fils de MémoireS qui feront un jour l'objet d'un billet ici.
Puisqu'il en est encore temps, je vous adresse chers lecteurs, en guise de voeux, ce billet porteur de l'éternel message "cultivons notre jardin", on y a toujours tant à gagner... Je vous le souhaite de tout mon coeur.