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Le blog de HP
2 novembre 2019

Marrakech, cultures et culture

En ce blog ont souvent été consignées des pages témoignant de l'effervescence culturelle de Marrakech. Non, Marrakech n'est pas seulement un souk au ventre ouvert labouré par les hordes moutonnières déversées par les autocars du tourisme de masse, pas plus, au demeurant, que le paradis, fiscal ou pas, des amateurs de vie facile sous un soleil généreux.
La ville rouge est également, et surtout me risquerai-je à dire, fière d'un riche patrimoine scrupuleusement entretenu et de nombreux musées témoignant d'un art de vivre particulier et raffiné à l'extrême, celui de la civilisation "Andalouse".
Cependant, Marrakech est restée imprégnée de son long contentieux avec la France, les manifestations culturelles, expositions, colloques et arts de la scène théâtrale et musicale font l'événement à une fréquence qui en remontrerait à plus d'une commune de nos provinces.
Yves saint-Laurent, comme chacun sait, fut un amoureux inconditionnel de cette ville qu'il aima, qu'il habita et qui tant l'inspira, un magnifique musée lui est dédié ; L'impressionnante construction ne fait pas qu'abriter les collections du couturier de génie mais également une galerie dédiée aux expositions temporaires ainsi que l'auditorium Pierre Bergé où je vous invite, en ce jeudi, 31 octobre 2019, à assister à son dernier spectacle.
Françoise Sagan hantait la scène sous les traits de Caroline Loeb

10 31 octobre 2019 (14)

Les traits, disais-je ? Oui,  mais surtout la silhouette élégante et recroquevillée de celle qui perla ses confessions délicates et implacables, crues et élégantes lors des interviews édités par Stock Je ne renie rien ; Caroline Loeb s'est emparée des mots pour les broder en un monologue doux-amer, poétique et terriblement lucide qui nous restitue la romancière "de l'intérieur".
Émotion à chaque thème abordé, qu'il s'agisse de l'écriture, ce tyran nécessaire pour qui dire est une nécessité, ou bien le mépris de l'argent au gré des chèques émis et distribués à la moindre sollicitation jusqu'à affoler les banques qui comprennent tout sauf la prodigalité, mais aussi, les hommes conquérants mais si pathétiquement fragiles, l'assuétude au jeu, autre pied-de-nez à l'économie petit-bourgeoise, et toujours, en filigrane, la conscience de la mort qui rôde et que l'on défie jusqu'au terrible accident suivi d'une reconstruction laborieuse du corps.
Saluons au passage Alex Lutz dont la mise en scène minimaliste sans sécheresse, entre ombres et lueurs éteintes crée l'atmosphère idéale pour cet éternel bonjour à la tristesse.

Pince-fesses, brouhaha habituel, tenues voulues "chics et décontractées" mais banales à pleurer, évocation d'un très ancien souvenir avec une Caroline Loeb complètement dé-saganisée sous une immense capeline fleurie (le port de la perruque est fatal aux mises en plis), et hop, nous filons à l'anglaise vers la galerie d'exposition.

Il y avait, autrefois à Casablanca, rue Allal-ben-Abdallah, à l'époque où j'habitais cette ville, un antiquaire dont la vitrine était la tantalesque frustration de mon portefeuille de coopérant (oui, je sais, ça ne me rajeunit pas...), j'y achetais bien, de temps à autre, une babiole culpabilisante et j'étais fasciné par cet antre où trônait l'énigmatique antiquaire-sphinx, Hevé Tarate ; le marchand d'bjets d'art éclectiques à l'extrême exposait aussi les oeuvres de certains peintres comme la Russe Ira Belline et un certain Jacques Azéma, une célébrité de l'époque déjà lointaine du protectorat définitivement ancré au Maroc.
Jacques Azéma, professeur à l'Académie de dessin qui avait quitté les remparts de Marrakech pour la cité océane où son talent, dont l'atmosphère insolite me touchait, était la cible des avant-gardistes qui "snobaient" un art jugé "conservateur".
J'avais enfoui cet épisode de ma vie dans un coin obscur de ma mémoire, oubliant Tarate (je me suis depuis refait financièrement) et aussi Azéma ; tout cela est si loin...
Et là, Vlan ! une exposition me ramène quelques décennies en arrière : c'est à ce peintre tombé dans l'oubli que le musée Yves Saint Laurent rend hommage.
Jugez de mon émotion.
Avant d'évoquer le peintre je ne résiste pas au plaisir de congratuler l'organisateur qui, en incipit de l'exposition, met en scène, en chair et en os, pardon en étain,  la théière du maître ; geste délicat et inattendu, mes lecteurs connaissent mon goût pour les objets-témoins

10 31 octobre 2019 (12)

Né en 1910 à Toulouse, Jacques Azéma réussit le concours d'entrée à l'Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs en 1926, il exerce ensuite le métier de décorateur à Paris où il se lie en 1929 avec le poète surréaliste Michel Leiris.
En 1930, le futur peintre quitte la Mère-Patrie pour Casablanca et rejoint Marrakech d'où il partira pour une longue virée à moto vers l'Algérie où il désire s'installer.
Jack, Jacques, les deux baroudeurs au physique de séducteurs on the road...
Mais l'Algérie ne convainc pas notre instable qui revient, pour ne plus le quitter, au Maroc où toute sa vie s'écoulera jusqu'à cette année de 1979 où, tombé malade, il est transféré par la Croix-Rouge jusqu'en Avignon où il succombe très vite ; il y repose à jamais.

Sobre, l'homme ne fumait ni ne buvait, il adorait les femmes intelligentes et sensuelles (des femmes fatales, osons le mot démodé) auxquelles il vouait une admiration sans bornes, il a d'ailleurs laissé une importante correspondance amoureuse avec certaines d'entre elles dont une certaine Tessa qui, pour meubler ses dépressions, lui fit présent d'un pistolet
Cependant si pour les femmes il était en amour, c'est avec des jeunes hommes qu'il faisait l'amour.
Éphèbes éphémères...
C'est parce que, couchés sur carton, ses garçons caressés par un pinceau amoureux sont la partie la plus "incorrecte" de son oeuvre, surtout dans une époque de pudibonderie comme la nôtre, que j'ai choisi les illustrations qui suivent ; si j'ai réussi à titiller votre curiosité, la Toile peut vous renseigner sur les autres thèmes d'inspiration de son art, à savoir scènes urbaines et de villages ainsi que paysages divers, vous serez sûrement loin d'être déçus.

La technique utilisée est généralement celle de la gouache sur carton, l'utilisation de cette matière est très personnelle, mate, diffuse et profonde, on pourrait parfois croire à un pastel.
Azéma fut influencé par le surréalisme et le cubisme, ses premières oeuvres en témoignent, les tableaux que je vous présente sont des productions des années 60 et 70, la précision de leur dessin, leur caractère figuratif affirmé le firent hâtivement classer, comme dit plus haut, dans la case des "conservateurs", on en est revenu depuis.
Le trait est sûr, stylisé, les personnages aux courbes gracieuses peuplent un univers diffus et onirique, les trois scènes qui suivent, parmi les dernières qu'il peignit, datent des années 70,  c'est à dire peu avant sa mort, les représentations de hammam se prêtent volontiers à cet aspect poudreux et diffus où les vapeurs dissolvent les rais des lumières zénithales, tout est languide, abandonné, nonchalant.
A cette époque, celle qui fut la plus décriée, notre artiste s'écarte des inspirations de géométrisme et de surréalisme,  c'est alors que s'épanouit la phase la plus personnelle de son art ; dans la première scène datée de 1976 toute référence aux courants artistiques de la première moitié du XXe siècle est résolument abandonnée, contrairement au deuxième tableau, antérieur où, en dehors de toute étude stylistique, nous sommes frappés par l'incommunicabilité entre les différents personnages, l'un vaquant à ses occupations, les deux autres abîmés narcissiquement dans leur reflet sur le sol moite.
Le troisième tableau (1976) pose énigme, le "garçon au coquillage" est refermé sur lui même, comme un oeuf gravide du deuxième personnage au centre de la composition. La mer, le coquillage, la gestation et la naissance... je pense à une naissance de Vénus boticellienne  détournée, notre peintre était résolument provocateur.

10 31 octobre 2019 (7)

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Je pense aussi aux atmosphères si particulières de personnages évoluant dans les paysages oniriques de Delvaux et de Chirico...
Mais foin de comparaisons plus ou moins hasardeuses d'historien de l'Art gourmand de ponts et de continuités dans le renouvellement, laissons à chaque peintre la part d'individualité qui lui revient de plein droit, et je vous laisse sur cette étrange vision nommée "Désir".

10 31 octobre 2019 (8)

De cet étrange automne de Marrakech, si anormalement chaud, mon souvenir me dira peut-être "ce fut un bel été"

 

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Commentaires
H
Sagan accomplit le tour de force d'être "mondaine" tout en restant mieux que naturelle, évidente ; de la race des purs qui, en toutes circonstances et tous les milieux, savent rester fidèles à eux-mêmes, en fait en état permanent de "rébellion bien élevée"<br /> <br /> Je ne suis nullement étonné que Azéma ne te sois pas étranger.<br /> <br /> T'embrasse, tendresses.
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E
Ce que j'aimais surtout chez Sagan, c'était sa simplicité, son naturel... sa difficulté à s'exprimer oralement. Enfin "une-qui-n'avait-pas-la-grosse-tête"... Elle aurait bien rigolé de s'entendre classer dans les auteurES ou les autrICES.<br /> <br /> A propos d' Azéma, je me souviens d'avoir cherché quelques oeuvres sur le net pour illustrer un billet de blog il y a cinq ans, et je n'en ai trouvé que deux... Merci mon ami de ravir mes yeux...
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H
J'ai toujours autant de plaisir à te lire......un plaisir gourmand ! Et, j'apprends toujours quelque chose, toujours une fenêtre s'ouvre que j'ai envie de visiter encore plus, merci !
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H
Superbe ! Et quelle élégance dans le verbe. j'y reviendrai plus longuement . Belle journée à toi.
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H
Avant tout, bienvenue en mes terres pas si virtuelles que ça.<br /> <br /> Merci tant pour l'encouragement, j'y songe...<br /> <br /> A bientôt
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