Par-dessus l'épaule
Une roue, figée entre ciel et sable se profile sur l'horizon de la plage d'Arcachon en cette fin de mois de décembre.
Immobile comme si entre deux cycles, entre fortunes et infortunes, promesses et afflictions, le cercle vide posait l'énigme du futur sans oser faire encore le solde de tout compte d'une année.
Encore une fois Noël a réuni les familles autour de la douceur des mets, la tendresse des affections et l'amertume des absences imposées comme des sanctions ; l'enveloppe lisse des solidarités familiales cache bien des fêlures d'amours propres, de blessures d'ego et de reconnaissances inassouvies sous le masque des aigreurs.
Urgences fracassées contre le mur des non-dits étouffants ; peut-être, et je pense tout particulièrement à Mauriac, à Bordeaux plus qu'ailleurs, les sourires de circonstance occultent en un palimpseste de bienséance les élans avortés.
Cette pause, ce temps suspendu entre Noël et Nouvel an, rend chacun à son propre être, à son inexorable solitude aussi peut-être ; avant de retourner dans l'arène de la sociabilité, une dame au sourire vague et diffus qui ne s'adresse qu'à elle-même arpente le ponton absorbée dans le jeu de sa promenade à pas comptés ; ivre de sa propre audace un bambin blond revient de son incursion en territoires inconnus vers ses parents qui, de l'avenue du bord de mer, n'ont pas quitté des yeux l'apprenti explorateur ; cependant, la patinoire est le théâtre du jeu d'un petit bonhomme-lutin qui, abstrait du monde dans sa quête d'équilibre, semble flotter dans des vapeurs bleutées irréelles.
La brume qui noyait d'étoupe le bordelais s'effaça en ce jour de Noël à Pujols pour laisser dire au ciel la promesse d'un renouveau,
Par-dessus l'épaule, je jetai un coup d'oeil sur cette année finissante si riche en événements contrastés, et, miracle de l'Enfant Messager d'espoir ou simple propension de l'esprit humain pour l'inciter à avancer contre vents et marées, force m'est de constater que le tamis de la mémoire tend à estomper les mauvais passages pour garder en lumière les présents de la vie.
Je me rappelle ce moment de grâce dans ma chère église parisienne Saint Eugène ; dans ce temple néo-gothique, la douleur exprimée en convulsions rageuses par Satan terrassé par Saint Michel ne peut que conduire nos pas, en toute logique, jusqu'à la salvation des âmes pécheresses arrachées aux flammes de l'enfer telle que figurée en émail sur la porte d'un tabernacle.
La haut, sur la tribune, un jeune organiste aux boucles d'ange, grâce à son art participait de cette étrange sensation aussi intense que fugitive que tout est toujours possible, qu'il ne faut pas forcément, et malgré les horreurs qui jalonnent l'Histoire désespérer de l'Homme.
Je me remémore aussi de cette découverte au hasard d'une promenade du cloître de Port-Royal de Paris en principe interdit aux visites ; l'hôpital n'est pas venu à bout de l'âme des lieux, je me demande si l'incurie des établissements en déficit chronique n'est pas pour quelque chose dans cette préservation d'un patrimoine en fait peu adapté à sa vocation actuelle...
Par un enchaînement de circonstances je retournai très peu de temps après à Port-Royal des Champs, flétrissure indélébile sur la mémoire d'un roi qui se voulut si grand. Le temps glacial et humide convenait bien à cette promenade en nostalgie où les ardeurs d'une foi exigeante et sans compromis ont définitivement imprégné les lieux ; la quête éperdue d'absolu a survécu aux interdits d'un pouvoir pour aussi brutaux qu'ils aient été.
A Paris, la vie suivait son cours et à la terrasse de ce café favori sur les boulevards, l'oeil du jeune consommateur s'accrochait aux pas des jolies passantes.
Comme à chaque rentrée le temps dévolu à la ville et à la campagne s'inverse, finis les longs séjours dans la grande demeure des bois et vive le temps des expositions et autres manifestations culturelles, les nouvelles salles du Louvre (non vous ne me ferez pas dire le barbarisme de "period rooms"), n'offrent peut-être pas la rigueur documentaire qui devrait être de règle dans un musée, mais, et puisque désormais elles sont là, je ne bouderai pas mon plaisir à la vue d'une belle mise en lumière de témoins du XVIIIe siècle ; jugez de l'effet de ce buste de la Reine, belle comme une évidence.
A la Conciergerie une magnifique exposition consacrée à Saint Louis est prodigue en témoignages du gothique classique du beau XIIIe siècle, je suis particulièrement touché par cet éveil des Rois Mages aux Temps nouveaux, les chevaux déja dirigés vers l'est ainsi que par cette figuration d'évangéliste qui nous restitue l'intime ferveur d'un scriptorium confortablement meublé dégageant ainsi l'esprit de ce qui pourrait le distraire.
Demain je retournerai à Charmes où le passage de l'année réunira les fidèles amis et familiers dans le simple bonheur d'être ensemble sans obligation aucune ; c'est avec bonheur que je retrouverai mes chers chiens et mes arbres.
D'ailleurs tiens, en parlant d'arbres, savez-vous que les frênes sont atteints d'une maladie qui peu à peu les décime ? Mon grand spécimen si beau en forme de calice me semblait à la belle saison, au vu de son feuillage clairsemé, bien atteint et je n'ose envisager sans grande peine sa disparition aussi, laissez-moi vous dire que j'ai demandé au Père Noël ou au Petit Jésus, je ne sais plus, de le préserver. J'espère... Je veux espérer.
Alors, vous l'aurez bien compris, au seuil de cette année qui s'ouvre c'est avant tout l'espoir que je vous souhaite.