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Le blog de HP
14 décembre 2013

Bordeaux, une renaissance

Bordeaux en octobre.
L'automne se mourait en semblants d'été attardé, mais tout alentour, dans les campagnes, les vignes démentaient, par leurs pourpres et leurs rousseurs éclatantes, les faux-semblants.
En ville c'est une renaissance qui, dans les azurs resurgis des oublis de l'Histoire et des crasses du Temps, grâce à une politique culturelle ambitieuse et à l'habileté d'artisans-archéologues, s'effectue sous nos regards émerveillés.

Nous avons à déplorer tellement  d'incurie et tant d'abandons dans un monde où les préoccupations culturelles sont gangrénées par la financiarisation qu'il eût été malséant de ne pas témoigner d'un événement aussi réconciliant.
Avant que la campagne de restauration du Portail Royal de la Cathédrale Primatiale Saint André de Bordeaux ne s'achève, une structure métallique permet d'approcher du tympan et des voussures avant que la fin des travaux ne leur redonne la hauteur distanciée d'origine.

"Vis à vis de cette chappelle Notre Dame, est une porte de l'Église que l'on nomme la Porte Royale, par où entre (sic) les Roys et les Gouverneurs quand ils viennent la première fois en l'Église. Elle demeure ordinairement fermée" selon Hiérosme Lopez in L'Église métropolitaine et Primatiale Sainct André de Bordeaux, 1668

 

 

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D'ordinaire , les portes royales s'ouvraient sur la façade occidentale des édifices religieux, ici l'ouverture privilégiée jouxte le portail nord de la cathédrale qui vous est présenté ci-bas, effectivement la façade ouest ne pouvait recevoir de porche monumental du fait de sa proximité avec le castrum et le premier palais archépiscopal détruit au XVIIIe siècle pour l'édification du palais Rohan (actuel hôtel de ville).

L'objet de ce billet n'étant pas celui d'une monographie d'historien de l'art je serai bref quant à la description de ce portail sans laquelle on ne pourrait saisir avec cohérence les détails cités.
Donc cette porte royale fut édifiée au milieu du XIIIe siècle, avant les les portails nord et sud, elle est au niveau de son ancien sol, donc en contrebas et est encadrée de deux vigoureux contreforts.
L'organisation générale est la suivante :
Deux vantaux  séparés par un trumeau et que nous ne verrons pas, ou très peu en vue plongeante du fait de l'escalier provisoire qui donne accès au tympan, supportent un linteau et un tympan à deux registres s'inscrivant dans l'ogive de quatre voussures.
Couronnant l'ensemble, une galerie aveugle contient huit statues colossales de cinq évêques, un archevêque et un couple royal dont l'identification, pas certaine ouvre la voie à toutes les conjectures plus ou moins fantaisistes.

Des les ébrasements s'abritaient douze apôtres (il n'en reste que dix) et leur exécution témoignait d'une perfection telle que Viollet le Duc en fit des moulages pour le portail central de Notre Dame de Paris dont il avait en charge la restauration.
En toile de fond, derrière les apôtres le mur est creusé d'alvéoles réticulées, elles étaient à l'origine serties de verres colorées, car, ne l'oublions pas, le Moyen-âge ne reculait pas devant l'utilisation de la couleur ; à ce propos, la restauration actuelle a commencé par un décapage de la gangue noire qui couvrait l'édifice ce qui a permis de révéler la polychromie d'origine, ou du moins ce qu'il en reste après que le XIXe siècle eût gratté les reliefs afin de pouvoir fixer un badigeaon beigeasse. Le fond d'azur a été restitué quasiment dans son état d'origine. 

 

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Les hauts reliefs du tympan illustrent le Jugement Dernier selon Saint Mathieu.
Le registre principal est occupé par un  Christ en majesté exhibant ses blessures, il est  entouré de six anges portant les instruments de la Passion. La théorie d'anges est interrompue par deux adorants symétriques et agenouillés qui s'y intercalent : La Sainte Mère et Saint Jean.
L'expression du Fils témoigne bien de l'humanisme serein du XIIIe siècle, nous sommes loin des Justiciers inexorables des époques précédentes, le Visage de Christ est empreint d'une grande douceur, il est le Sauveur, le Rédempteur, et le fond de tristesse qui voile son sourire retenu exprime peut-être la difficulté de faire toujours preuve d'indulgence et d'équanimité pour ne pas désespérer de la nature humaine.
La pierre est caressée de façon tangentielle par le burin qui dans des époques plus modernes attaquera le matériau frontalement privilégiant l'expressionnisme,le caractère, au détriment de cette expression d'humanité diffuse.

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Au centre du registre supérieur, deux des anges présentent en leurs mains la lune et le soleil devenus désormais inutiles. La frise symbolique de nuages s'incurve en son centre pour privilégier la figure de Jésus et ce procédé imprime une animation ondoyante à l'ensemble, ce que n'aurait su produire une séparation strictement horizontale.

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Les voussures, au nombre de quatre comme le montre la vue d'ensemble présentée en frontispice, s'ornent de personnages divers séparés par des édicules à double fonction, la partie supérieure, plane, faisant office de socle pour la statuette qui y prend appui, tandis que la partie inférieure est le dais de la figure précédente.
Les attributs des anges du registre inférieur ont quasiment tous disparu, à l'exception des couronnes brandies par deux d'entre eux et certainement destinées aux élus.
La deuxième voussure abrite des anges thuriféraires ou bien d'autres présentant des vases sacrés ou des cierges.
Nichés dans la troisième voussure, se remarquent plus spécialement, reposant sur des roues, les séraphins reconnaissables à leur triple paire d'ailes ; six saintes martyres leur tiennent compagnie.
Enfin Moïse exposant sa colonne du serpent d'airain et David muni de son inévitable harpe peuplent la dernière voussure.
Je propose, comme témoignage de la perfection de cette statuaire, de s'attarder sur les détails de ces visages d'un ange et de Saint Jean que nous n'aurons plus l'occasion de voir d'aussi près, à moins qu'un séraphin partageux ne nous prête l'une de ses paires d'ailes ; ceci permet également d'admirer le bleu original du fond piqué d'étoiles, certainement dorées à l'origine

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Avant de redescendre l'escalier avec toutes les peines du monde afin de ne pas heurter trop violemment la structure métallique ce qui aurait pour effet de couvrir la voix de la conférencière, attardons-nous sur le linteau, partie basse, zone terrestre, d'où émergent les corps des réssucités.
Ils sont là tout à leur obligation de sortir de leurs tombes afin de s'exposer au Jugement final ; mitrés, couronnés, tonsurés ou élégamment coiffés à la mode du temps pour les hommes, cheveux libres pour les jeunes filles ou enserrés dans de l'élégante coiffe (le touret) des dames de l'époque, ceux qui revoient le jour empruntent des expressions différentes ; si la dame arborant le touret semble dans un ravissement extatique et confiant, le jeune élégant qui la précède laisse transparaître une certaine inquiétude, tablons avec lui sur la mansuétude du Miséricordieux.
Au passage, je remarque que si la plupert des ressucités émergent d'une tombe, d'autres s'extirpent d'une urne funéraire. Je me pose la question sur la position de lÉglise de l'époque sur l'incinération.

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Avant de quitter les lieux, attardons-nous un moment sur l'arc-boutant Renaissance qui flanque notre porte royale.
Effectivement les arcs-boutants d'origine montrant quelques signes de faiblesse, on procéda au XVe siècle à la réfection de huit d'entre eux, le répertoire de leurs ornementations est résolument gothique flamboyant sauf pour le dernier condtruit en 1533 et c'est donc toute la grammaire de la première Renaissance qui fleurit sur ses pierres, l'esthétique nouvelle fut promue par l'archevêque éclairé de l'époque, Charles de Gramont dont le blason figure sur la pile qui porte désormais son nom.

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Quand je pense au Bordeaux de mon adolescence si uniformément noir, quand on suit les progrès du ravalement de cette magnifique cathédrale, je me dis que la capitale d'Aquitaine connaît un véritable renouveau dans le respect de son patrimoine culturel.
Si cette fièvre rédemptrice pouvait gagner les environs de la ville ! je pense tout particulièrement à la maison carrée d'Arlac...

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Commentaires
H
@ Gazou : tu verras, tu ne seras pas déçue, chère amie, et si en plus on peut prendre un petit verre dans le café juste en face de ce beau porche...<br /> <br /> Merci de ta visite ici
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G
Je ne suis encore jamais allée à Bordeaux...J'espère qu'un jour je pourrai m'y rendre...<br /> <br /> Tu m'en donnes très envie
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H
@ Laura : me voici de retour à Bordeaux, je te promets d'aller voir l'état d'avancement des travaux et je te dirai
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H
@ Pierrette : le divin, cette tension de l'esprit vers ce qui le dépasse, est un langage universel et par tous audible, qu'il soit croyant ou pas.<br /> <br /> Et cette période du "beau" gothique classique qui exprime tant d'humanité dans la figuration du sacré en est le parfait exemple
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L
Avoue, cher Henri-Pierre que tu n'as pas besoin d'escalier pour dominer ton sujet !<br /> <br /> Les promenades que tu retraces sont toujours merveilleusement documentées; elles provoquent le désir de connaître les lieux que tu évoques.<br /> <br /> J'attendrai que tu donnes le top de la fin de la restauration pour enfin faire une virée en Aquitaine, région que je ne connais pas.<br /> <br /> Merci, pour ce beau billet, cher ami.
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