Ombres et Lumières. Clairvaux 2013
Trois jours de septembre, deux jours de fin d’été et un premier jour d’automne.
Vingt-deux septembre… Cette année l’équinoxe paré d’étourdissants et inespérés habits de lumières s'est enveloppé dans la douceur tiède d'un été indien pour tirer sa révérence à la saison chaude.
Vingt-deux septembre, fruits mûrs et premières ombres allongées des soleils déclinants.
Vingt-deux septembre qui vit naître celle qui disparut un jour de printemps et dont les yeux aux lueurs imprévisibles allaient si bien avec les incertitudes des temps d’entre-deux.
Vingt-deux septembre enfin qui clôt les trois jours du festival de Clairvaux consacré justement aux « Ombres et Lumières »
Je tiens avant tout à saluer l’inlassable énergie déployée par les organisateurs de ce bel événement, tout particulièrement le Président de « Renaissance de l’Abbaye de Clairvaux », notre ami Jean-François Leroux et la directrice Artistique du Festival Anne-Marie Sallé qui avec l’engagement complice du compositeur Philippe Hersant ont su donner vie aux paroles des emmurés, cette année sur le thème de la métamorphose.
Haute-Marne, tu ne t’es jamais remise de la fermeture de tes hauts-fourneaux ; ton déclin amorcé dès la fin du dix-neuvième siècle se poursuit inexorablement, tu te vides avec une régularité métronomique de tes habitants faute de ressources économiques, tes centres-villes s’étiolent victimes de l’impérialisme de ces grands hangars appelés « grandes surfaces » et qui dénaturent au sens propre du terme tes jadis vertes ceintures.
Et pourtant que tu es belle dans l’ivresse de tes frondaisons et la richesse de tes monuments, mais que valent l’homme et la culture face au marteau-pilon des chiffres et des statistiques.
Heureusement, quelques rares initiatives ,dont l’une des plus importantes est ce festival de musique , entretiennent une flamme qui ne saurait s’éteindre, opiniâtre lumière en lutte constante contre les ombres des abandons.
De Charmes à Clairvaux la route passe par Colombey et la splendeur contrastée des cieux que chantait avec un lyrisme certain le Général de Gaulle est toujours aussi émouvante.
Clairvaux, sur laquelle veille la statue de Saint Bernard, entre effondrements ruinés et réhabilitations, se blottit dans une enceinte à l’intérieur des murs des terres abbatiales.
Le festival a réintégré le dortoir des convers, les travaux de restauration s’étant achevés juste à temps, le réfectoire des moines qui avait assuré l’intérim les trois années précédentes sera à son tour restauré.
L’espace, la salle haute du bâtiment du XIIe siècle surprend par ses amples proportions, une des plus vastes, sinon la plus vaste des abbayes cisterciennes d’Europe, le dépouillement architectural inhérent à la règle de Saint Bernard ajoute à la grandeur des lieux, on pourrait parler de volume spirituel n’était la « patte » de l’incontournable Éric Pallot qui ressuscite les lieux en leur dérobant quelque peu de leur âme, espérons que la patine du temps saura atténuer cet aspect un peu trop « neuf ».
Mais la hauteur des voûtes d’arêtes et les successions des ébrasements des baies sont accueillants pour la musique, la salle « répond bien », nous nous en rendons compte dès le discours d’ouverture de Jean-François Leroux.
Le programme avec cinq concerts, intelligemment éclectique, nous fera voyager en musique du XIIe siècle aux compositions contemporaines en alternant les prestations d’artistes reconnus et celles de talentueux jeunes espoirs.
Mieux que des discours, ces pages du programme vous diront le menu de ces journées d’exception.
Simple amateur, je ne m’aventurerai pas à établir une chronique avertie des différents moments de musique, tel n’est d’ailleurs pas le propos de ce billet, je me bornerai à remercier les artistes qui se sont succédés sur l’estrade pour le plus grand bonheur d’une assistance conquise qui n’a ménagé ni ses applaudissements ni ses encouragements.
On ne présente plus Michaël Levinas qui dans l'exécution enlevée et déterminée de trois sonates de Beethoven fait oublier le moderne Steinway mis à sa disposition, l’instrument en revanche répond parfaitement à l’étourdissante virtuosité de François-René Duchâble dans l’interprétation, avec les autres concertistes, dont le violoniste Régis Pasquier et le violoncelliste Roland Pidoux, d'un quintette de César Franck et du concert d’Ernest Chausson..
Après ce répertoire classique dans tous les sens du terme, place à l’ensemble Alla Francesca qui de laudes à la Vierge à chants ladinos en passant par de magnifiques estampies instrumentales révèle, pour la première fois pour un certain nombre, les musiques populaires ou savantes du Moyen-âge.
L'extraordinaire Brigitte Lesne, tour à tour recueillie et primesautière, grave et leste, rend la vie à ces lointaines musiques qui nous semblent soudain tellement proches, sa voix et l’accompagnement instrumental de Pierre Hamon et Carlo Rizzo restent pour moi l’acmé de ce festival.
La deuxième révélation sera celle de trois jeunes instrumentistes unis par une complicité palpable qui s'exprime à travers leurs regards de connivence. Maîtrisant chacun parfaitement son instrument ils sont aussi à leur aise dans le répertoire classique que dans des registres plus audacieux. Je pense en particulier au dernier morceau du compositeur de tangos Astor Piazzola « La muerte del Angel ».
Je ne résiste pas au plaisir de citer les noms de ces trois espoirs qui abolissent tous les lieux communs amers sur la jeunesse de maintenant, il s’agit donc de Vincent Lhermet à l’accordéon, Virgil Boutellis-Taft au violon et Dmitri Silvian au violoncelle ; m'est avis que nous entendrons encore parler d’eux.
Voici quelques instants de ces moments d’harmonie et d’émotion, je n’ai malheureusement pas de photographie de Brigitte Lesne, je ne pouvais décemment pas lui décocher mon objectif lorsqu’elle se produisait, j’étais au premier rang…
A l’enfermement volontaire des moines a succédé la réclusion pour les condamnés aux longues peines, ce mirador, témoin de l’époque où les prisonniers occupaient les bâtiments anciens de l’abbaye, est resté là dans l'orgueil fou d'un garde-à-vous définitivement inutile.
Les roses sur les grillages voilent leur éclat de mélancolie, mais cela, un détenu le dira mieux que moi, ce seront les derniers mots de ce message ; les grilles du XVIIIe siècle répondent aux grillages des fenêtres des cellules que l’on peut apercevoir en gravissant la colline de la statue de Saint Bernard
Le festival, et c’est là la marque la plus singulière qui le rend si attachant et unique, rend la parole aux sans-voix des gens de l'ombre ; Philippe Hersant, avec grande modestie met en musique les poèmes des reclus et, de cette audition on ne sort jamais indemne ; l’ensemble vocal Sequenza 9.3, sous la direction de Catherine Simonpietri et accompagné par le violoncelle de Henri Demarquette clôt son programme, et le festival, par ces cris échappés des ténèbres de l’enfermement
Alors, moi aussi je rends la parole aux réprouvés, je fais un choix arbitraire de mots, ceux qui en ce moment sont revenus, lancinants, hanter ma mémoire.
Je m’en vais, doucement, sur la pointe des pieds, je vous laisse avec ces hommes qui vous disent si simplement et si sensiblement que l’esprit se survit dans les pires des désarrois ; la finalitét de la justice devrait être non pas le châtiment mais la rédemption. Les monstres n’existent pas.
De Sébastien :
« A la lueur de l’été.
Privé de liberté, je ne peux que rêver
…
A la métamorphose des saisons »
De Manu :
« A l’aube de mes ailes aplaties
Dans ce cocon endormi
Une chenille s’éveille »
D’Ali :
« Portrait d’un misérable
Arrachés à l’herbe des cimetières oubliés
Erodés par un soleil trompeur et desséché
Mes os étaient recouverts de roses tristes »