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Le blog de HP
19 juin 2013

Réparation

autoportrait

autoportrait 1790-92 Versailles

bouquet de roses

Femme et peintre, double malédiction pour tant de figures intéressantes qui ont consumé leur vie au feu de cette passion de créer, au moyen de leurs pinceaux leur monde, un autre monde.

La peinture était hiérarchisée en « genres » et la « grande peinture » relatant faits héroïques et mythologiques requerrait l’étude des anatomies, c’était donc impensable, au nom de la décence, pour une femme.

Vouées aux genres mineurs dont la nature morte était reléguée au bas de la hiérarchie (après portrait, paysage et scène de genre) elles restèrent des peintres mineurs et cette tunique de Nessus adhère encore à leur peau.

Peu sont ceux, mis à part les spécialistes en histoire de l’art qui connaissent la portraitiste Italienne Sofonisba Anguissola et si Marguerite Gérard a bénéficié,  il y a quelques années, des honneurs du musée Cognacq-Jay, le talent de Marie-Victoire Lemoyne sommeille toujours dans la ouate des semi-oublis.

Le dix-huitième siècle, siècle de la femme, dérogea à la règle et quelques femmes furent distinguées, j’en parlais il y a quelques temps ici ; sans être exhaustif je veux pour exemples Rosalba Carriera, à l’aube du siècle, la célèbre Élisabeth Vigée-Lebrun, peintre attitré de Marie-Antoinette depuis 1778, et sa rivale professionnelle Adélaïde Labille Guiard.

Mais qui connaît Anne Valayer-Coster ? Pas grand monde, me direz-vous, alors ouvrons une fenêtre sur cette femme peintre pour laquelle j’ai tant de goût, et vous comprendrez pourquoi ; Si l’injuste oubli est de ce fait tant soit peu réparé, mes chers lecteurs, je m’estimerai amplement satisfait.

.Née à paris en 1744 et morte en la même ville en 1818, cette fille d’orfèvre fut l’élève de la très oubliée Madeleine Basseporte (1701-1780) connue pour ses planches de plantes sur vélin et de Claude Joseph Vernet (1714-1789) célèbre, lui, (logique c’est un homme) pour ses remarquables vues de ports.

Ce billet s’ouvre donc par deux autoportraits de l’artiste, le premier des années 80 comme en atteste la mise, le deuxième de 1790-92, j’ai glissé entre les deux figures une aquarelle tardive de roses, en hommage à sa formatrice et qui annonce déjà les fleurs de Redouté.
En fait, notre artiste, qui n’émigra pas bien que très proche de Marie-Antoinette à qui elle enseignait le dessin, s’exprima dans un registre beaucoup plus étendu et complexe que ses deux « grandes » contemporaines, Mesdames Vigée-Lebrun et Labille-Guiard qui ne produisirent quasiment que des portraits.

Comment résister à la tentation, pour illustrer l’estime en laquelle la tenait la Souveraine, de rapporter l’anecdote consignée par Madame Campan ?
Aux heures sombres, la fidèle première femme de chambre qui partageait l’intimité de Marie-Antoinette fut chargée par cette dernière de mettre en sécurité des papiers compromettants, eh bien, c’est à Anne Vallayer-Coster que Madame Campan remit les documents.

 Notre artiste fit admise à l’Académie royale de peinture et de sculpture le 28 juillet 1770, son morceau de réception est une nature morte,  Les attributs des arts, qui suscita de vives louanges de la part de Diderot, laissons-lui la parole : « Quelle vérité, et quelle vigueur dans ce tableau ! Mme Vallayer nous étonne autant qu’elle nous enchante. C’est la nature, rendue ici avec une force et une vérité inconcevable, et en même temps une harmonie de couleur qui séduit. » le tableau fut suivi de son pendant, les attributs de la musique, et tous deux sont visibles au Louvre.

Attardons-nous sur ces toiles auxquelles j’ai juxtaposé cette Minerve et nous percevons à travers l'engouement  que suscita cette peinture, le courant nouveau, ce goût de la nature illustré par Rousseau à Buffon ; si la nature morte commence à sortir de son purgatoire on garde encore dans les milieux officiels une certaine retenue à l’encontre des femmes puisqu’il sera dit au sujet de notre artiste qu’ «elle peint en habile homme».
Un compliment sûrement, vous apprécierez mesdames…

 

Attributs des arts 1770 Louvre

 

Attributs musique 1770 Louvre

 

 

 

 

 

 

 

 

Minerve

Dès avant sa réception notre artiste s’adonnait à cette exacte observation de la nature et de l’objet et elle la traduisait en toiles d’une grande sincérité animée d’une vive sensibilité introspective, celle qui émane de la contemplation qui révèle un monde à partir du détail du quotidien.

La nature morte au jambon datée de 1767 est remarquable par ce que j’appellerai la « modestie cossue » qui nous renvoie quelque peu à Chardin, les fonds neutres et vibrants que l’on retrouve sur les deux autres exemples proposés sont d’un modernisme surprenant ; la nature morte au homard dut plaire, il y en eu au moins deux variantes, parmi les objets du quotidien éclate le luxe vermillon du crustacé où, comme des rêves de mystérieux ailleurs qui ne veulent pas mourir, s’accrochent les madrépores.

nature morte 1767

 

nature morte 1

 

 

 

 

 

 

 

 

Homard 1781 Louvre

Pour continuer dans le registre de ce genre dit mineur, caressons du regard le velours de ces pêches et le satin de ces raisins traités avec un bonheur sensuel, étourdissons-nous des complications de dentelle de ces lithophytes et concentrons nous sur la grandeur symbolique de ces simples pains accompagné de vin.

pêches-raisins (non daté)

 

lithophytes années 70

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pains

Anne Vallayer-Coster, s’illustra également dans l’art du portrait mais, dans ce registre, elle ne peut se mesurer aux deux ténors en la matière, Vigée-Lebrun et Labille-Guiard, cependant ils restent de belle tenue et intéressants en tant que témoignage d’une époque.

Marie-Antoinette prit l’artiste sous sa protection dès 1779, une jeune vestale faisait d’ailleurs partie de ses collections, bienveillante, la reine lui accorda même un appartement au Louvre qui la fit voisiner avec, entre autres, Hubert Robert, Greuze ou Fragonard.
Un portrait de la souveraine passé récemment en vente publique est, il est vrai, tout sauf impérissable ; un deuxième n’est connu que par cette copie en miniature et ne semble pas non plus très convaincant, les deux figures sont, il est vrai, conventionnelles, la reine posant en grand habit. Plus légère est cette représentation de Madame Adélaïde, tante du roi, en tenue moins officielle.
Cependant la critique n'étant guère amène le genre fut abandonné dès 1789.

Marie-Antoinette

 

Marie-Antoinette miniature

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Madame Adelaïde 1780

Cependant, si le portrait de Cour ne fut pas une entière réussite, on ne peut résister à la triomphante et éclatante beauté de Madame Saint-Huberty interprétant Didon dans l’opéra éponyme de Piccinni (1785).

Un double portrait des années 1770 se révèle finalement plus subversif qu’il n’y paraît ; effectivement, dans cet élégant intérieur, l’aïeule darde ses yeux sur la jeune personne en polonaise blanche dont le regard sort littéralement de la toile vers nous, vers un monde moins confiné ; si le regard de la duègne est soupçonneux, celui du chien est éperdu d’amour.
Cette dernière jeune beauté n’est autre qu’Adélaïde Auguié née Genet, sœur de Madame Campan et, elle aussi, femme de la Reine ; très belle et dévouée, elle défendit bec et ongles la souveraine humiliée qui l’appelait affectueusement « ma lionne ».
Elle connut une fin tragique elle aussi, son mari incarcéré et sur le point de l’être elle-même elle se défenestra en 1794, non pour échapper à son sort, mais pour que ses enfants ne soient pas dépossédés, les biens des condamnés étant séquestrés par la République.
Mais n’anticipons pas et laissons-nous séduire par cette délicate et élégante symphonie de bleus grisés et de blancs nacrés légers comme les jours heureux.

St Huberty 1785

 

double portrait

 

 

 

 

 

 

 

 

Adélaïde Auguié

Il est temps de refermer la fenêtre, mais, avant de nous dire au-revoir, la délicate femme-peintre, nous offre des fleurs, elle les peignait à merveille.

Vallayer Coster 2

Quelques compositions comme celle-ci-dessus et la suivante mêlent encore aux fleurs des fruits ou des objets, elles sont certes  peintes avec brio mais s’inscrivent dans un ensemble décoratif enlevé et riche, quelque peu maniéré ; plus sensible me semble cette composition de printemps dans sa belle  et précieuse jardinière du plus pur style Louis XVI. Mais je vous invite à rester sur l’équilibre parfait de ces reines-marguerites dans le vase d’un bleu si raffiné, la touche large et diffuse pourrait être du dix-neuvième siècle, or nous sommes en 1780.

fleurs-buste

 

jardinière

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

vase de fleurs 1780

Sous la Révolution, Anne Vallayer-Coster resta fidèle à la Reine, entre 1790 et 1795 elle n’exposa plus et passa les années de tourmente à Villemomble.

Elle s’éteint en 1818 dans son appartement rue du Coq-Héron.

 

 

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Commentaires
H
@ Malva : C'est moi qui vous remercie de votre passage en ces terres de mots où vous êtes la bienvenue.
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D
Ses tableaux sont plein de délicatesse. Merci de nous faire découvrir cette artiste.
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H
@ Eva : Oui, Elisabeth V-L était exquise, lis donc ses mémoires et tu ne le regretteras pas
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E
J'ai visité le Château de Valençay sur le chemin du retour, et il est plein de ces portraits... et bien sûr j'ai pensé à toi devant le portrait de la nièce de Talleyrand peinte par Mme Vigée Le Brun ... les soies crissantes, les tulles vaporeux... J'ai même vu un autoportrait (sans chichis) de Mme Vigée Le Brun qui était une délicieuse personne...
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H
@ Eva : Non, non, reste, j'adore le melon ;-P
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