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Le blog de HP
16 octobre 2012

Impromptu de Charmes

Le matin, les vitres embuées de la chambre disent la progression du cycle des saisons, le goût d'été encore en bouche, les prémisses de la saison dormante nous rappellent le basculement en cours ; d'ailleurs, si besoin était, les baies rouges de l'épine royale seraient là pour en témoigner.
Dans les entrailles de la maison, un vrombissement de plus en plus fréquent scande l'accélération des rythmes de la chaudière, la fraîcheur matinale paresse et s'attarde de plus en plus, bientôt la maison se recroquevillera sur elle-même, le dehors, peu à peu, s'estompe par tout le jeu nécessaire des volets, persiennes et tentures qui transforment le dedans en citadelle mobilisée contre le froid.
La journée s'ouvre, mes yeux se portent sur un tableau de la chambre, oh, pas un chef d'oeuvre, vous savez bien, ces oeuvres souvent d'inconnus qui ne risquent en aucun cas de vous faire basculer dans la sur-imposition menaçant cycliquement les "plus de cinquante-mille €". Non, des petites fenêtres bien modestes ouvertes sur des mondes d'ailleurs et d'avant, ces petits riens parlants de l'intimité qui n'ont pas droit aux salons, ceux qui à défaut de cote vous délivrent suavement leur message.
Subtilité des objets-témoins qui murmurent sans s'imposer.
Rassurez-vous, je ne vous infligerai pas les mille et un riens qui ornent chambres à donner ou lieux privés, je vais tout simplement vous présenter ceux qui   se rattachent à quelque souvenir ou réveillent une émotion assoupie.

16 octobre 2012 (8)

Accroché sur les roses simplettes, toujours à changer, de la grande chambre, voici cette petite huile que j'appelle "la méprise".
Pourquoi un tel titre, me direz-vous ? Eh bien voilà : Il ya de celà quatre ou cinq ans, à Pau, je tombais en arrêt devant cette illustration d'une intimité ; je marquais mon intérêt, c'était mon jour d'anniversaire, on me l'offrit (pas l'antiquaire, rassurez-vous, mais l'être attentionné qui supporte mes jours), j'y voyais, la toile étant peu lisible du fait de décennies de crasse, un jeune galant ayant déposé un bouquet de fleurs sur le canapé de sa bien-aimée, son attitude anxieuse me semblait traduire la fièvre des attentes.
Mais il fallut bien procéder à la restauration et la surface débarrassée de la saleté acomplit un miracle ; hop la bien-aimée devient une maman, l'amoureux transi un étudiant pendant que le bouquet se mue en coussin. En fait la dame en rouge consulte le livret scolaire de son rejeton qui n'a pas l'air très,très à son aise.
Nous sommes au début des années vingt, folle pour les encanaillés et les garçonnes cosmopolites, mais toujours codifiées par les rites sociaux inhérents à la pérennité bourgeoise.
L'époque se devine, mis à part le peignoir de la mère, dans le motif Arts Décoratifs des rideaux et du coussin de la méprise ; pour le reste, le canapé Restauration, la console Louis XVI et les objets qui y reposent sont interchangeables avec n'importe quelle décoration convenable et intemporelle de la "bonne société"

15 octobre 2012 (2)

Le Vagabond ? Je ne me souviens plus le nom de cet étudiant en Histoire de l'Art de Bordeaux, originaire de Montpellier, qui, invité à passer un weekend chez mes parents offrit des fleurs à maman, une bouteille de vin à papa et à moi une de ses productions picturales.
Le jeune homme avait du savoir-vivre... et de la générosité à faire exploser son budget restau-U.
Parfums d'une amitié balayée par les aléas du temps et d'une atmosphère familiale, toute de confort moral, révolue.
En revanche cette aquarelle a droit à l'une des pièces du bas, elle s'inscrit parfaitement dans l'espace qui la contient et puis, ce jeu de petits toits délavés sont une oeuvre d'enfance de Charles l'architecte-paysagiste, qui bien qu'il n'ait jamais exercé le métier, révèle cependant dans ces quelques coups de pinceau, l'amorce d'une vocation.
Fut un temps ou, dans le Bordelais, les vendanges étaient, comme tout travail de la terre,  laborieuses et demandaient beaucoup de sueur, les grands foudres étaient transportés sur des brancards à grandes roues.
Nous sommes ici dans un château du Saint-Émilionnais, mon ami de la nuit des temps, Lewis, peignit sur un petit panneau de bois cette scène inanimée du quotidien des fins d'été et qui m'accompagne toujours dans ma petite chambre occasionnelle du deuxième étage. 

15 octobre 2012 (5)

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Et puis, que croyez-vous, moi aussi je m'exerçais au jeu des pinceaux et de la couleur, tout support était bon au lycéen impécunieux d'Oloron Sainte Marie.
Maladresse et impatience donnèrent de bien piètres résultats, mais la place de ces balbutiements d'antan reste ici justifiée en tant que lien du permanent dans les impermanences d'une vie aux multiples séquences. 
D'ailleurs, voyez la Vierge aux dorures quelque peu compromises que je figurai sur un panneau de contreplaqué qui traînait par là, elle habite toujours sur la cheminée du bureau de Charmes ; j'ai accroché la représentation juste en face du modèle, je tourne parfois la tête de l'une à l'autre dans le tic-tac métronomique des temps dissous, des temps liés.
De la galerie surplombant le gave de l'appartement familial, la vue s'étendait jusqu'à la chaîne des Pyrénées, et au premier plan, les toits de la petite entreprise de Crescent, mon père, m'offraient le beau dialogue entre la matité de l'ardoise et le vert crissant des frondaisons. Une vieille photographie, de famille certainement, offrit à l'irrévérencieux le support de carton rigide pour fixer son chef d'oeuvre ; peu importe, le moustachu à l'identité perdue dans le méandre des mémoires défaillantes n'en serait ni plus ni mieux connu. Tant pis pour lui, ad majorem gloria Enrico.
Plus sérieusement, au-delà de la "maîtrise" de l'exécution, un regard suffit pour que m'envahissent encore les rythmes des marteaux sur les enclumes, l'odeur puissante de la limaille de fer et que renaisse le sourire tendre et malicieux  de ce père trop tôt parti.

 

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Trimballé, déplacé, exhibé, abîmé et enfin remisé suite aux dégâts provoqués par toutes ces tribulations, cette vue de ciel, d'arbres et d'eau est l'un des rescapés des diverses successions ; Henriette, ma mère, qui le tenait elle-même de sa mère, l'ensevelit sous les pieds d'une armoire, les mouvements saccadés des aspirateurs n'ont pas dû arranger les choses. J'ai pansé les plaies pour arrêter l'étendue des misères et l'ai accroché au mur de la bibliothèque. Il attend sagement que les diverses urgences ou priorités lui consacrent un peu de temps et d'argent pour lui redonner un nouveau départ. 
Aurai-je le temps ?
Versailles, il y a dix ou quinze ans, nous fîmes compulsivement l'achat de cette randonnée montagnarde. J'ai toujours aimé les chants scout et leur décalage par rapport au temps, que ce soit les feux de camp ou les méandres des routes parcourues pataugas aux pieds ; en l'occurence les trois baroudeurs me ramenèrent au bon vieux "La haut, sur la montagne" chanté gorge déployée avec une conviction insolite dans la bouche des gosses du confort.
Et Pitou alangui sur son transatlantique, Jean D l'avait peint, Isabelle, sa femme l'avait accroché au mur de sa salle à manger. J' en fis l'éloge, on me l'offrit, et je l'acceptais avec effusion tout en  singeant une gêne que je n'éprouvais pas.
Un très vieux dîner en ville, des quasi voisins parisiens qu'on ne voit plus que très épisodiquement, mais Pitou est là qui veille sur une ancienne amitié qui n'attend que l'occasion de renaître de ses cendres, le jeune maigriot me dit que la braise couve toujours.

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Autres acquisitions faites sous le coup d'une impulsion :
Cette scène de bambochards servis en chopes de bière par des gretchen en costume national. Le déclic ? certaines images du film de Visconti, "Les Damnés", celles où, avant le massacre des longs couteaux, les jeunes phalangistes festoient dans une auberge au milieu de la forêt, ignorante du destin tragique et imminent. Evidemment, j'ai nommé cette toile "Les damnés". J'ai complètement oublié le lieu où je fis cette acquisition déjà très lointaine.
Entre deux tondos figurant en champlevé une Walkyrie et un Thor moustachu du plus wagnérien des effets, j'ai placé cette xylographie vendue par une très vieille antiquaire de Chaumont, la boutique a depuis baissé son rideau ; je suis sensible à l'énergie qui se dégage de cette scène d'affontement entre l'homme et la bête, comme une lutte sauvage d'où naîtra une alliance, une complicité.
Et enfin cette petite gouache de la fin du dix-huitième siècle, sans signature aucune, mais si évocatrice d'un frémissement pré-romantique de solitude humaine face à l'indifférente majesté de la Nature, cette oeuvre sied bien à ma maison des bois, elle a droit au salon.

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Ce matin, au lever du jour, le ciel nous fit un présent inattendu, il ne pleuvait pas, mais les rayons naissants jouant avec les brumes, nous tissèrent un arc-en-ciel sans pluie.
C'était beau, c'était étrange, c'était déchirant comme l'éphémère et réconciliant comme une promesse.

16 octobre 2012 (3)

 

Charmes, ce 16 octobre 2012...

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Commentaires
H
@ Gazou : Un choix qui me touche Gazou, un vagabond souvenir d'une aitié de jeunesse et une aquarelle de la jeunesse de la personne qui m'est le plus proche.
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G
Je l'aime bien moi aussi ce vagabond..ainsi que l'aquarelle qui se trouve à côté sur le blog<br /> <br /> "objets inanimés , avez-vous donc une âme?
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H
@ Pâques : Bienvenue ici, Madame le poétesse, et mes allées seront toujours heureuses de conserver la trace de vos pas
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P
Bonjour,<br /> <br /> Je me suis baladée avec plaisir dans les allées de votre blog...<br /> <br /> J'ai aimé la gouache du dix-huitième siècle et puis aussi ce vagabond triste et romantique.
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H
@ Jeanne : Oui, goûter ce qui t'es offert et porter en soi la mélancolir de ce qui a été. Tout à fait ça, Jeanne, tu as tout compris, et j'aime sentir cette connivence d'afinités électives..<br /> <br /> A très bientôt, et crois-moi, je continuerai
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