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Le blog de HP
13 avril 2012

Torpeurs et touffeurs

Bonjour Guadeloupe, de toi j'ignorais tout jusqu'à cette parenthèse entre le vingt-quatre mars et le premier avril de cette année 2012, de toi je sais à présent peu, si peu, mais est-il besoin de beaucoup savoir pour intensément ressentir et aimer tant aussi ?
Je ne sais pas voir sans aimer, et je t'ai vu toi la belle, papillon rouge sur cette carte et épinglé au milieu des mers.

07-30 mars 2012 (3)

Caraïbes, mot qui coulerait sur la musique des sons comme une pirogue sur les vagues, si le récif du "ï" ne venait altérer sa course ; Guadeloupe, nom d'une Vierge d'ailleurs et dont les lointains s'ornent d'îles aux noms de putains fantasmées nées des obsessions d'amour d'hommes seuls, ceux qui te découvrirent ; Marie-Galante et la Désirade...
On ne sait presque rien de ton peuplement, les vents d'est favorables aux navigateurs ignorant la voile portèrent au début de l'ère chrétienne les Arawak du Vénézuela actuel, puis ces derniers furent massacrés, dit-on, par les guerriers Guyanas vers l'an mille. L'archéologie complique un peu le schéma, révèlant peu à peu l'existence d'un peuplement amérindien originel, le premier site précéramique de Saint-François en témoigne.
Puis vinrent les découvreurs Européens, les Français te colonisèrent et te donnèrent ces noms si "Vieille France" qui fleurent bon l'Ancien Régime. Jusqu'en 1848 des esclaves importés d'Afrique assouvirent de leurs peines la soif de lucre des riches planteurs.
Et ainsi, les Noirs ont supplanté les autres populations, on les a fait Français pour ne pas perdre l'île si belle, avec eux les Africains ont amené leurs rythmes de transes obsessives qui arrachent l'âme des danseurs pour la transporter vers les mondes sans nom ; Lors des "gwo cas" (gros cas) le danseur, impérieux, dicte son rythme au "meneur", c'est envoûtant et presque douloureux de se sentir aussi loin de leur dialogue avec ce qui nous est étranger bien que perceptible. Les corps et les sons ne font plus qu'un. 

C'est justement à Saint-François que la généreuse et chalereuse hospitalité de nos amis nous offre cette maison si pure, si blanche, au bord de l'anse de la Barque qu'elle domine à fleur d'escarpement ; au petit matin le décor si calme fait penser à Edward Hopper ; après quelques longueurs de piscine, la table du petit-déjeuner préparé par Didier enchante aussi bien la vue que les papilles, vous pouvez en juger...

03-26 mars 2012 (119)

04-27 mars 2012 (4)03-26 mars 2012 (141) 

Et Didier, qui gère la maison de nos amis, a une compagne aussi douce que son nom de fleur, Violette. Inutile de vous dire que la belle à robe pie ravit notre coeur et nous obligea à la promenade quotidienne d'un bout de l'anse à l'autre, là où la plage quasiment déserte, butte sur la mangrove. 

01-24 mars 2012 (3) 

A qui parler chien sinon à un autre chien ? Pendant nos déambulations je parle à ma copine à quatre pattes de mes deux chiens restés à Charmes, ils me manquent un peu moins.
Et puis, j'ai oublié de vous dire qu'en fait c'est Violette qui, nous précédant, pilote la marche ; grâce à elle qui aime tellement s'ébrouer follement dans les vagues, nous découvrons les rustiques et efficaces pièges à crabe ainsi que la nostalgie des flots qu'expriment les yeux mourants d'un bateau désormais inutile. 

06-29 mars 2012 (5)

03-26 mars 2012 (98)

06-29 mars 2012 (3)

Bien sûr, et heureusement, la Guadeloupe exprime aussi en magnifiques cartes postales la douceur de ses plages protégées de l'impétuosité des vagues par les récifs coraliens, les cocotiers languides bercés par la brise invitent à la douceur, un peu traîtreusement d'ailleurs, l'un de nous évitant de justesse la noix de coco généreusement envoyée par l'arbre...
On goûte au farniente en famille ou non et l'on attend avec impatience l'heure du déjeuner, chez Kri-Kri ; le plat, poisson ou langouste, sera inexorablement précédé d'un planteur acompagné d'accras. Le rite sera observé quel que soit le restaurant et même à la maison.

05-28 mars 2012 (7)

06-29 mars 2012 (8)09-1avril 2012 (43) 

La réalité sociale vient cependant compromettre quelque peu le contexte idyllique, la langueur du personnel entretenue par une forte pression syndicale, fait reculer plusieurs investisseurs ne trouvant pas de DRH rodé à l'esprit du pays ; faute de repreneur, le somptueux "Méridien" se délite dans une ruine colorée tout à fait insolite face aux bateaux de plaisance et aux ébats des baigneurs. Mais rassurez-vous, personne n'en a cure...

02-25 mars 2012 (62)

Et puis, généreuse, la Guadeloupe sait offrir des horizons plus rudes, des côtes sauvages et escarpées, violemment battues par la houle vous transportent, crachin en moins, au Finistère.
L'anse de la Barque est le prélude à d'autres fins de terre déchiquetées comme la pointe des Châteaux où une immense croix somme le rocher le plus haut, l'ascension est laborieuse sous un tel cagnard ; modeste, je prie le Très-Haut de ne pas me faire l'honneur de me soumettre à certain malaise vagal si bien porté en haut lieu.
Au cours de la montée, la Désirade se profile, presque immatérielle, comme un mirage, à l'horizon.

02-25 mars 2012 (3)

09-1avril 2012 (7)

02-25 mars 2012 (80)

Au pied de la croix la piété populaire s'exprime en ex-votos de pacotille. Arrivés à la Porte d'enfer autre but accesible par des chemins improbables, nous nous inclinons devant cette évidence : tous les chemins mènent à Lourdes.
Cependant, deux tiens valant mieux qu'un seul, une Vierge de rechange, plus petite, est prête à prendre le relais en cas de défaillance de la Principale. Les Guadeloupéens, habitués aux grèves, nous l'avons dit, étendent leur pragmatique méfiance au Divin.

09-1avril 2012 (30)

07-30 mars 2012 (110)

07-30 mars 2012 (107)

En Basse-Terre, sanctuarisée en parc national, la forêt primale calme la soif que nous avons tous de retour à des débuts de monde où l'homme n'aurait pas encore imprimé sa marque dominante à la Nature, je pressens l'univers des sylves amazoniennes qui, depuis mon enfance, berce mon imaginaire.
Il est là l'empire du vert. Du vert, dis-je ? Mais non, c'est des verts qu'il faudrait dire, une profusion invraisemblable de verts qui se jouxtent et se superposent, se mêlent et s'entremêlent, se plongent dans le sombre en se faisant écran ou s'offrent la politesse d'un dard de lumière en s'effaçantt. Seule la Nature sait inventer des mises en scène aussi vertigineuses et effarer les sens par une prodigalité fastueuse qui énerve l'entendement. 
L'humidité et la chaleur ne laissent aucun repos à la végétation qui croît, se multiplie, parasite et se fait coloniser dans une extravagante démesure ; un observateur, même sans attirail scientifique, trouverait dans une surface de la taille d'un mouchoir de poche matière à études et à découvertes pour, probablement, un bon laps de temps.

05-28 mars 2012 (171)05-28 mars 2012 (189)

05-28 mars 2012 (172)

Mais les verts d'émeraude, de jade ou de velours, sans disparaître cependant, coexistent avec une explosion de couleurs qui font, qu'au retour du voyage, une des impressions les plus tenaces est celle d'un kaléïdoscope défiant la palette la plus exigeante.
Dans tel jardin d'acclimatation, dans une trouée de la canopée ouvrant sur une pièce d'eau, les carpes, animaux froids aux robes d'incandescence, offrent le spectacle d'une soie de kimono agitée par la danse d'une geisha. Les poissons, allogènes, sont au demeurant originaires du Japon.

05-28 mars 2012 (129)

Il a été difficile d'exclure de ce billet les aras et perroquets ainsi que les mille fleurs aux coloris innombrables, mais le but n'étant pas de faire de ces lignes un catalogue, ni de la flore, ni de la faune, j'ai sélectionné pour illustrer cet hymne à la couleur qu'est cette île lointaine, ces quelques témoignages.
Accrochées aux fûts des arbres les orchidées blanches, jaunes ou encore violettes ou vermillon, aux fleurons unis ou tigrés jouent avec la lumière au gré de leurs balancements, le long de la jetée de Saint-François, les coques des bateaux se diffractent en prismes aveuglants, et, au pays des mille-couleurs, même les lieux de travail se parent des teintes les plus vives comme en témoigne cet atelier de la fameuse distillerie Damoiseau, encore un nom évoquant notre vieil hexagone au service de ce miracle qu'est le 'ti punch qui, selon l'heure où il est honoré, plombe nos après-déjeuners ou après-dîners.

05-28 mars 2012 (54)

07-30 mars 2012 (72)

04-27 mars 2012 (24)

Loin de vouloir faire de ce billet un dépliant touristique, je voudrais cependant partager trois singularités qui ont particulièrement retenu notre attention.
La place centrale de Moule (corruption de Môle certainement), avec son Hôtel de Ville prônant jusques en si loin le leurre de la trilogie républicaine, s'orne aussi d'une église de sous préfecture de la Métropole.
Le rhum fut la richesse principale de l'île où croît si bien la canne à sucre et, pour broyer le végétal, il y eut des moulins à bêtes, des moulins à eau et, enfin, des moulins à vent ; la campagne de Grande-Terre est parsemée des ruines de ces édifices, mais, dans la louable observation du devoir de mémoire, les établissements Damoiseau, déjà évoqués, ont préservé le leur y compris tous les mécanismes intérieurs soigneusement restaurés, il a fière allure et n'a pas besoin d'architectes-décorateurs de nos villes en mal de nature pour inventer le mur végétal, le climat s'en charge.
Dans ses mémoires d'émigration, Madame Vigée-Lebrun narre son passage en italie où, en 1791, Emma Hart, courtisane Londonienne de haute volée devenue par la grâce de ses grâces Lady Hamilton, s'adonnait à l'art de l'évocation de tableaux antiques, vêtue, justement "à l'antique". Pourquoi j'évoque cela me direz-vous ? Eh bien tout simplement parce que dans une galerie de peinture de Saint-françois, nous retrouvons la Dame sous le pinceau Guillaume Guillon-Léthière, professeur d'Ingres, né à Sainte-Anne (Guadeloupe) en 1760 et mort à Paris en 1832.
Curieux, n'est-ce pas ? La lady vous plaît ? Eh bien, elle est restée vénale, pour un prix encore indéterminé, mais je fais confiance à votre talent de négociateur, elle peut être à vous pour une bagatelle comprise entre 80 000 et 100 000 €.

07-30 mars 2012 (92)

04-27 mars 2012 (29)

07-30 mars 2012 (25)

 

 

Le dernier déjeuner avant l'avion du soir nous ramena encore dans le restaurant de Kri-Kri qui nous servit toujours avec toute la grâce de sa jolie personne à la peau de miel doré.
Devant son établissement, l'éventail d'un arbre du voyageur se mouvait avec grâce comme pour nous dire "Au revoir".

02-25 mars 2012 (7)

 

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Commentaires
H
@ Laura : si mes petites humeurs écrites pouvaient, Laura, ne porter qu'une ombre de plaisir à une seule personne, j'estimerais ne pas avoir écrit pour rien.<br /> <br /> Alors, juges de la joie que tu me procures, et c'est là plus qu'un remerciement.
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L
Deux billets de toi, lus et relus en enfilade, goulument; tu sais que je suis incapable de lire une seule fois ce qui m'accroche, ce qui m'arrime.<br /> <br /> A la relecture, d'ailleurs, je sais que j'aime, même si je ne sais pas encore exactement ce que j'aime.<br /> <br /> Aujourd'hui, une évidence s'impose : la musique, le rythme de ta prose sont des éléments qui t'identifient, me permettent de te deviner, découvrant le papillon-Guadeloupe, sa chaleur et sa "générosité".<br /> <br /> J'ai eu une secrétaire guadeloupéenne, noire à l'envi, généreuse dans ses formes et ses actes, languissante un peu trop... et que j'entends en te lisant: "...mais..., Madameuh...., mon grand-père était breton..." .<br /> <br /> De son île, elle me rapportait des tissus où l'orange et le vert dominaient: elle savait qu'elle ne se trompait pas, tandis que j'ignorais, jusqu'à cet instant, qu'elle m'offrait des bouts de son "pays".<br /> <br /> J'aimais beaucoup Dinah; ton billet la rend présente, vivante, avec .... nonchalance.<br /> <br /> Mon cher Henri-Pierre, tes billets m'offrent du bonheur, ce bonheur que je trouve toujours -hélas?- dans l'ailleurs.<br /> <br /> Comment te remercier, mon ami?
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H
@ Clairette : Ben oui, ma Clairette, ce n'est pas parce que je promène mes chiens ailleurs que je ne les promènerais pas ici aussi ;-P<br /> <br /> Tu as raison pour Hopper, mais je parlais ici de ses décors où l'homme éternel passant ne laisse pas de traces, l'anti David Hockney en quelque sorte ; et je les apprécie autant l'un que l'autre.
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C
Toujours un régal de te lire... bien que tu aies encore réussi à parler de chien ici ! On en avait déjà eu assez sur FBK ! ;o))<br /> Hopper pour moi c'est la ville, les néons et la solitude...
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H
@ Eva : Heureux que tu aies eu une nuit verte comme l'espoir.
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