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Le blog de HP
23 mars 2012

Autour d'un film

J'attendais ce film, depuis si longtemps annoncé et médiatisé au tournant ; encore, me disais-je, une fiction autour d'un personnage qui n'a toujours pas eu, malgré de multiples publications son vrai historien, celui qui saura éviter les poncifs à charge ou à décharge, comme le fit Jean-Christian Petitfils avec son remarquable Louis XVI qui fait qu'en fermant le livre on n'a plus la même vision de l'époque.
Marie-Antoinette attend toujours, les hagiographes et les accusateurs en ont pourtant noirci et noirci des pages... Le papier n'a jamais refusé l'encre, n'est-ce pas, et puis chacun y va de sa diatribe, on encense et on voue aux gémonies, on accuse et on absout, ou pire encore les mandarins de la Faculté n'accordent aucune importance à ce personnage "secondaire" qui a subi  un monde qu'il n'a pas compris.
La catin des révolutionnaires et la sainte de la Restauration sont l'avers et le revers d'une même image, celle d'une reine de papier sans substance et sans vie propre, un réceptacle de fantasmes, un punching-ball des certitudes d'histoires qui cachent l'Histoire, une illusion récupérée, avilie et dénaturée qui ensevelit l'infortunée souveraine dans les limbes des pathétiques personnages à qui on a ravi leur être pour les affubler des horipeaux fluctuants des médiocres certitudes de tout un chacun.
Au cinéma Il y eut Coppola et sa lamentable héroïne sucrée, glamour et donc vulgaire, sans consistance aucune, personnage kidnappé pour illustrer l'obsession de la cinéaste pour les jeunes filles en fleur transplantées en milieux étrangers où de s'affirmer est une lutte contre tous les désarrois, les pièges et les médisances ; certes, il y a du vrai là-dedans, mais le reste...
Et puis vient, en ce premier jour de printemps, ce retour de la Reine incomprise et mal-aimée.
L'affiche, évocatrice de sentiments troubles et ambigus, a couvert Paris, et la presse s'est emparée de l'image d'une Marie-Antoinette aux pratiques saphiques pour le plus grand titillement des lecteurs.
Je décidai cependant de voir le film, la fiction de Chantal Thomas, lue il y a quelques années, m'avait intéressé par cette démarche psychanalitique dans l'illustration de personnages qui ne maîtrisent plus leur vie lorsque leur monde s'écroule.
Je dois ajouter aussi que trois films de Benoît Jacquot m'avaient particulièrement ému : "Villa Amalia", Adolphe" et "L'école de la chair"

20 mars 2012 (45)
Le Max Linder est un joli cinéma sur les boulevards, il est encore loisible de vivre le film d'un premier ou d'un deuxième balcon ; il y avait peu de monde et, nous voici donc à une place de choix, au premier rang de la mezzanine...
La première impression, puisque je m'apprêtais à en découdre, me surprend, me prend en traître, l'image et la lumière sont parfaitement maîtrisées, la bande sonore distille des notes où l'harmonie le cède aux halètements des attentes, des temps suspendus, bref une atmosphère troublante instille comme le venin accepté d'un vertige mortifère.
Et mortifère le film le sera du début à la fin, au-délà, ou malgré les trahisons à l'Histoire, le récit oscillant entre les ors et leur face cachée de lèpres écaillées établit un balancement des sens entre éblouissements compromis et inéluctables délitements obscurs.
Les intérieurs de la reine, et je trouve étonnant que nul critique ne l'ait relevé, encombrés de meubles précieux, retranchés du dehors par le rempart lourd et soyeux des rideaux et écrans qui masquent les ouvertures, sont comme le cocon dérisoire qui préserve l'illusion de la liberté face aux agressions brutales du dehors, et c'est là un point parfaitement fidèle à la réalité que met le film en exergue : on ne peut bâtir de monde idéal, la cruelle réalité vous rattrappera toujours, pour épaisses que soient les tentures elles ne peuvent rien contre les irruptions extérieures ; de ne pas voir, ou vouloir voir, n'est que l'équilibre instable et condamné d'avance du funambule des désirs irréalisables. Et ce fut là le suicide inconscient et parfumé des roses qu'elle aimait tant de Marie-Antoinette.

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De scènes croustillantes il n'y en aura point, malgré les affirmations des critiques il n'y a aucune scène qui dise crûment ces penchants d'une souveraine à qui d'ailleurs on les lui prêta pour lui nuire, ainsi écrivit-elle à sa mère "on m'a très libéralement supposé le goût des amants et des femmes".
Pour en revenir au réajustement historique disons d'une part que les "coquetages d'amitié" étaient à la mode en cette sensible fin de siècle et qu'il n'y avait pas de femme qui ne se promenât enlacée par la taille avec l'amie de coeur dans un abandon, voluptueux certainement, de confidences et de secrets échangés au creux de l'oreille.
La reine aima passionnément Gabrielle de Polastron, comtesse puis duchesse de Polignac, fut prodigue avec elle au-delà du raisonnable, c'est vrai, mais à cette époque le "goût de la reine était passé", elle avait fini par se rendre compte de la rapacité de la tribu qui utilisait la belle amie pour obtenir prébendes, titres et pensions.
Le personnage qui occupait alors le coeur de la reine était son fidèle et courtois chevalier, Hans Axel de Fersen qui lui, était profondément en amour de façon totalement désintéressée.
Le beau suédois n'apparaît pas dans ce film.
La production s'attache d'ailleurs à recréer, dans un monde exclusivement féminin, le triangle racinien, Sidonie Laborde aime la reine laquelle aime Gabrielle, laquelle n'aime personne. Si l'on accepte l'idée d'utilisation de l'Histoire comme support à une construction mentale, alors le film est parfaitement réussi.

Léa Seydoux incarne Sidonie Laborde, lectrice qui vient d'on ne sait où et retourne dans le néant dès lors qu'elle quitte la reine, il s'agit là d'un personnage inventé mais vibrant d'émotion retenue, de fraîcheur sérieuse et de détermination passive lorsqu'elle accepte de servir d'appât, sur demande d'une Marie-Antoinette manipulatrice, pour épargner la Polignac en fuite.
Là où le personnage royal est trahi c'est bien dans cette attitude de cynisme, ce dont elle était parfaitement incapable, car nul ne l'approchait, les multiples mémoires du temps en témoignent, sans être surpris par sa bienveillance et sa sensibilité.

Virginie ledoyen prête ses traits à une Gabrielle de Polignac très vraisemblable, hautaine et déterminée sous un air de placidité et de langueur qui enveloppent et dissimulent d'un voile de vapeurs nonchalentes sa volonté inébranlable.

Xavier Beauvois compose un Louis XVI possible et nous ménage lors des rares rencontres avec la reine de jolis moments de douce et affectueuse complicité, de l'amour vrai dépouillé des tourments et délices passagers de la passion.

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Le personnage le plus malmené est finalement celui de Marie-Antoinette, trop de modernité d'allure, de l'élégance certes mais, allez disons le mot, décontractée, ce qui était inenvisageable à cette époque dans ce milieu. Et surtout on la voit user de ses entours comme d'autant de marionnettes alors que c'est elle qui ne sut jamais résister à une sollicitation ou à un témoignage de sensibilité. On se joua beaucoup de celle qui cultivait la sincérité.

 Les costumes me demanderez-vous ? Souvent anachroniques, des perruques posées sur la tête comme une pièce montée sur un présentoir ce qui n'a jamais existé pour les femmes (sauf en cas de calvitie sûrement), mais bon, tout le monde n'est pas spécialiste du costume et ils sont, malgré les libertés prises, élégants et raffinés.

Vous conseillerai-je ce spectacle ? Eh bien disons que si vous renoncez à toute exigence d'historien et voulez vous abandonner à la morbide délectation d'un monde qui s'écroule ou à la tristesse des amours impossibles et non partagées, alors oui, allez voir "Les adieux à la reine".

Je ne résiste pas, pour rétablir un peu de vraisemblance, de vous livrer ici deux portraits assez peu connus de la reine aux approches de la révolution et qui, ça n'engage que moi, donnent une idée du charme diffus et nostalgique qui émanait de cette fausse frivole tant malmenée et qui attend toujours sa biographie.

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Commentaires
H
@ Gazou : Et vous n'avez pas perdu grand chose en ne l'allant pas voir, tout comme je n'ai pas beaucoup gagné en y allant. Un joli moment, c'est tout.
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G
après vous avoir lu, je ne regrette pas de ne pas avoir vu ce film
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H
Avant tout Patrick, de te revoir ici est un bonheur qui m'enchante.<br /> <br /> Tu as su créer le lien entre nos interogations et nos désarrois et ceux d'une reine du passé en lui prêtant tes traits ce qui la rend universelle et intemporelle.<br /> <br /> En une image tu dis avec brio et maîtrise, ce que la pauvre Sofia Coppola a raté en plusieurs quarts d'heures de mauvais goût vaniteux et inadéquat.<br /> <br /> Merci de ton passage.
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P
bonjour Henri-Pierre<br /> <br /> <br /> <br /> C'est une coïncidence pour moi qui me tiens à l'écart de l'actualité mais je me suis rappelé ton goût pour cette reine. http://ausgezeichnet.over-blog.com/article-hommage-a-jean-baptiste-andre-gautier-dagoty-portrait-de-la-jeune-reine-marie-antoinette-a-l-age-de-102302085.html
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H
@ Marie : Je vais finir par me demander si je ne le dois pas, mais ce serait comme entrer en religion, je ne voudrais pas me borner à des approches subjectives mais tout étayer de façon irréfutable.
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