Manèges tristes
Castillon-la-Bataille, le 27 juin 2011.
Jour de marché, comme tous les lundis, depuis... Depuis quand au fait ? Le rite immuable s'est simplement coloré de djellabas et enrichi de produits exotiques, une forte communauté musulmane s'étant fixée en cette ville où il y a longtemps, très longtemps, en 1453, s'écrivit une page importante de l'Histoire de France : la fin de la guerre de cent ans.
Sous la canicule, les étals regorgent non seulement de victuailles de toutes sortes, mais encore de bon nombre d'articles étonnants aujourd'hui et jadis si communs tels ces charentaises à carreaux et ces espadrilles à semelle de corde mais aussi ces gaines de forte toile rose baleinée dont l'abandon nous vaut le spectacle réjouissant des superpositions de bourrelets bloblotants sous les vastes T-shirts à plusieurs "X" avant le "L".
Une langueur vaporeuse flotte dans l'atmosphère et, parfois, l'impression singulière s'impose de vivre un film au ralenti.
Mais, chose étrange, sur une place de l'illustre cité, un train de véhicules aussi imposant que coloré annonce l'installation d'un chapiteau ; oui, vous l'avez compris, un cirque est venu rompre le torpide assoupissement d'un quotidien provincial, la caravane historiée éclate comme un clairon dans les bleus saturés du ciel et les verts fatigués d'une sécheresse qui se prolonge.
Enfant j'aimais les cirques, j'y allais peu et je ne sais ce qui surnage dans le salmigondis des images mentales fanées comme les vieux papiers prisonniers de nos tiroirs de l'enthousiasme des départs vers la célébration ou de la déception des retours après que le rêve se soit frotté à la réalité ; mon oeil infaillible ne manquait jamais de déceler, sous le strass, la maille filée où la reprise grossière de la maille ; de la maille du maillot, c'est drôle, n'est ce pas ?
Incongrus et hagards les animaux, enseignes publicitaires vivantes, ou plus exactement inutilement vivantes, tournent obsessionnellement en rond, comme ce lama, autour du pivot auquel les relie une corde ; un yack et un zébu cherchent entre deux assoupissements les quelques brins d'herbe brûlée qui ne soit pas encore réduite en poussière, une dame m'apprend que les gens du voyage ont du mal à s'approvisionner en fourrage ; prolixe et docte, elle sait aussi que s'il n'y a plus de singes dans les cirques c'est parce que cette espèce est soumise à un contrôle sanitaire des plus rigoureux et la direction du cirque doit faire face à des contrôles incessants.
Particules élémentaires arbitrairement assemblées dans un univers incohérent et disparate, les bêtes s'occupent de rien ou à rien, j'imagine leur lassitude condescendante lorsque le soir venu elles paraderont devant une population presque aussi ennuyée qu'elles.
Vies réifiées...
Deux dromadaires recréent dans leur tête les étendues de sables d'or incandescent que leurs pattes ne fouleront plus, l'un d'eux, cabotin, voit mon objectif du coin de l'oeil et me fait souverainement la grâce de son profil altier et dédaigneux, la noblesse triomphe parfois de l'avilissement ; peut-être faut-il tout simplement une part de rébellion, de ce supplément de salutaire orgueil qui triomphe des avanies ; mais un peu plus loin, la dame savante et bavarde se précipite pour soustraire à la voracité d'un cheval d'ébène un sac poubelle dans lequel, "vous vous rendez compte, il y a des lames de rasoir".
Délaissé, le dromadaire arrogant a de nouveau abandonné son cou à la poussière sablonneuse du sol, nous partons.
Nous retournons à Pujols l'accueillante où la journée s'écoule lentement tandis que le soleil poursuit sa course vers l'horizon, peu à peu le manteau du soir enveloppe le splendide paysage de vignes et de toits de tuile.
Là-bas, à Castillon, la "fête" a dû commencer.
Je pense au mot anglais de "merry-go-round" et le "merry" soudain me semble inapproprié.