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De l'esprit des maisons
Une maison désertée se languit-elle ? La maison du soleil pourrait nous le faire croire, après quinze mois d'absence elle nous offre les stigmates de son abandon : infiltrations de l'incurie, cloques de l'alternance des saisons et lézardes insidieuses comme les ridules sournoises sur un visage négligé.
Mais, en même temps, la beauté nue du lieu s'offre sans réserve, et, avant que les travaux de rigueur ne reprennent, la demeure nous dit à quel point la séduction se rit des soins et des artifices ; certes les plâtres de la salle à manger laissent entrevoir quelques plaques de mur brut et les larmes de pluie ont strié quelques parois de traînées jaunâtres, mais le salon du haut prodigue la chaleur de ses murs ocre-rouge, les ciselures de bois polychrome du kiosque, plusieurs fois centenaires, défient le temps de leur insolence patinée et le patio après le nouvel orage miroite de la fraîcheur bienfaisante succédant à l'accablement de la fournaise. Les roses retrouvées de la fontaine soupirent d'aise.
Tangue le temps de Marrakech entre touffeurs et ondées, entre bourasques et temps figés.
Jamais la ville rouge n'a connu de tels dérèglements en cette saison, jamais elle ne m'a semblé aussi capricante et captivante, à une absence inhabituellement longue, elle a répondu par l'hystérie inattendue de ses humeurs d'amante qui s'est sentie delaissée.
Des nuits des mille et une nuits
Une soirée plus que tiède, le couvercle des nuages a gardé la chaleur au sol ; de la terrasse où l'on sirote les longs apéritifs des étés désoeuvrés la lune se voile et se dévoile au gré des nuages de lapis-lazuli, mutine, elle nous fait des clins d'oeil à travers les hautes palmes avant de s'évanouir encore, la mélopée du chant du muezzin, hymne des siècles abolis, surgit soudain tout près avant qu'un autre officiant ne lui réponde et puis un autre et encore un nouveau jusqu'à ce que la ville entière se drape dans l'écharpe ondoyante de son intense prière.
Les facettes colorées des lanternes recréent les atmosphères des Orients des légendes de notre enfance et, la façade dévorée par la nuit où giclent les éclats électriques des lumières prend des allures de grotte fabuleuse.
Des êtres proches : le temps va
Première écharde au coeur, Najibou n'est pas là, ses démons l'ont repris, fragilité et assuétude aux fumées nocives n'ont jamais donné de bons résultats, il a sombré encore dans les tourments furieux de sa désespérance et nous appréhendons la visite, de le retrouver claquemuré dans son malheur dans l'hôpital où l'on essaie de soigner son pauvre petit coeur de gosse inutile apparaît comme une épreuve nécessaire ; son jeune frère Karim qui lui ressemble tant est venu se confier et, le contre-exemple aidant, s'apprête à passer son bac pour ensuite intégrer une école de police. Le désordre appelle l'ordre.
Bouz-Bouz, le délicieux Bouz-Bouz, a disparu, la maison sans vie ne donnait aucun sens à sa vie. Il est parti sans mot aucun, sans au revoir, il est remplacé par les oiseaux qui n'ayant plus à craindre ni ses crocs ni ses griffes, viennent sautiller jusque sur les tapis de la maison qu'ils emplissent de leurs trilles et autres pépiements.
Notre belle Khadija, a repris possession des ustensiles de cuisine qu'elle excelle à transformer en creusets des délices, ses enfants grandissent, Khaoula est déja une ravissante petite femme et Othman, que nous avons vu naître et que maman a tenu, bébé, dans ses bras, déborde d'affection et de malice du haut de ses sept ans. Non, pas vraiment encore l'âge de raison que ces sept ans-là...
Transfuge d'un soir, maigre et altier, un chat errant découpe sa silhouette efflanquée et héraldique sur le fond de soir tombant, les ombres chinoises de plusieurs petits félins lui succèderont, cherchent-ils le souvenir de Bouz-Bouz ? A quelle pulsion ou à quelle obsession obéit leur itinéraire invariable ?
Rues de couleurs
Avez-vous remarqué comme dans nos villes d'Occident nos rues sont depuis longtemps noires ? Cette négation de la couleur est devenue la teinte indifférenciée et anonyme de nos tenues, des plus jeunes aux plus vieux, toutes populations confondues, le noir est devenu l'uniforme de rigueur.
Ici les couleurs explosent, claquent et éclatent, foulards et djellebas des femmes entre tradition et modernisme rient de tous leurs contrastes en tons violents ou pastels avec une précision magique dans les oppsitions de couleurs qui inspira si souvent Yves Saint-Laurent le célèbre et regretté enfant du pays
les jeunes écolières aux chevelures ornées de mille babioles des modes de cour de récréation musardent sagement sur les trotoirs se confiant des secrets aussi lourds que leurs cartables, mais tiens, que vois-je deux dames au voile intégral noir ? je pense qu'elles n'existent (de moins en moins d'ailleurs) que pour servir de repoussoir à la fête colorée de l'espace public..
Des fleurs et des fruits
A la symphonie bigarrée des vêtements répond la généreuse vivacité de la végétation, les hibiscus rouges de sang violent alternent avec la douceur de taffetas de cet exemplaire double et rose qui, dans la ville européenne, le Guéliz, chante sa douce mélodie donnant du rêve au bitume ; les oranges amères n'ont pas oublié l'hiver qui offrent encore la perfection granuleuse de leur peau à l'oeil et aussi au toucher, tant de suavité attirant l'index comme un aimant.
Les bougainvillées, couleur fushia ou roses ou encore jaunes ou bien blancs envahissent la ville, médina et quartiers européens confondus, il n'est pas un pan de mur de la ville rouge qui ne s'égaie du tumulte de ces envahissantes efflorescences.
Une place meurtrie
Nous voici maintenant dans la place martyre où il n'y a guère les détonations de la monstrueuse et stupide intolérance firent pleurer la une de toutes les publications et de tous les écrans de télévision, eh bien s'il n'était d'une bâche qui cache la façade du désormais tristement célèbre restaurant "L'argana" on pourrait penser que l'horreur n'a pas eu lieu.
Belle leçon de déni de la face obscure de l'être humain que nous donne cette ville ivre de sa joie de vivre, émergeant des vapeurs des gargottes en plein air, la foule vibrionnante se dilue fantômatique dans les fumées des fourneaux ou se précise avec netetté lorsqu'elle s'en élloigne ; les conteurs et les bonimenteurs, les charmeurs de cobras et les diseuses d'aventure si possible bonne donnent l'impression d'avoir oublié le drame,. Vers six heures du soir, une manifestation vient clamer son soutien aux réformes promises par le roi et que l'immonde attentat se proposait de juguler. J'ai l'impression, et je ne suis pas le seul, que l'acte criminel a servi de catalyseur à une rencontre, celle d'un souverain de bonne volonté et de son peuple. Puisse le temps confirmer l'espoir de cette nouvelle aurore !
Les souks : le temps suspendu
Sitôt franchies les portes donnant accès aux souks, le temps immuable vous plonge dans un monde qui nierait presque l'inpermanence de toute chose, les échoppes-ateliers des ferronniers produisent les formes toujours renouvelées dans le savoir-faire ancestral de leurs lustres ou luminaires ; le fouillis des boutiques regorgent des trésors de céramique et de dinanderie qui lient les âges les uns aux autres et, chez les teinturiers, les oriflammes des tissus fraîchement teints mis à sécher rehaussent l'azur d'un ciel redevenu bleu.
Marrakech, ville de labeurs et de rêves, de déraisons et de négoces, d'illusions et de dures réalités, Marrakech tu es un monde à part, un monde suspendu entre traditin et élans vers le futur, un monde éternellement mutant.
Après ces déambulations il sera l'heure de passer à table, mais avant je vous propose un apéritif sur la terrasse. Nous montons ?