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Le blog de HP
4 février 2011

La Nuit des Signes

Le destin de l'Égypte continuait à se jouer hier, Sapho chantait le même soir le répertoire du "Rossignol d'Égypte" Oum Kalthoum.
Je n'ai jamais cru au hasard, je prends comme un signe du destin les convergences de ces co-incidences qui ont transformé ce qui, prévu depuis longtemps comme une belle soirée, devint de fait un don bouleversant de la vie.

sapho01

Tant que les vibrations de mes émotions sont encore vives, que l'évocation de ce moment d'exception se traduit encore en frissons, une impérieuse nécessité m'incite à en fixer l'allégresse, obligatoirement fugace, de ces quelques heures privilégiées.

De quoi sera fait demain ? L'enthousiasme d'un peuple en marche sera t-il récupéré ou pire réprimé ? Grandes sont les incertitudes et nul ne sait les ombres ou les lumières qui nourriront les convulsions futures.
Alors laissons-nous aller au rêve, jetons un défi à l'impermanent et au transitoire, jetons la joie irraisonnée mais forte des fulgurantes intuitions à la face des Cassandres et des compromis frileux et intéressés de la "realpolitik", et vibrons sans retenue de tous nos enthousiasmes, parures incongrues dans un monde désenchanté.

Carpe diem quam minimum credula postero

Faisons le pari de la lumière...
Sapho était hier la messagère de l'iréversibilité de ce qui s'est mis en marche et de la foi en l'avenir. Ecoutons-la, remuons les cendres encore chaudes de cette nuit où le destin semblait vouloir faire un signe.

sapho_new_morning

L'orchestre a pris place sur un décor de soies blanches fripées au sol où quelques lumignons tremblants et un coussin de velours pourpre exaltent l'attente faussement candide du tissu.
Le violon s'émeut en langueurs de vents errants sur les tons vibrants du qanun et les pulsations des percussions.
Le temps est suspendu.
Et Elle apparaît, fastueuse et fragile dans ses atours traînant au sol, sortes de kimonos arabisants tout d'ivoire et d'ébène au début, entièrement de jais lors de la deuxième célébration.

Sapho, recueillie, écoute et la musique l'envahit ; languide elle semble se soumettre à cette possession, mais soudain, elle se redresse, un pan de sa toilette glisse dévoilant la splendeur marmoréenne d'une gorge émergeant de satins noirs, elle lève une main fermée, une main étonnamment enfantine, et de sa bouche de carmin sanglant sourd un feulement, qui s'élève jusqu'à un rugissement caverneux et grave, comme un cri venant des entrailles de la terre, creuset de toutes les cultures, de toutes les sensibilités.

Sapho la Juive de Marrakech, Sapho de L'Andalous, Sapho la rockeuse baroque, Sapho qui chante Ferré est ce soir l'Orient de tous les points cardinaux.

Le dialogue entre la salle et l'orchestre est aimanté par la prêtresse des élans de fraternité, des espoirs vrais ou faux, rêvés ou militants ; Dieux qu'elle est belle, le dehors en parfaite harmonie avec l'intérieur, tour à tour fatale et familière, hiératique et terriblement humaine ; que dis-je tour à tour ? Les touts se jouent en même temps.

Et que reste t-il d'Oum Kalthoum ? Là où la Plus-que-Parfaite, l'Incontestée, le héraut de la nation Égyptienne et du rêve d'un monde Arabe, distillait avec science et précision les tourments et les fièvres des amours contrariées, Sapho, l'être de chair et de sang, s'empare du texte, le hurle et puis le susurre, sa voix passe par tous les extrêmes, abolit préciosité et maniérisme, devient intemporelle comme l'appel à la liberté, comme la révolte exacerbée contre tous les asservissements.
Cette nuit de tous les possibles, les paroles d'amour prennent des accents de revendication de lutte pour la Liberté.

Toi, le tyran qui m'as lié, qu'as-tu fait de moi ? Défais mes liens, toi qui as oublié notre amour pour le transformer en sujétion en faire une prison, rends-moi à moi même, laisse-moi libre, laisse-moi ma vie...( *)

Voila la chanson d'amour d'Oum Kalthoum, voila la chanson de prise en main de son destin de Sapho.

Choukran Sapho (Merci Sapho), tu nous a offert une nuit d'espoir qui, je te le promets, continuera à éclairer les doutes et les meurtrissures à venir.

Dans le ciel du retour riaient, complices, des étoiles à l'infini.

(* ces mots ne sont pas une traduction du texte de la chanson, c'es la restitution de mon entendement)

sapho1

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Commentaires
H
@ jean-X : continuons le pari de l'enthousiasme, en ce moment de revenir à Todd m'enchante.
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J
Il est difficile de réagir de façon pertinente à un billet qui raconte un concert auquel on n'a pas assisté (c'est, à mon sens, la limite de toute chronique de spectacle quand elle ne peut donner à entendre), mais je veux saluer la qualité picturale du compte-rendu que tu fais de celui de Sapho, dont le mélange de précision et de poésie laisse entrevoir quelques fragments de ce que ces moments ont pu être.<br /> Nous savons maintenant que la marche du peuple dont tu parlais a abouti à la fuite d'un autre dictateur et que les étoiles scintillantes entrevues à la fin du spectacle étaient plutôt favorables. Sans doute avais-tu raison de faire preuve de cet enthousiasme dont tu sais que je suis assez incapable, s'agissant des affaires humaines dont bien des fils restent cachés quand d'autres grosses ficelles, elles, sont outrageusement visibles. Puissent les vents continuer à être favorables aux peuples épris de liberté et à porter jusqu'à nous les chants de l'âme qui sont de tous les temps.
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H
@ Viane : Cette déambulation aussi incertaine que déterminée, et que tu narres si bien, enroule le temps en volutes de mystères révolus, d'énigmes à jamais abandonnées parce que leur message s'est dilué dans leur propre évidence.<br /> Errements de contes orientaux, pensée captive de ses obsessions inassouvisables, comme une chanson d'Oum Kalthoum, de celles-là mêmes qu'interprète Sapho dont la possibilité d'une demeure apparaît comme un mirage, en conclusion d'une errance qui en dit plus que ce qu'elle ne montre.
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V
Comme c'est étrange. Encore une fois ce week end je me suis rendu du Derb Lakrissi au Musée de la Photographie de Marrakech. Comme toute les fois je remonte longuement la rue Dar El Bacha, plus lentement chaque fois comme si cette Ville voulait m'apprendre l'autre cadence du temps. Je tourne à gauche ... La rue à cet endroit est le carrefour des hésitations où la fumée des mobylettes se mêle à celle des réchauds qui cuisent les galettes. Non loin, la bouche vorace des souks appele le flaneur alors que les pas perdus des touristes tournent en vain entourés de mille sollicitations intéressées, comme recrachés d'un labyrinthe où ils ont laissé toute raison...Je fuis cette cohue vers Riad Larouss et passé le mausolée de Sidi Ali je prends à droite. Moins de touristes mais encore la cohue. En face je prends sous le porche cette rue que tu connais sans doute... Plus calme, presque sereine. J'ai entendu un gamin du cru déconseiller à un touriste d'y passer: réservée aux marocains monsieur ! A chacun ses routes, à chacun ses secrets... Moi je suis passé.. Est-on aussi transparent et anonyme qu'on le pense dans cette ville village ...Alors pourquoi te raconter tout cela Sidi Henri ? Eh bien là encore convergence... Cette rue qui passe derriére la mosquée Ben Youssef et arrive contre la Medersa traverse une place...une place bien calme où l'on trouve l'entrée arriére de la mosquée, un hammam, un four où oeuvre un vulcain local attisant les flammes bieveillantes qui rechauffent les corps et cuisent les pains et puis une grande bâtisse. Un de ces chateaux citadins qui ne sont pas des riads. Un véritable ksar ... Et sais tu ce que dis la rumeur mon ami... On dit que c'est la maison de Sapho et j'en parlai justement à un ami qui marchait avec moi, ce vendredi, jour de priére, dans cette rue si calme, si sereine...
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H
@ laura : Je suis certain que vous auriez été transportée.
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