Peintres témoins
Longtemps l'Histoire de l'Art hérissée de majuscules a hiérarchisé les arts en strates plus ou moins nobles.
L'architecture et la musique primaient sur toutes les autres formes d'art et la peinture elle-même se déclinait, de haut en bas, en peinture héroïque, d'histoire et diverses classifications aussi arbitraires qu'académiques ; puis peu à peu le paysage et la nature morte conquéraient leur espace tandis que la "peinture de genre" vouée aux "petits maîtres" restait prisonnière de la condescendance des amateurs éclairés,
N'oublions pas, que dans les années 1930 encore, Vermeer n'était qu'un "petit-maître".
Ainsi proliférèrent ces petits tableaux de moeurs, encadrés de baguettes dorées "Louis XVI" qui ont constellé conventionnellement tous les murs des salons bourgeois de France et de Navarre telles ces gravures de Moreau le Jeune aux tirages étalés dans le temps et que nous ne ferons que citer car, gravées également dans nos mémoires à force d'être vues sans jamais être vraiment regardées, elles ont fini par, subliminalement, s'intégrer dans notre base de données mentale.
C'est donc en ouverture à ce billet que j'ai demandé à Moreau le Jeune de nous offrir ce frontispice tout bruissant des caresses mondaines de ses falbalas de Cour.
Cette parenthèse sur Moreau témoigne de la vocation de ce billet qui n'est pas celle d'une somme d'histoire de l'art sur la réparation de l'injustice faite aux peintres dits "mineurs" ; je me bornerai même à la période où les spectateurs de la vie au pinceau, au crayon ou au burin furent féconds, c'est à dire ces témoins d'un dix-huitième siècle finissant dont beaucoup jouèrent leur rôle sur chaque rive des deux siècles.
Mon propos, en ces pages, c'est de saluer l'humilité du regard de ces quelques peintres qui ne mirent ni la virtuosité de leur art, ni leur notoriété, au service du reconnu, du glorieux ou de l'emphatique.
Non, je ne ferai aucune référence à Madame Vigée-Lebrun, son exquise façon est enfin universellement reconnue et elle se passe très bien de moi ; je rapporterai simplement une anecdote lue dans ses mémoires et qui témoigne de la subtilité d'un portraitiste qui veut rendre un visage aimable sans pour autant le flatter : eh bien, quand une des belles empanachées qui posaient devant elle ne brillait pas par son esprit elle lui faisait prendre l'air vague tout en gardant la bouche entr'ouverte pour lui donner l'ai rêveur, ce qui compensait bien, en ce temps annonciateurs du spleen romantique, l'intelligence.
En revanche, je citerai Madame Labille-Guiard (1749-1804), au talent, allez-vous me dire, bien reconnu qui nous sert d'introductrice pour une de ses élèves, aujourd'hui quasiment oubliée, mais qui connut son heure de gloire: Marie-Gabrielle Capet.
Voici donc l'autoportrait de Madame Labille-Guiard entourée de ses élèves Mlle Capet (1767-1818) et Mademoiselle Carreaux de Rosemond. Mademoiselle Capet prend son envol, voici son superbe autoportrait au pastel tout frémissant de cette exquise sensibilité qui baigne cette fin de siècle,et, enfin, en apothéose, son atelier devenu fameux le siècle d'après puisque fréquenté par Vien.
Eh bien venons-en à Joseph-Marie Vien (1769-1809). A part quelques spécialistes d'histoire de l'art, qui peut citer spontanément quelques unes de ses productions bien qu'il fut en son temps au moins aussi prisé que le fameux et opportuniste David.
Le portrait de Louis XVII attribué à Vien, de part les "Historia", "Lagarde et Michard" et autres "Miroirs de l'histoire" est certainement l'oeuvre qui l'a le mieux fait connaître, mas pourquoi oublier son inquiétante sultane, mirage des lointains Orientaux encore plus fantasmés que ceux de Liotard et sa "Mélancolie" à la palette si flatteuse malgré son aspect quelque peu conventionnel ?
Nanine Vallain vous dit-elle quelque chose ? De son prénom Jeanne-Louise (1767-1815) et épouse Pietre, il reste d'elle fort peu d'oeuvres mais toutes bien significatives comme cette bergère (autoportrait?) si greuzienne, ce sensible portrait de Louis-Antoine de Condé, l'assassiné de Vincennes en tant que Duc d'Enghien, et cette "Liberté" à la froideur grandiloquente si révélatrice des temps nouveaux.
Avec trois portraits, Nanine Vallain balaie les principaux courants qui se succèdent en cette période pré-révolutionnaire où l'on passe si vite de la sentimentalité à l'exaltation.
Au nom de de Jacques Gautier Dagoty (1716-1785) sont bien sûr liés deux portraits de la jeune Reine de France, Marie-Antoinette, avouons-le pas impérissables, l'un en grand habit de cour bleu d'azur et l'autre la mettant en scène jouant de la harpe dans ses appartements entourée de ses dames, lui même se figurant entrain d'esquisser le portrait de la souveraine, cependant ces deux oeuvres restent précieuses pour l'histoire du costume et l'évocation d'une princesse dans l'intimité de ses appartements.
Mais qui connait ses recherches anatomiques bien éloignées des délicatesses de Cour et son intérêt pour les secrets de la vie foetale ? Ces deux productions viennent à point pour réparer l'oubli, et puisque nous y sommes, ajoutons qu'il eut en 1771 un fils Jean-Baptiste André (+ 1840) qui, en plus d'être un remarquable peintre porcelainier laissa de lui un ombrageux et romantique autoportrait.
Joseph Ducreux, né à Nancy en 1732 et mort à Paris en 1802 est célèbre pour ses portraits de la haute société, mais cette brillante et flatteuse production ne doit pas nous faire perdre de vue son intérêt pour les expressions d'émotions les moins avantageuses et qu'il a mises en scène en s'autoportraiturant en bailleur et moqueur ; sa fille la belle Rose-Adélaïde (1761-an X) fut une musicienne chevronnée très liée à Méhul ainsi qu'un excellent peintre, elle laissa d'elle un autoportrait de 1790 où l'on ne sait ce qui l'emporte de la grâce ou de la vivacité.
D'autres de ces peintres dits "mineurs" sont une véritable mine pour l'étude du costume, et, de cela je suis convaincu, l'habillement est un précieux indicateur de la culture et des moeurs d'une époque ; bien sûr, ne nous fions pas aux gravures de mode, déja existantes et si prépondérantes en France, ce ne sont jamais que des exemples ou des modèles auxquels on se conforme peu ou prou.
Observons plutôt ce Trinquesse de 1786 et rapprochons-le de ce tableau "La visite" de Mallet de 1791 ou encore de ce rendez-vous mondain Lillois, toujours daté de 1791, exécuté par Watteau de Lille. Vraiment, qui pourrait penser qu'une révolution a déja bouleversé tout l'édifice social ? Il y a loin des événements tels qu'ils apparaissent à la façon dont ils sont vécus.
Le musée Cognac-Jay a réparé aussi une grande injustice en conscrant une exposition à un observateur aigu de son époque, la belle soeur de Fragonard qui partageait avec lui son appartement du Louvre, je veux dire Marguerite Gérard (1761-1837).
Dumont, l'un des meilleurs miniaturistes qui soient en France (1751-1831), laissa un portrait d'elle dans la manière diffuse qu'il utilisa aussi pour peindre Marie-Antoinette entourée de ses enfants à Saint-Cloud en 1790 et qui lui est si particulière.
La gracieuse personne savait elle-même, convenons-en, admirablement manier le pinceau ; ses scènes de genre sont aussi variées qu'aigües, véritables témoins de cette époque charnière.
Pardonnez-moi Debucourt de passer si vite sur vos miroirs d'un Palais-Royal centre de toutes les agitations de ces débuts de la Révolution où les catins emplumées continuaient encore à affoler les sens par leurs extravagances vestimentaires ; pour Jean-Antoine Giroust nous jetterons un oeil indiscret sur ce moment d'intimité où Madame de Genlis initie à la harpe ses élèves Orléans ainsi que "sa" protégée Paméla, il est là bien plus vrai et juste que dans ses indigestes morceaux néo-classiques édifiants.
Louis-Léopold Boilly (1761-1845), si prolixe, mériterait à lui seul bien plus qu'un simple billet, pour rester dans l'esprit de ce sujet, pénétrons à sa suite dans l'intérieur d'un riche négociant Nantais d'avant la déflagration.
Voici donc quelques exemples de ces peintres, tantôt méprisés, tantôt utilisés à des fins seulement décoratives mais toujours sous-estimés, bien sûr il en est tellement que je laisse sur le bord de la route et j'en suis navré mais mon propos ici n'ést pas tant d'être exaustif que de contribuer à rendre leur place à ces observateurs sans lesquels, même si les événements nous étaient connus, nous ne saurions respirer le "parfum" d'une époque.
Pour conclure cet article je vous propose ce dessin de Mallet déja cité et qui, témoin oculaire, des adieux de Louis XVI a sa famille en a laissé le seul témoignage fiable, donc le plus émouvant.
Je vous prie de m'excuser pour la mauvaise qualité des reproductions, la résolution est souvent défaillante et Google fréquemment un peu court...
Je demande à Le Prince, Liotard, Gabriel de saint-Aubin, Etienne Aubry, Hauer, Kucharsky, mon si passionnément aimé Danloux, Hubert Robert un de mes peintres de prédilection et tant d'autres de vouloir bien me pardonner, je ne les néglige pas, mais il a bien fallu effectuer des choix en concordance avec le sujet, un peu à l'aventure, laissant les témoins se présenter à mon esprit à leur convenance.