Interlude de saison
C'est une année à quetsches, à Charmes les branches croulent sous les beaux fruits aux tons d'encre flirtant avec les pourpres et les bleus, saupoudrés par une légère poudre duveteuse pour un effet des plus réussis, comme si la soie et le velours faisaient le pari ambigu des noces de leurs textures.
La production est prometteuse et la récolte plus qu'abondante, dans le panier tressé par notre ami Stéphane D qui d'ingénieur biologiste passe au métier de vannier, les fruits de cette fin d'été vont intégrer la cuisine pour une mise à mort programmée en forme d'alchimie, les dons de la nature, de par la grâce de Charles vont devenir confitures, tandis que votre serviteur s'apprête à confectionner une tarte.
D'autres fruits, moins chanceux, finiront leur itinéraire terrestre en gluantes marcescences piquées de moisissures livides avant que de s'amalgamer au sol, à moins que Belle et Chitan, fins connaisseurs, ne s'emparent de ceux bien mûrs tombés à terre et en fassent leurs délices ; je dois dire qu'ils recrachent le noyau avec beaucoup d'élégance.
Dans le laboratoire-office, la lente transmutation des fruits, dûment dénoyautés, en confitures enveloppe la maison des immuables et rassurantes saveurs des temps de tradition. Charles, de par son art, pérennise les labeurs ancestraux sans lesquels une maison de famille à la campagne serait privée d'une partie de son âme.
Je me réjouis de voir la forge du Vulcain des sucres, les bulles de cuisson venant du fond de la bassine de cuivre pour éclore avec lenteur et difficulté en émergeant de l'épais liquide.
Les bocaux remplis, dans un premier temps posés tête en bas jusqu'à refroidissement, sont ensuite relevés puis étiquetés avant d'aller s'aligner sagement dans le placard qui leur est dévolu.
Les petits déjeuners de Charmes ne seraient pas ce qu'ils sont sans ces confitures élaborées au rythme des maturations échelonnées des mirabelliers, fraisiers, cassissiers, framboisiers et autres plantations du verger.
Sans oublier les rhubarbes...
Pour moi, qui me pique de cuisiner passablement, je n'ai jamais eu la fibre pâtissière, il est vrai que le sucre n'étant pas ma saveur de prédilection, je suis plus porté sur les ragoûts, mais bon, je me suis pris au jeu de la confection de tartes aux fruits depuis quelques années, et l'ami Jean-X a permis à mes élaborations de monter d'un cran en me transmettant certaine recette de préparation qui, s'il ne rend pas le gâteau plus diététique, en exalte la saveur avec succès.
Après le petit jeu de patience du dénoyautage des quetsches, je les dispose méticuleusement sur le fond de tarte et, fouet en main (non, non, rassurez-vous, je ne fais pas subir de traitement sado-maso aux fruits) je procède à la vigoureuse préparation de la mixture qui sera ensuite répartie sur les fruits.
Il suffit d'enfourner, de sortir l'objet de l'antre brûlant et de le disposer dans le plat de présentation.
Ce soir la tarte sera sacrifiée en dessert sur l'autel de la gourmandise.
Il n'y a pas d'invités à Charmes ce week-end, le temps s'est donc déroulé au rythme des quiétudes domestiques, c'était une chronique de 4 septembre, désuet et sucré comme cette pâtisserie.
Un samedi de fin d'été.
Des riens, des petits riens, l'écume des jours. Si douce à vivre.