Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le blog de HP
16 février 2010

C'est ainsi que les villes meurent...

La plus célèbre croqueuse de diamants du dix-huitième siècle, Jeanne de Saint-Rémy, Comtesse de Valois de la Motte, dernier rejeton de l'ancienne dynastie royale, revint à Bar sur Aube, sa ville d'origine, étaler avec insolence le luxe enfin rendu possible grâce à l'escroquerie du siècle, "l'affaire du collier de la Reine". Orgueilleuse et fatale revanche.
Il reste à Bar sur Aube deux ailes bien décaties de l'hôtel où la vraie Valois, fausse comtesse et authentique escroc se pavanait grâce au dépeçage du collier de diamants si mal acquis.
Pour moi, l'évocation de cette ville se bornait à cette seule référence. La cité, à trente-cinq kilomètres de Charmes, m'est maintenant connue, j'y entretiens des relations, et la regarde, entre deux heureuses restaurations d'édifices, s'étioler peu à peu ; le magnifique "Café du Commerce et de l'Industrie" aux pompeuses allégories de ces deux activités paraît démesuré pour une époque ou plus aucune affaire ne se traite à Bar, l'église Saint-Pierre soigne sa façade mais moisit de l'intérieur et les commerces essaient de vivoter tant bien que mal.
Deux restaurants gastronomiques se partagent l'assiduité des déjeuners dominicaux de la bourgeoisie baralbine, mais, allez donc essayer de vous restaurer après neuf heures du soir...

Un garage loué près de la gare nous délivre des horripilantes entrées et sorties de Paris ; l'automobile garée, les allers-retours se font en train.

Si en province il existe un quartier où un semblant d'animation se manifeste c'est, généralement, celui de la gare ; et il dût en être ainsi à Bar sur Aube, mais Dieu, que les abords de ce bâtiment pourtant rénové sont maintenant désolés.
Un restaurant ouvrier, " Le Rocher", où il faisait bon remplir "à volonté" de charcuteries, champignons à la grecque et autres oeufs mayonnaise son assiette au buffet des hors-d'oeuvres, sous l'oeil attentif de la mère et la fille qui animaient les lieux, a cessé son activité il y a une paire d'années, la maison est abandonnée et la petite boîte qui affichait autrefois le menu meurt peu à peu, muette.
Une maison très années cinquante a aussi définitivement fermé sa porte, le bleu azur des étendoirs finit de s'écailler et l'herbe envahit le plan incliné menant au garage. J'imagine ce rêve petit-bourgeois de "modernisme" où les lustres en forme d'échinodermes devaient éclairer le skaï rouge du canapé et des fauteuils du salon entourant une table basse en forme de palette de peintre. J'imagine un jeune couple épris de futurisme qui doit maintenant enliser sa vie dans quelque maison de retraite à moins que la mort n'ait déja accompli son oeuvre.

garemaison_50

Les_rochers

Juste en face de la "maison cinquante", s'aligne la façade de l'hôtel-restaurant "Le Pavillon" ; il y a déja dix ans il était fermé, et, depuis, l'incurie dont il est victime précipite une ruine désormais iréversible.
Je pense au "Paradou" de La faute de l'abbé Mouret  mais aussi à une évocation des langueurs létales de la Belle au Bois-Dormant ; que s'est-il passé ? Querelles d'héritages ou déshérence ? Dépôt de bilan fatal ? En tous les cas, la venue salvatrice du Prince Charmant semble du domaine de la plus improbable des illusions.
Le jour déclinant emplit les lieux d'un sentiment d'indicible tristesse, les papiers peints lacérés flottent au gré des aigreurs de vents hivernaux, les plafonds tombent par plaques et les volets se démantèlent ; comme un étau la végétation anarchique enserre la construction, au temps des feuilles un pudique voile vert masquera quelque peu la déchéance.
Il a dû y faire bon pourtant autrefois dans cet édifice si fin de siècle, j'imagine les représentants de commerce qui après le coup de l'étrier au café cité plus haut devaient retrouver la chaleur désuète des chambres aux papiers fleuris, je revis en imagination les éclats de rire des déjeuners de famille, toujours animés pour les adultes et au-delà de l'ennui pour les enfants.

Pavillon__1_Pavillon__7_

Pavillon__5_

Je ferme les yeux, Saint-Saëns me vient en tête et le kaléïdoscope des joies mortes se met en marche comme un hologramme de Parques.
Revenu à la réalité, je n'entends que les croassements rageurs et hystériques des corbeaux.
C'est fou le nombre de corbeaux qui peuplent la saussaie là-bas, juste de l'autre côté des voies ferrées !

Publicité
Commentaires
H
@ Jamila : Estrellita, gracias te lo digo yo por tu apreciacion. Je ne pense pas que les choses vraiment s'estompent, elles font semblant et se tapissent dans nos esprits pour, un jour, au détour d'une sensation ou de la vacance de nos occupations, hop, les voila qui resurgissent, envahissantes et sans partage. Le temps retrouvé, quoi, comme plus expert que moi l'exprima.
Répondre
J
Bonsoir ou bonjour, ces photos et ton texte induisent à chacun des visiteurs des sensations et des émotions différentes et diverses...<br /> Un monde qui s'estompe, pour moi, et qui est pourtant si vivant dans ma mémoire d'enfant...<br /> <br /> Estrellita<br /> Y gracias....
Répondre
H
Mon Dieu Jean-X, cette lecture que tu as de mon billet m'est essentielle car elle accorde à mes mots l'éclairage qui leur donnent une dimension bien plus vaste.<br /> Avant hier au Père-Lachaise, les pompeuses tombes délitées ou amputées me confrontaient à cette même évidence de la Vanité des entreprises humaines.<br /> Bacci Bello
Répondre
J
Je me souviens d'un matin de l'été dernier, où Charles et toi partiez tôt pour Bordeaux et m'aviez déposé à Bar-sur-Aube afin que j'y embarque dans un des premiers trains pour Paris. La grosse heure qui me séparait du départ avait été en grande partie passée devant un chocolat au Café du Commerce dont tu parles. Les rues étaient alors assez animées, sans doute une des vertus de la belle saison.<br /> Mais, tu as raison, que le quartier de la gare de cette ville qui n'en finit pas de se déliter est triste, le flux des voyageurs arrivant de la Capitale ou de la proche Troyes ne parvenant qu'à peine à lui apporter un semblant d'activité, et avec quelle hâte on se presse pour le quitter. Cette promenade nostalgique et douloureuse au milieu des reliques d'un monde qui fut sans doute moins avare en sourires qu'il ne l'est aujourd'hui ne comblera sans doute pas les lecteurs qui te réclament des billets plus légers. Qu'importe, il sonne avec une justesse peu commune qui confine à la poésie, comme l'a remarqué Michel, et on a envie de te suivre encore longtemps dans le travail de mémoire que tu proposes. J'espère, comme tu le suggères toi-même, que tu reviendras encore nous convier à une de ces balades les yeux et la sensibilité grands ouverts, car tu excelles à faire sentir combien de l'anecdote peut naître une réflexion plus large sur le temps qui passe et emporte et les choses et les gens. Il y a de la Vanité grandeur nature dans le Bar-sur-Aube que tu décris, des Illusions perdues aussi, pour filer une métaphore cette fois balzacienne. Une sorte d'épitomé de ce que le soi-disant progrès peut réserver de ravages et qu'il est, à mon sens, essentiel de dire pour que ne meure pas complètement ce qui s'apprête pourtant à s'évanouir sous nos yeux.
Répondre
J
La France se désindustrialise; Bar/Aube en porte les stigmates.<br /> Je n'y suis passé qu'une seule fois; elle m'a donné le cafard.<br /> Langres est à peu près dans le même état.<br /> Plus de boulot, les gens s'en vont.
Répondre
Derniers commentaires
Publicité
Archives
Le blog de HP
Newsletter
Publicité