Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le blog de HP
9 novembre 2009

Al salir de La Habana

Henri_Pierre__3_

Matin de La Havane

Souffle le vent de La Havane, brouille le bleu de bourrasques aux palmiers ébouriffés et délaie les nuages en un nouvel azur implacable. Chaleurs moites, touffeurs suffocantes, brûlures du soleil et, une ou deux fois, trois gouttes d'eau épaisse qui saturent encore plus un air salin imbibé de cette mer toujours présente.

Henri_Pierre__32_

Henri_Pierre__147_

Henri_Pierre__133_

.
.
Inconsolable Espagne

Comme je comprends la nostalgie tragique des Espagnols lorsqu'ils t'on perdue, séductrice rebelle, le traumatisme du désenchantement a été si grand qu'il en est sorti une génération d'écrivains parmi les plus marquants de la littérature espagnole : « la generacion del 98 », mouvement moderniste qui, après la déroute de la guerre contre les Etats-Unis, refuse le rêve d'une Espagne idéale pour regarder leur pays droit dans les yeux : la perte des dernières colonies, dont Cuba, ne peut plus masquer la faiblesse du pays. De ce désenchantement salutaire et apocalyptique naîtra une des plus belles périodes de la littérature occidentale.
Inexorablement Cuba, sous le joug américain, devient un pays serf gouverné par des présidents fantoches où les mafias du monde entier mènent joyeuse vie. Le peuple, lui s'enfonce de plus en plus dans la misère.
En sens inverse, tout à La Havane rappelle ce riche passé colonial, la culture y est avant tout hispanique et le fond catholique s'est enrichi de cultes d'origine Africaine, les Orishas, ce qui n'est, somme toute, pas plus aberrant que les multiples superstitions qui, en palimpseste, se sont perpétuées en terres chrétiennes.

Les maisons racontent l'Histoire...

L'architecture de La Havane raconte avec précision les vicissitudes de son histoire, les vieilles maisons coloniales de Habana la vieja, hautaines et aristocratiques disent la morgue d'une société où la noblesse austère et corsetée tenait les rênes de la jeune colonie. Les églises, baroques s'enivrent de leurs courbes et contre-courbes, véritable cantique de désordres organisés.

Henri_Pierre__54_

havane_thierry__52_

Henri_Pierre__41_

Le dix-neuvième siècle entre néo-classicisme et historicisme de Centro Habana marque comme dans le Paris de la même époque la toute puissance de la bourgeoisie, le code du mérite a remplacé celui du l'honneur.
Le luxe s'étale avec insolence jusques en cette pharmacie néo-gothique de 1848 qui mérite le statut de chef d'œuvre de l'architecture d'intérieur.

Henri_Pierre__21_

Henri_Pierre__102_

Henri_Pierre__166_

... et la décoration aussi

Les hautes fenêtres en plein cintre des maisons fastueuses s'ornent, dans l'arc de magnifiques jeux de vitres multicolores aux motifs rayonnants, les « medio punto », Art Nouveau et Art-Déco se déclinent sur un mode plus « international », nous sommes sous tutelle américaine, habileté et richesse du répertoire n'empêchent pas de constater que l'identité nationale est bafouée ou tout au moins délaissée. C'est d'ailleurs à ce moment là, sous la froide exigence de l'argent-roi, que le fossé social se creuse, que la cohésion sociale s'effrite et que les Américains triomphants et autistes, tracent déjà la voie de leur déroute.

Henri_Pierre__266_

Henri_Pierre__289_

Henri_Pierre__101_

Je passerai sous silence le faste glacial et vulgaire du Congrès et du Palais présidentiel qui, en plein vingtième siècle (vers 1927) s'inspirent des lourdeurs du style officiel de la Troisième République. Ils sont transformés en musées et il est étrange de voir les vêtements tâchés de sang des libérateurs de Cuba sous les plafonds emberlificotés de la demeure du sinistre Batista. C'est là leur seul intérêt. En revanche, tout au long du vingtième siècle les nouveaux styles ont continué à s'épanouir dans la ville qui, de plus en plus, s'est étendue le long de l'interminable boulevard longeant la mer, le Malecon.

La Place de la Révolution, siège du pouvoir actuel, est, au milieu d'une végétation luxuriante, l'application des exercices de grammaire du répertoire soviétique.Des demeures d'autrefois sont devenues des musées représentatifs du mode de vie des privilégiés des siècles passés, ainsi si le palais du gouverneur témoigne de la grandeur des époques seigneuriales, le musée des colonies restitue le calme feutré et cossu de la bourgeoisie du dix-neuvième siècle, tandis que le musée des arts décoratifs, copie exacte d'un château de Chantilly érigé par telle Comtesse ou Marquise en 1927 et réquisitionné par l'État en 1959 est un hommage à l'art classique Français ; dans le grand salon j'ai même retrouvé Marie-Antoinette sur un secrétaire lui ayant appartenu ; avant la rencontre, dans le vestibule, on est accueilli par deux magnifiques Hubert Robert.

havane_thierry__70_

Henri_Pierre__247_

Henri_Pierre__270_

.
Et la vie continue...
Ainsi à la beauté très « earl fifties » du grand hôtel où aux débuts de sa carrière s'installa Fidel Castro et à l'architecture fort futuriste du célèbre glacier Copélia répond dans le vieux quartier l'expression artistique sauvage et décalée de la jeune génération.

Henri_Pierre__132_

Henri_Pierre__175_

Henri_Pierre__126_

Déclins et résurrections

Le blocus économique infligé par les Américains et l'effondrement de l'Empire Soviétique, laissèrent le pays sans ressource aucune, aussi les palais les plus prestigieux sont passés progressivement du défraîchissement à la semi-ruine.
Dégradations et avilissements commencent à reculer de plus en plus devant un très ambitieux programme de restauration qui, tout en rendant son éclat aux rues de la ville a l'intelligence de respecter la vocation d'habitation ; La Havane, sa jeunesse retrouvée restera une ville habitée.

Henri_Pierre__311_

Henri_Pierre__137_

Henri_Pierre__317_

Les réhabilitations font refleurir les témoignages d'un art à redécouvrir et qui mériterait étude et monographie, les fresques murales qui, de scènes galantes en paysages et frises, constituent une expression artistique très particulière aux XVIIIe et XIXe siècles.

Henri_Pierre__365_

Henri_Pierre__370_

Henri_Pierre__367_

A pied, à cheval, en voiture

Les voitures particulières sont rares et la plupart vétustes, on trouve encore, de ci de là, quelques « Trabant » vestiges du partenariat soviétique. Mais le blocus a figé le parc automobile dans les années cinquante, les « belles américaines » plus ou moins entretenues, aux revêtements des sièges à fleur de ressorts et les ressorts à fleur d'amortisseurs défaillants rendent le voyage aussi amusant qu'inconfortable.Pour le reste, eh bien on bricole, la production nationale de cocos-taxis qui ne sont jamais que des triporteurs malicieusement et judicieusement « customisés » en forme de noix de coco, mais loin de tout ce luxe, les cyclo-pousses bricolés sont le pain quotidien des habitants de La Havane à moins qu'ils n'optent pour le choix d'un vieil autobus brinqueballant dont l'âge n'a en rien amputé la vaillance.

Henri_Pierre__189_

Henri_Pierre__346_

Henri_Pierre__232_

Quelques automobiles et autobus modernes sont le signe d'une récente ouverture.Évidemment je passe sous silence les sempiternelles calèches hippomobiles où les plus ou moins belles touristes se donnent des allures de Scarlett O'Hara qui aurait laissé sa crinoline au vestiaire.

Et, pour la fin, le plus délectable : les cubains

Que dire de ce peuple sans l'affadir, le simplifier ou le trahir ?
Je dirai simplement que je l'aime, infiniment, et qu'il me bouleverse au plus profond.
Peuple métissé, visages chocolat aux yeux d'océan ou blondeur éclatante sur teint pain d'épice.
Volupté passive des gros culs affublés de shorts fluorescents et trimballés dans une cadence molle et langoureuse à damner un Fellini.
Jeunes hommes si minces, si à la mode et au regard assassin. Yeux-revolver.Jeunes filles obéissant à la tradition de la pose devant le photographe le jour de leurs quinze ans en amples robes « historiques » et volantées tenant avec grâce leur ombrelle à la main.
Papys occidentaux se pavanant au bras de délicieux tendrons qui achètent ainsi leur image de mannequin de luxe.
Vie extérieure, abandon dans les poses et dans la vêture réduite, à tout âge aux strictes limites de la décence la moins exigeante, l'impudeur est toujours frôlée, mais évitée par la si douce nonchalence
Lumières chiches, la nuit du pays de la pénurie est très peu éclairée, les rayons des magasins aussi sont à peine fournis.
Mais il n'y a pas un seul mendiant, vous êtes certes sollicités pour des cigares ou pour des filles, mais personne ne tend la main.
L'état fournit le nécessaire en nourriture et aussi les soins médicaux les plus avancés, j'apprends que les médecins cubains sont parmi les plus réputés.
Pénurie matérielle, certes, mais quelle soif de culture ; d'anciennes demeures aristocratiques sont transformées en écoles primaires et l'université est offerte à tous.Malgré l'embargo, les Cubains ont préservé leur fierté et, annonciatrice d'une nouvelle aube que je pressens prochaine, la course au savoir est frénétique.
La doxa conservatrice et homophobe se dissoudra dans cet appétit de construction d'un monde à l'image de ce peuple en reconquête de lui-même.
Quels que soient les excès d'un régime fossilisé depuis trop longtemps il a su rendre aux cubains la fierté que l'occupation néo-coloniale des américains lui avait volée.
Les épiceries sont pauvres, mais partout, partout, des librairies ouvertes et fréquentés, des étals de libraires et en plein air ; et même si le portrait du Che et les ouvrages qui lui sont consacrés pullulent ad nauseam, le livre, en maître, règne partout.
Le musée des Beaux-Arts, étonnant témoignage de la prospérité d'autrefois est scrupuleusement entretenu dans les murs de l'ancien et somptueux cercle des galiciens, il regorge d'œuvres innombrables et capitales, de Memling à Sorolla.
Je n'ai pas osé trop voler leur image aux gens, mais eux m'ont volé de mon âme,
Il me vient une idée, comme une évidence, ce peuple est à l'image de sa musique, il vous enveloppe, vous séduit de toute cette gaîté doucement affichée masquant avec élégance les abîmes insondables d'un fond de tristesse, de nostalgie naturelles. Les regards ne trompent pas.
Voici quelques portraits d'atmosphère, communs peut-être, mais qui pour moi disent tellement.

Henri_Pierre__76_

Henri_Pierre__282_

Henri_Pierre__211_

Je te quitte La Havane, et, sur ce dernier crépuscule s'accroche une part de mon cœur que je te laisse pour un retour.

havane_thierry__109_

I cry for you La Habana.

Publicité
Commentaires
H
@ Laurence : Merci de m'avoir retrouvé ; cet été a été mouvementé mais la rentrée étant là, je me serais rappelé à vous.<br /> Je n'ai pas oublié la danse, je n'en ai pas vu, le théâtre ne donnait qu'une horrible opérette "la cour de pharaon" que nous n'avons pas eu le courage d'affronter jusqu'au bout,nous nous sommes éclipsés au premier entr'acte...<br /> Mais je retournerai là-bas.
Répondre
L
Je vous avais perdu... mon ordinateur aussi... aisi que mon appareil photo et puis ma tête peut être...Vous avez oublié la Danse... vous!
Répondre
H
@ Nicolas B : bon, eh bien on rétablit le lien ;-)
Répondre
N
Avec le lien, c'est mieux : http://nicolasbleusher.wordpress.com/2009/04/05/martini-rose/ :)
Répondre
N
J'ai écrit ce texte qui ressent La Havane sans jamais y avoir mis les yeux ou les pieds. Étais-je dans le vrai ou ne suis-je qu'un fieffé affabulateur... :)
Répondre
Derniers commentaires
Publicité
Archives
Le blog de HP
Newsletter
Publicité