Climats
En ce début d'octobre au Maroc l'été était encore à son apothéose et la chaleur assez inhabituelle pour cette arrière saison, les nuages du soir, roses du souvenir des incendies diurnes, semblaient en suspension ouatée, immobiles au dessus des minarets à l'heure de la dernière prière.
A Bab Doukkala, franchis les remparts qui enserrent la vieille médina, les bicyclettes-enseignes proposent les services des artisans sans boutiques qui se louent à la tâche.
A Casablanca, nous retrouvons avec bonheur l'ex club des marins américains, le Seamen's au décor intact des années cinquante où nous avons désormais nos habitudes.
Je suis toujours fasciné par les nostalgies de mondes qu'on n'a pas connus...
La surprise du voyage se révèle être Meknès, je n'y étais pas retourné depuis de nombreuses années, et gardai seulement le souvenir des prestigieux monuments fruit de la fièvre constructrice du grand monarque que fut Moulay Ismaïl : porte admirablement restaurée, délirants haras et ce mausolée, seul lieu saint où un non-musulman puisse entrer au Maroc.
Ces monuments là, inclus dans le circuit "Villes impériales" proposé par les voyagistes, font le plein de touristes qui ne font que passer à Meknès.
De ce fait, la médina, propre et accueillante est restée miraculeusement préservée, son lacis de ruelles hanté de félins omniprésents et voluptueusement alanguis au soleil, sert d'écrin à une médersa mérinide bâtie en 1358 par Abou Inan où est restée intacte une atmosphère d'aimable reccueillement sous les voûtes de cèdre, les dentelles de stuc et les zelliges chatoyants.
De cette ville si attachante, préservée, accueillante et nullement vendue aux excès du tourisme, je veux pour symbole cette jeune fille-fleur à la beauté sauvage et quelque peu altière sous l'ondoiement soyeux de sa djellaba violette.
Cernée d'oliviers, majestueusement étagée sur deux pitons rocheux, Moulay Idriss, première ville musulmane du Maroc et, à ce titre, sainte abrite le tombeau du fondateur de la première dynastie Marocaine les Idrisides, il n'est bien sûr pas question de pénétrer dans le mausolée de celui qui fût aussi le bâtisseur de fès ; alors nous montons à l'assaut de ses ruelles pentues au milieu de l'indifférence générale, les cafés retentissent des exclamations des mâles palabreurs tandis que les femmes vaquent à leurs tâches ménagères quand, soudain, un jeune cavalier, capte nos regards malicieusement et nous offre un échantillon de sa virtuosité de voltigeur, en équilibe à genoux, au galop de son... âne. Moment de grâce facétieuse qui met de la musique en tête.
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Volubilis n'est pas Pompéï, alors, libérés de leur rôle de surveillant à crocs, les chiens dont aucun "cave canem" ne vient troubler la léthargie, s'abandonnent aux bonheurs des zones de soleil ombragé tout en quémandant, dès qu'on les regarde, une caresse qui clot leurs yeux de volupté.
De primesautières petites huppes couleur de terre viennent narguer votre objectif, et, irrespectueuses de la majesté des colonnes antiques, les cigognes coiffent les chapiteaux de la chevelure ébourrifée de leurs nids.
Puis enfin Fès, Fès la mystérieuse, l'antithèse du Marrakech à la bruyante joie de vivre, Fès l'intellectuelle, effleurée par les flots de touristes qui jamais n'en percent les secrets.
Fès dans sa cuvette glaciale en hiver et chauffée à blanc en été.
Fès où le temps arrêté ne nuit en rien à la fièvre du négoce.
Métropole aristocratique encombrée d'ânes, de mulets et de chats qui conditionnent les déambulations des passants dans ses ruelles grouillantes.
Qui dira jamais la ténébreuse beauté de tes impasses nocturnes, la vie intense de tes multiples fontaines où, surpris par sa toilette ce jeune homme ne semble pas réticent au vol de son effigie ; admirables fontaines de cette ville d'eaux, l'oued Fès, canalisé, traversant même l'admirable médersa Bou Inania qui, contrairement à son homologue de Meknès, est toujours en activité.
Ce vénérable sage donne dans cette ville, pourtant occidentale, un avant goût de l'Orient ; il arpente de ses babouches jaunes les délicatesses de l'art Andalou dont cette médersa est un des plus inestimables joyaux.
On n'en finirait pas de vanter les multiples beautés de cette ville unique au monde, une de celles que je préfère, mais le voyage touche à sa fin et nous ne rejoindrons Marrakech qu'après plus de dix heures de route, alors que la nuit nous vole peu à peu les splendides paysages que nous traversons.
Puis ce fut le retour à Paris, et Charmes où, le matin, la maison fantômatique, émerge des brumes et du givre comme un songe de palais de Belle-au-bois-Dormant.
Les fruits de l'automne alourdissent la brouette de Charles le jardinier, et l'épine royale se couvre de ses baies écarlates éclatantes sous le soleil qui finit, tardivement, par s'installer.
Il a fallu remettre le chauffage en marche, le temps des feux de bois est revenu.
Épilogue :
Aujourd'hui j'ai fermé le Pavillon des Thés et mis à l'abri les grands éventails de papier qui ornent ses murs pour lesquels les rigueurs humides à venir seraient assassines. J'ai donné un tour de clef aussi à la porte de l'orangerie.
Demain je quitte Charmes pour Paris, et, samedi, m'envole pour La Havane.
Vers un autre climat...