Un été
DEMOLITION
A la veille de quitter Charmes, où je ne reviendrai plus qu'épisodiquement jusqu'à la prochaine belle saison, je me retourne en arrière et m'interroge sur cet été 2009, mon premier été d'orphelin.
N'ayant pas d'enfants je ne m'inscris plus dans aucune verticalité, ma lignée ne s'étale plus qu'horizontalement, j'ai perdu l'ascendant et n'ai pas de descendants. Je suis une branche sans fruits, j'aboutis sur le néant. Avant le départ d'Henriette cette évidence ne m'était jamais apparue.
Mais ne dramatisons rien, à défaut de procréer j'aurais tissé tous ces liens qui justifient une vie...
Juillet 2009, une semaine à Bordeaux, saccager l'appartement de maman, le vider, trier, recevoir le coup de poing de tel corsage jaune qu'elle avait tant aimé en cet été 2002 et qui me saute à la figure avec la violence d'un "jamais plus". Ce corsage je l'ai gardé. Je deviens fétichiste, fleuris les portraits et vénère des reliques. Dérisoire attachement aux vestiges matériels de celle qui fut. Comme le sillage des navires coulés qui livrent les épaves rendues par la mer. Vertige des "Titanic" de l'âme.
Dans l'appartement les plantes qui l'occupaient tant se meurent de son absence et de ce qu'elle leur disait car elle savait parler aux végétaux. Comment ai-je pu si souvent lui reprocher d'encombrer la maison de "laitues" qui transformaient les déambulations d'une pièce à l'autre en aventure ondoyante sur cette carte du Vert.
Les pampres du Bordelais, eux, promettent de généreuses récoltes et, au détour d'un chemin de terre, une épave agricole, idole des non-retours élance son imprécation muette aux cieux.
RE-CONSTRUCTION
Un camion est venu, conduit par mon neveu Claude, chargé des objets de là-bas qui désormais vivent à Charmes, il a fallu déplacer et intégrer, et voilà, dans la chambre des iris le mobilier de mon adolescence y compris le lit où je dormais toujours quand je venais "chez moi", c'est à dire chez eux d'abord, chez elle ensuite a pris place. Mobilier assez commun, mais riche de tant de souvenirs...
Ce guéridon qui l'accompagna dans ses multiples déménagements s'est lové dans un angle du salon et cet étrange samovar japonisant dont elle ne se servit jamais orne de son inutilité ventrue la pièce voisine.
Il y a aussi la trouvaille de cette photographie d'un couple qui fut si beau...
L'ÉVENEMENT
La petite église de Charmes en l'Angle, le neuf août, a été le théâtre, pour la deuxième année consécutive, de la célébration annuelle de la messe.
Que j'aime voir la minuscule commune reprendre vie à cette occasion ; sous un soleil joyeux les paroissiens se congratulent après l'office, et une cinquantaine de personnes est conviée à la maison pour un lunch champêtre.
Bruno, l'officiant, fait l'unanimité et je pense que personne, même les incroyants les plus obstinés, ne sauraient plus manquer cette journée de franche et heureuse sociabilité.
Certains sont venus de très loin, l'ami de Madrid, Victor articule ses vacances d'été autour de cette messe et l'adorable famille Vian, originaire de Charmes et vivant à l'île maurice était là également.
Sous l'effet de la chaleur et du vin ma cravate est jetée aux orties et je peux jouer avec Chitan à un point tel que nous finissons par nous endormir sur l'herbe dans les bras l'un de l'autre bercés par le brouhaha des convives.
SUR UN AIR DE CLARINETTE
L'arrivée de ma nièce Fabienne et son mari Joël accompagnés des enfants Guillaume et Matthieu a continué à donner de la vie aux lieux.
Par un feu d'artifice, Charles et moi avons voulu offrir un souvenir particulier aux jeunes visiteurs ; Matthieu nous a gratifié d'un charmant concert de clarinette goûté avec recueillement jusqu'au moment où, malicieux, il a émis les notes de la Marseillaise sous le portrait de Marie-Antoinette.
On est toujours trahi par les siens.
Le soleil continue à darder, il n'a pas plu depuis longtemps, Charles s'échine à arroser fleurs et légumes et, dans l'étang si bas, les carpes croisent à fleur d'eau. L'herbe est jaune et les feuilles du tulipier de Virginie se recroquevillent pour offrir moins de surface aux rayons brûlants.
Et puis la maison est restée vide, je reste seul avec Belle et Chitan, c'est à dire en bonne compagnie, mes arbres aussi me racontent leurs descentes chtoniennes et leurs élans vers le ciel, pérennes ils portent en eux tant d'histoires que le regard qu'on leur donne ne peut être qu'interrogateur.
Je n'ai pas jeté les bouquets de fleurs, je les laisse faner doucement, demain, avant mon départ ils seront jetés, leur vie éphémère aura cependant laissé de belles couleurs dans les mémoires.
Ce fut un bel été.
Enfin peut-être...
L'été d'une grande perte et l'été de beaucoup d'affection.
En tout cas, ce fut un été très chaud.