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Le blog de HP
5 mai 2009

Une décade marocaine

Vingt-quatre avril, trois mai.

Une terre

Le Maroc est redevenu lui-même, du moins tel qu'on l'attend ; après plusieurs mois de pluies et de fraîcheurs exceptionnelles, un printemps aux touffeurs estivales s'est enfin installé, souverain, en ce pays.
La vie aux champs est telle que celles des enfances que nous n'avons pas connues mais qui restent gravées, de façon immémoriale, dans nos imaginaires.
Il est au Maroc, une agriculture à deux vitesses, la moderne aux monstrueuses machines agricoles avaleuses de vastes espaces vides d'hommes à grand renfort de poussière et de bruit, et la traditionnelle où, ployés, hommes et femmes manient avec virtuosité la faucille.
Si dans les vastes exploitations industrialisées les traitements ont éliminé les fleurs des moissons, dans les campagnes immuables les bottes et les javels sont constellés du rubis des coquelicots.
Au risque de paraître misonéiste je dirai mon bonheur à la contemplation de ces instants d'éternité où le dur labeur n'empêche pas de voir fleurir, sous les chapeaux de paille, des sourires étincelants.
Souvent un chant psalmodié, cantilène des ouvrages des champs, enveloppe l'espace.
Tel foulard d'azur accroché aux branches  d'un olivier, dit, mieux qu'une silhouette, mieux qu'une voix, le passage de la paysanne en ces lieux. Je pense au "Bigger splash" de David Hockney où la trace de l'homme révèle bien plus que sa figuration.
Épineux de toutes sortes bordent les champs et délimitent les propriétés, les figuiers de Barbarie se couronnent d'efflorescences jaunes, douces et prometteuses, qui feront naître des piquants la tendresse des fruits charnus.

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Des gens

Dans le cycle des retrouvailles s'épanouissent aussi la lumière des regards et la chaleur des sourires.
Tous les bazaristes du quartier peuvent enfin haranguer de leurs lazzi affectueux le "zarazir" revenus ; oui, Charles et moi, du fait de nos perpétuelles migrations sommes des zarazir (singulier "zor-zor") autrement dit, les étourneaux, les sansonnets...  Et la maison revit son cycle d'entrées et de sorties rythmées par l'horripilante sonnette qui s'évertue à émettre un chant qui se veut d'oiseau et que nous nous efforçons de trouver agréable pour ne pas démentir la fierté de notre fidèle Abdelhadi, responsable du choix de l'objet.
Certains événements viennent modifier quelque peu notre paysage affectif : Najibou fanfaronne et fait le beau, méprisant les quelques petits volumes installés sous sa chemise ; mais foin des kilos, ils finiront bien par fondre entre deux petites bières, et puis, cette chemise nouvelle est tellement belle, n'est-ce-pas ? Et enfin quoi, il faut bien payer le tribut du passage de l'état d'extrême jeunesse à celui de la jeunesse tout court, non ?
A Casablanca, Ghizlaine, la Plus-que-Belle, pouponne sous sa crinière luxuriante la petite Yasmina qui vient d'avoir deux mois ; là aussi, la jeune fille s'est muée en jeune femme, exquise mais trop complexe pour être comblée ; ses yeux, encore, lancent des défis de souffre au monde avant de s'alanguir avec une tendresse aux confins de la nostalgie sur son enfant.
Aziz B, pour se soustraire parfois aux trépidations de Marrakech, se fait bâtir une maison à la campagne, face à l'Atlas, à trente-cinq kilomètres de Marrakech.
Dans le chantier, un jeune ouvrier, Abdelhak, travaille les matériaux de constructions les mains nues, les gants sont un luxe ; il protège aussi ses chevilles par des "guêtres" confectionnées au moyen de morceaux de carton enroulés et ficelés autour de la jambe.
Dans son dénuement, Abdelhak a cependant la noblesse d'un prince, d'un vrai prince, d'un prince du coeur ; assis sur un moellon il nous prépare avec grande élégance un thé délicieux et sa grâce transforme le chaos et l'indigence en palais de tous les raffinements.
Son image, je vous l'offre comme emblème d'un Maroc éternel, toujours vivant malgré les péripéties d'une époque si méprisante des valeurs vraies.

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Des animaux

Mimi, vous le savez, a disparu ; il m'a été dit que, souvent, les chats partaient se cacher pour mourir...
Où sont les mânes de ma princesse, quelle terre ou bien quelle poubelle abrite désormais sa luxueuse fourrure ?
Najibou nous dit une bien belle histoire, il essaie de se/nous convaincre qu'un magnifique matou a ravi la belle qui coule désormais des jours d'extase ailleurs. Quel ailleurs ? Est-ce là une transposition naïve de cette promesse des voluptueuses  houris qui attendent au paradis les guerriers de la foi ?
Quoi qu'il en soit, une nouvelle boule de poils ramenée par Youssef, le fils d'Abdelhadi, nous attendait à la maison. Une peluche effrontée s'est avancée en terrain conquis, charmeuse et désinvolte du haut de ses approximativement deux mois. Excuse-nous Mimi, ne vois là aucun oubli, aucune versatilité mais, blang, une nouvelle petite case s'est ouverte dans nos coeurs où Bouz-Bouz est entré sans se faire annoncer. Tout de go.
Bouz-Bouz ? Eh bien oui, "b'zbouz" en marocain veut dire "robinet" ; effectivement, un examen attentif de l'intimité du chaton, a révélé certain petit instrument qui lui a valu son nom. Bouz-Bouz est un mâle.
Des voisins invités à dîner sont venus sans fleurs, ils ont jugé plus original de nous amener deux jeunes caméléons pour habiter l'arbre-coco du patio. Qui n'a jamais éprouvé la matité soyeuse de la peau d'un caméléon ? Le contact bien que non-lisse en est infiniment doux et les petits flancs palpitants rythment le temps à leur mesure, précise, délicate et confite de lenteur.
Avant notre départ Bouz-Bouz le tendre,  avait déjà envoyé ad patres l'un des deux charmants paresseux ; le deuxième, le dernier jour, agonisait la mâchoire fracassée par le même prédateur.
Exit les petits reptiles aux yeux étranges de tourniquet.
Je garde aussi en mémoire la douce rencontre, à Tamesloht, d'une petite chienne vagabonde, une petite chienne à personne qui, orpheline d'affection, m'offrit à caresser son petit ventre.

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Des roses

Il a beaucoup plu, disais-je, au Maroc, et, de ce fait, jamais la ville de Marrakech n'a autant mérité son nom de "Ville des roses" ; les fleurs foisonnent au bord des routes et dans les jardins ; j'en ai, comme à l'accoutumée, couronné la fontaine de la maison,et, deux jours après, les têtes aux pétales de satin, s'exhalaient en alanguissements mourants qui n'en déployaient pas moins les splendeurs irréelles de leurs enchantements et fragiles et intemporels.
A la retenue de Lalla Takerkoust, une seule corole, narguait avec insolence le splendide panorama de reliefs et d'eaux du haut de son altière beauté.

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Des anges de la mort

Une découverte, bouleversante, nous attendait à Marrakech ; et oui, même une ville connue et maintes fois parcourue peut réserver des surprises ; il s'agit du cimetière chrétien.
Cerné d'immeubles, le lieu n'en reste pas moins une parenthèse de solitude dans le contexte vibrionnant, et, si rares sont les familles qui viennent encore s'occuper des tombes, le cimetière est soigneusement entretenu par des jardiniers.
Des parapets s'effondrent, des dalles sont soulevées par la vigueur des bougainvillées et les couronnes mortuaires n'exhibent plus que leurs squelettes métalliques après la disparition de leurs verroteries ; l'épitaphe de tel colonel, brisée en deux, raconte une vanité en deux épisodes, tandis qu'un "A mon Papou" gravé sur le marbre perpétue l'écho d'un gros chagrin.
Les anges des mausolées s'effritent, l'un deux a même perdu une aile.

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Quel est le Charon, nautonier de l'improbable, qui nous a amenés jusqu'à la dernière demeure de François Martinez ?
Un sculpteur hanté des mauvais rêves de Blake ou de Füssli, encore enivré des feux récemment éteints de l'Art-Nouveau, a représenté le jeune homme de treize ans s'accrochant désespérément aux voiles d'une mère éplorée, de la vie, tandis que son corps s'enfonce inexorablement dans le néant.
Il me plaît à croire qu'il mourut noyé bien que Marrakech soit si loin de la mer.
Le drame continue à se jouer ici, où, sur une tombe a semi enfouie, trois chats-parques se repaissent de la mort de ces volailles décapitées.

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Combien de temps encore ces vestiges souffrants diront l'arrogance dérisoire de l'histoire d'une époque de conquêtes ?

De l'autre côté de Marrakech, à Bab-el Khémis, la porte du jeudi, un autre lieu du dernier repos, musulman, celui-là, se désagrège sous la poussée des eaux et de la ville. Les cimetières meurent aussi.

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Commentaires
H
@ Eva : Merci de cette visite en un passé récent et jamais révolu, merci de rendre hommage à la beauté de ma Ghizlou qui est vraiment souveraine, et merci de ta délicieuse sensibilité.
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E
J'avais déjà lu quelque chose sur Bouz Bouz au moment où il a disparu de la maison de Marrakech ! J'ignorais qu'il avait de longs poils, et que ce nom signifiait "robinet" ! Et voilà, les Chats s'en vont tous au Paradis des Chats, les uns après les autres... c'est la vie ! Comme elle est belle Ghizlaine ! Quel sourire ! et Yasmina doit avoir 4 ans, une vraie princesse à présent ! Tout est tendre et plein de grâce ici... comme toujours... <br /> <br /> J'aime le geste élégant du poignet de l'homme marocain qui verse le thé de haut pour le faire mousser... Ce geste-là en souvenir de son ancêtre du désert, il le retrouve partout, dans les boutiques, au logis, ou sur le chantier !<br /> <br /> Je découvre que les roses de la fontaine sont cueillies par toi comme un cérémonial, pour décorer la fontaine !<br /> <br /> Je regrette que ce cimetière musulman soit tellement en friche, moi qui les aime tant parce que l'égalité y règne parfaitement devant la mort...<br /> <br /> Merci cher Henri-Pierre pour ce petit retour en arrière en mai 2009... Je t'embrasse !
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H
@ Ghizlaine : Et moi j'aime tes promenades ici. Khoud boussa.
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G
Ton texte, tes roses et la chemise de Najibou.<br /> Des bises sacrément baveuses d'une mère qui va de suite faire un scandale à sa manucure pour le rouge immonde de son vernis à ongle immortalisé par ton appareil (photo l'appareil, PHOTO)
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H
@ Marie : De ces fleurs, chère Marie, je ne suis que le messager...<br /> @ Bénédicte : Plutôt que de faire allégeance à Boubker, tu aurais pu me demander, mais je ne sais pas si je te l'aurais donnée, cette recette ;-p.<br /> Quant à Bouz-Bouz, ne t'inquiète pas à l'instar de toute la famille, nous sacrifierons sur l'autel de Sainte Bardot la rondeur soyeuse de ses petites burnes, cependant le robinet restant intact, le chaton restera digne de son nom.
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