Détours en images d'un printemps
Pâques, cette année, célébrait vraiment le sacre du printemps.
Dès l'aube, l'étang où se noyait la nuit se fardait de sortilèges inquiétants mais n'arrivait pas à contenir l'explosion des premiers rayons qui striaient de longues zébrures d'ombres les jeunes herbages diaprés de rosée.
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Le jour dit, et pour maintenir la tradition, les oeufs durs égayés de colorants alimentaires ont été essaimés dans le jardin pour la plus grande joie des enfants ; leur intérêt, il faut le dire, était en outre soutenu par la quête d'autres présents moins rustiques comme automobiles miniatures et ballons.
Qui aurait pu croire, à table, que ces oeufs seraient si appréciés ? Les jeunes garçons en ont avalé trois chacun avec un appétit déconcertant pour une nouriture si ordinaire.
Les grandes pensées jaillissant souvent de petits évènements, j'ai compris la raison impérieuse qui pousse les femmes à accorder tant de soin aux fards.
Mais Pâques fut aussi une journée d'intense labeur ; dès le mardi je devais prodiguer ma science à presque cent tendres vampires, mes étudiants.
Bien sûr ma tendance à procrastiner m'avait mis sur la corde raide pour l'élaboration d'un pensum censé intéresser un ampithéâtre bondé pendant quatre heures...
C'est en hommage à l'intérêt manifesté par les jeunes victimes de ma glose que le titre de ce billet interprète à sa manière celui de mon cours "L'image et ses détours et détours de l'image".
Et puis, toute la semaine il a fallu soutenir leur intérêt et les accompagner dans l'élaboration du mémoire qu'ils présenteraient le vendredi.
Je les ai quittés épuisé mais triste aussi de mettre fin à cet échange si riche ; encore une fois, je les remercie du don qu'ils nous font de leur curiosité et de leurs espoirs en des lendemains que je leur voudrais si chantants.
les quelques jours de repos qui ont suivi à Charmes furent l'observatoire des rapides avancées du printemps, aucun matin ne ressemble à celui de la veille ; les quatre fûts du grand hêtre pourpre qui se pavane majestueusement devant la maison se réveillent soudain vêtus de leur livrée aux rougeoiements encore tendres, la croupe derrière le pigeonnier s'est parée presque subrepticement d'un diaphane halo vert tendre, les buses tourneoient au-dessus de la canopée emplissant l'air de leurs miaulements lancinants, leur vol paraît soudain lourd face à la grâce altière du milan royal. Le tulipier du japon donne, un peu malgré lui, ses fleurs de porcelaine qui viendront agoniser en bouquets dans la maison.
La vie sourd ou s'arrête, depuis peu les buis du jour des Rameaux perdent leur fraîcheur, accrochés aux traditionnels crucifix des chambres de province, l'un voisine sans aucune gêne avec l'évocation d'une civilisation morte.
Dans la basse-cour, le plus joli des coqs néglige ses poulettes l'espace d'un moment, celui où j'apporte à la gent caquetante et gloussante les épluchures du repas en cours.
La frénésie amoureuse des crapauds jette des souffres d'abominables accouplements dans les eaux de la pièce d'eau, ce mâle, freluquet et impitoyable, s'accroche encore à la femelle qu'il a tuée dans son insatiable étreinte. Ich liebe dich, ich töte dich" (sans garantie d'orthographe convenable).
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C'est ma dernière nuit à Charmes, demain je regagne Paris d'où le soir même je m'envolerai pour Marrakech.
Le temps court, le temps court...
A Charmes, la vue sur Brachay offrait un horizon inchangé depuis toujours, la pollution visuelle d'une rangée d'éoliennes est venue injurier la beauté intemporelle des lieux.
Et à Marrakech il y aura un grand vide, Mimi la belle, Mimi la capricante, Mimi le dieu lare de la maison n'est plus, m'a dit Abdelhadi ; disparue.
Fugue ou accident ? Kidnapping ou mauvais coup ? Je ne sais, mais ce qui est certain c'est qu'elle ne me griffera plus dans un accès d'affection névrotique et qu'elle ne viendra pas, culottée, s'installer sur mon journal quand je le déploie sur les genoux.
Je ne courrai plus tout Marrakech à la recherche d'improbables colliers anti-puces, mais elle ne me scrutera plus de son oeil si à part hésitant entre l'or et l'algue et son beau pelage ne frisonnera plus en tendres ronrons sur mes genoux.
Elle va me manquer .
Comme disent si justement les Marocains, "elle a laissé sa place".