Carême
Méchant archaïsme d'esprit de mortification judéo-chrétien ?
Atavisme de cette foi du charbonnier qui fut celle de ma jeunesse ?
A partir d'aujourd'hui, et ce jusqu'à Pâques, je renonce, à part le dimanche, à toute ingestion de vins et alcools ; c'est là ma manière de faire carême car, si je suis vite rassasié en nourritures, la pente vertigineuse de mon gosier me dote d'une dynamique particulièrement remarquable en capacité d'absorption de liquides alcoolisés.
Hier soir, devant la télévision je me gratifiai d'un généreux cognac bien supérieur au tissu de non-sens et de contre-vérités de certaine adaptation du voyage de Varennes.
Le dernier verre du condamné à l'abstinence.
Ce matin, héroïsme ou masochisme, je passai en revue la splendeur implacable de l'interdit.
C'est la sixième année que je me fixe cette règle ; oh, j'ai quand même mes petits arrangements avec le Bon Dieu (ou ma bonne détermination) : par exemple le 2 mars, jour de l'anniversaire de Charles, je bois mais, en revanche, le dimanche précédent ou suivant je m'abstiens.
Carême soit, mais on peut tout de même garder un peu de prise sur sa vie, non ?
D'ici Pâques, et ceci est l'aspect indiscutablement positif de cette démarche, j'entre en lutte avec moi-même, conquérant ainsi ma liberté par rapport à une habitude que je ne veux pas assuétude.
Et puis c'est aussi une bonne cure anti gras-gras, exit les poignées d'amour..., et il paraîtrait, de plus, que ce serait excellent pour l'hygiène de l'organisme.
Enfin il faut savoir se donner des buts, non ? : vivement Pâques et le printemps il ne faudrait tout de même pas que je prenne goût à l'ascétisme (des fois que...).
D'ailleurs, depuis quelques jours le renouveau nous fait signe par le halo vert tendre qui commence à brouiller la précision hivernale des branches des saules pleureurs ainsi que par les premiers perce-neige qui couronnent au sol le tronc des arbres.
A Paris l'air a une ténuité bruissante de promesses et la nudité virginale de la tour Saint-Jacques détache enfin sa silhouette blanc tout neuf sur un horizon bleu pâle.
Et puis plein de petits bonheurs, soudain, semblent vouloir mettre un terme au cycle d'alarmes et de chagrins de ces derniers mois ; de belles perspectives s'ouvrent pour des amis chers qui étaient en souffrance et, enfin, Henriette va un peu mieux.