Jalons, repères et échéances
Bientôt une année s'achève, une autre va s'ouvrir, pour glisser en douze échéances et quatre saisons vers son propre anéantissement.
Le temps passé se figera en dates, 1515 ou 1789 inscrites au fronton de nos savoirs entretenus.
Mais que signifie 1515 ou encore 1830 pour le dernier des Yanomami ou l'actuaire compulsif d'un Wall Street en pleine tempête ?
Que veut dire 1515 pour qui n'a pas intégré dans l'échéancier de sa conscience la naissance de Christ ? Et encore, si tant est que la date de ce début ne soit pas une construction mentale, l'héritage collectif d'une approximation.
Pendant combien de temps nos ancêtres qui ne savaient lire, pour la plupart, le calendrier, à supposer qu'ils en aient possédé un, se sont-ils préoccupés des millésimes qu'ils vivaient ?
Marie était née à la belle saison de l'année où le clocher du village fut abattu par la tempête et Jean disparut lors des pauvres moissons de cet été où il n'avait pas plu pendant plusieurs semaines ; car, heureusement, l'église carillonnait les jours du Seigneur.
Il y a aussi, dans nos horloges mentales les évènements qui marquent nos courtes vies, c'était avant le décès de la tante Elisabeth ou juste après la naissance du cousin Paul...
Indifférents à nos pauvres repères, et dans nos campagnes ou nos villes, les crépuscules succèdent aux réveils dans un flux commencé au début du monde et le linceul des neiges finit toujours par adoucir de sa ouate les épines de notre vie pour aussi piquantes soient-elles.
Brûlez soleils de l'été, dans l'abri de leurs vases, à travers les vitres protectrices, les fleurs coupées vous narguent, vos rayons ne les déssècheront pas ; flamboyez les automnes, et que la fausse joie de vos symphonies polychromes, préludes à la disparition annoncée de la végétation ne chante pas si vite victoire, ces bouquets artificiels continueront à entretenir la fiction de la délicate générosité de la Nature.
C'est que nous les hommes avons plus d'un tour dans notre sac pour "tuer le temps", ce temps qui, lui, nous tue inexorablement.
Les lourds rideaux et leurs passementeries compliquées sont les armures de soie contre les rigueurs des nuits que nous voulons nier ; faisons un pied de nez au temps en n'autorisant le miroir à réfléchir que le mécanisme d'une horloge : d'une pierre deux coups, j'ai aboli et mon reflet et la cadence mortifère des aiguilles-parques qui ponctuent le temps et, si ce n'est assez, enlevons ses lumières au lustre. Petits meurtres salvateurs qui me rappelle qu'en Béarn éteindre la lumière se dit "tuer la lumière" (tuat la luz). Éphémère victoire, hochets de nos vies d'autruche...
Et voila, l'année s'achève ; subliminalement le jalon fatal semble inscrit dans nos gènes, bien sûr la soirée tissée d'affection entretiendra la fiction du souhait d'une nouvelle échéance favorable, certains, jeunes, prendront les résolutions qu'ils ne tiendront pas car 2009 ne tiendra pas ses promesses, pas plus que 2008.
Nous rierons et aussi nous pleurerons, des affections seront avalées par le temps et d'autres, nouvelles, nous apporteront leur lumière. Nous nous disputerons et, bien sûr, nous nous réconcielierons sans croire aux cicatrices que laissent en l'âme les moments difficiles.
Si j'ai de l'argent, eh bien je le dépenserai pour revenir à la gêne ordinaire.
J'aurais envie de tout boire et me contenterai de la portion congrue qui me sera impartie ; mais j'espèrerai, envers et contre tout...
Et si l'oeil d'Angel, si jeune pourtant, grave et mutin, exprime déja ses interrogations, je lis toute la philosophie du monde dans l'oeil impavide de la poupée d'un autre âge.
A tous, chers lecteurs, faites au mieux et veillons à la seule, mais si précieuse, chose qui nous soit raisonnablement possible, soyez là, je serai là.